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Comment as-tu géré la transition sur les plans professionnel et personnel ?
En parallèle de mon métier de sage-femme hospitalière, je m’étais formée à l’art du conte pendant cinq ans. C’était uniquement pour me faire plaisir, pas pour en faire ma profession. J’avais tout de même créé mon association, indispensable pour intervenir en médiathèque, signer des contrats avec les municipalités, animer dans les collèges. Avec cette structure juridique, je pouvais développer mon activité de conteuse. Encouragée par mon mari, je me suis jetée à l’eau, et ai eu la chance de pouvoir partir en préretraite grâce à mes trois enfants.
Initialement, je ne voulais pas arrêter complètement d’être sage-femme. J’ai essayé l’intérim en salle de naissance… mauvais souvenir. Travaillant souvent les week-ends, je succédais à des collègues épuisées, héritant de dossiers transmis à la hâte dans un environnement inconnu, avec une équipe que je ne connaissais pas. J’étais mal à l’aise, c’était dangereux. De plus, j’ai découvert que ni l’agence d’intérim ni l’établissement ne m’assuraient. Je devais m’acquitter d’une prime annuelle de 2 500 € pour un salaire de 20 €/heure. L’équation financière était insoutenable, ça ne tenait pas debout, j’ai arrêté l’intérim.
J’ai tenté l’exercice libéral, mais ça ne collait pas non plus. Dans la configuration qui m’intéressait, c’est-à-dire à temps très partiel, les charges étaient disproportionnées. J’avais calculé que je devais travailler de janvier à septembre, rien que pour les couvrir. Je commençais à gagner de l’argent seulement le dernier trimestre. Bref, sage-femme, c’était à plein temps ou rien. Qu’à cela ne tienne, je serai conteuse !
Avec l’association Les Conteurs de Sèvres, je m’étais formée et j’avais vécu des expériences magnifiques en scolaire, médiathèques et Ehpad. Puis je suis allée conter en Pologne, en Suède, j’ai monté un spectacle de marionnettes, j’ai conté avec un quatuor à cordes, etc. Pour gagner en aisance scénique, j’ai suivi la formation de comédienne aux Cours Florent.

Accoucheuse d’émotions
Mon activité de conteuse a pris une orientation thérapeutique lorsque j’ai commencé à intervenir dans plusieurs Ehpad de la région, et aussi en psychiatrie. Je revenais à ma « mission de vie », qui est d’aider les autres.
Le conte est une mémoire, une matière humaine extraordinaire, c’est en cela qu’il a des vertus thérapeutiques. Conter, c’est faire le passeur, la passeuse, c’est transmettre un héritage ancestral. Il ne s’agit pas d’inventer les histoires, bien au contraire ! Les histoires que je raconte viennent de Chine, d’Afrique, d’Inde, du monde entier. Elles ont survécu au temps, parce qu’elles sont chargées de sens. Les contes sont des millefeuilles, on n’en finit plus de les déplier et d’explorer leurs significations.
Et la musique, dans tout ça ?
J’avais pris l’habitude d’apporter mon piano numérique, pour chanter une chanson à la fin de mes ateliers Conte. Un jour, j’ai posé mon instrument sur un chariot à roulettes et je suis allée chanter directement dans les chambres de l’Ehpad. J’ai fait du chant au chevet, en one to one. Comme les contes, les chansons nous relient aux mémoires anciennes. Les personnes âgées entonnent des refrains enfouis dans leurs mémoires souvent défaillantes. Ils les connaissent par cœur. En remontant à la surface, les chansons ramènent aussi des émotions dans leur filet. Par exemple, il y avait ce vieux monsieur alité qui ressemblait à Jean Gabin : un visage très blanc, des yeux très bleus. Je chante Une chanson douce d’Henri Salvador et voilà que le monsieur devient tout rouge et se met à pleurer. Je lui ai demandé : « Voulez-vous que j’arrête ? » Il me dit : « Non, je suis trop content, je n’ai pas pleuré depuis des années. Cette chanson m’a fait penser à ma maman. »
Quand la clinique m’a demandé si je pouvais faire un autre atelier que le conte, j’ai proposé tout naturellement un atelier Chant. Et dix ans plus tard, j’ai le titre de musicothérapeute dans le service. La musique nous remet en situation de tribu, en cercle, elle nous met en mouvement et ensemble. Chanter ainsi est une source d’énergie énorme.
Je me souviens de cette femme arrivée à l’atelier avec une canne et qui était restée assise presque toute la séance. Au moment de chanter, elle s’est levée presque sans s’en apercevoir. Elle m’a rejointe plus tard dans une pièce plus loin, rapide et alerte. Là, elle s’est arrêtée stupéfaite et m’a dit : « C’est incroyable, j’ai oublié ma canne. » Ou encore cet homme qui me remercie tout sourire, car il est sorti de la séance trois fois pour aller pleurer aux toilettes. Bref, c’est en cela que je suis devenue une accoucheuse d’émotions. La musique libère. Elle déverrouille ce qu’on garde coincé dans la gorge et dans le cœur. Comme M. Jourdain faisait de la prose, je me suis mise à faire de la musicothérapie sans le savoir. Au départ, on m’embauchait pour raconter des contes et, au final, je faisais beaucoup plus de musique.
Parle-nous de ta dernière aventure, la sonothérapie, le bol tibétain
Je m’intéresse depuis longtemps aux spiritualités asiatiques : le Tai chi Chuan, le Qi Qong, les contes des sages taoïstes, le yoga, les mantras. Une passion en amenant une autre, je me suis intéressée à l’art du bol tibétain. Le son est une onde qui se propage et agit profondément sur les cellules. Celui des bols tibétains est constitué de quantité d’harmoniques, d’une quinte pour harmoniser, d’une quarte augmentée pour défaire les blocages. Leur action est toujours bénéfique, immédiate et prolongée.
En atelier, j’en fais souvent la démonstration avec un bol tibétain rempli d’eau qui, sous l’effet du son produit par le frottement des parois extérieures, se met à jaillir en micro-gouttelettes, effet spectaculaire et édifiant sur la mise en mouvement de la matière par le son. Je leur cite également les travaux de Fabien Maman sur l’impact du son sur la cellule, relatés dans son livre
Le Tao du son. A lire aussi le livre Tout est vibration de François-Marie Dru, dont je vais suivre prochainement une formation aux soins avec diapasons.
Je me suis formée à la « sonothérapie » par les bols tibétains à Paris, dans le Jura et jusqu’à Pondichéry. Puis j’ai ouvert un espace de soins à mon domicile et j’en ai vu tous les bienfaits, outre d’apaisement, mais aussi antalgiques sur des douleurs anciennes, profondes ou récurrentes, type migraines. J’ai ensuite eu envie d’apporter le bol dans les structures médicalisées.
Aujourd’hui, je prodigue la sonothérapie en chambre, à la clinique de géronto-psychiatrie de Garches, avant d’aller animer des séances collectives de chant patients/personnel dans les étages.
A la maison de santé de Meudon-Bellevue, je fais des soins aux bols aux membres du personnel, offerts par la direction qui souhaite les soulager de leur stress au travail. J’y anime pour les patients des ateliers mêlant sonothérapie,
Qi Qong, contes, chant et « bains sonores » avec de multiples petits instruments.

Quels ont été les défis dans cette nouvelle carrière ?
D’abord, il était essentiel pour moi de me sentir légitime en tant qu’art-thérapeute. Je me suis formée constamment et je continue, je ne m’endors pas sur mes acquis. Est-ce que ce que je propose est thérapeutique ? La réponse est clairement « oui », à considérer les témoignages des patients, les retours des médecins qui les suivent, et les vingt ans d’activité au sein d’un même établissement, la maison de santé de Meudon-Bellevue.
Ensuite, il m’a fallu m’adapter à tous les publics auxquels je n’étais pas préparée en tant qu’ex-sage-femme : la personne âgée, la personne en démence, la personne hospitalisée en psychiatrie, etc.
Le défi, c’est aussi d’aller bien soi-même. Pour venir chaque semaine envoyer de la lumière, il faut savoir recharger ses batteries. Outre la pratique du chant en chorale gospel, le yoga quotidien m’y aide beaucoup.
Enfin, il y a le côté entreprise à ne pas négliger. Il faut gérer la structure, développer son activité, chercher des lieux pour travailler. Je dois reconnaître qu’il y a aujourd’hui une grande ouverture dans les structures médicalisées. Je viens de créer mon auto-entreprise, j’ai signé les conventions en tant que musicothérapeute et sonothérapeute avec les cliniques où je travaille. Belle reconnaissance.
Comment as-tu intégré tes compétences de sage-femme dans ta pratique de la musicothérapie ?
Comme la sage-femme que j’étais, je continue à accompagner les personnes. Je m’adapte aux autres, je les accueille dans leur diversité, je suis à l’écoute de leurs besoins. Tout ça tient en un seul mot : Amour. Il faut aimer les gens. Cela veut dire être souple, bienveillant dans la proposition que l’on a de son métier, l’adapter à la réalité de l’autre, de ses différences, de sa culture, de ses besoins.
Quels aspects de ton ancien métier te manquent, le cas échéant ?
La présence du nourrisson. Avoir contre soi un nourrisson, c’est quelque chose d’irremplaçable. Comme dans le film La Belle verte, de Coline Serreau. Mila descend de cette planète verte et, pour se recharger, elle va dans les maternités la nuit serrer les bébés dans ses bras. Je suis comme Mila – même si je me retiens d’aller dans les maternités la nuit. Les nourrissons me manquent, le contact avec eux. Mais je n’ai pas à me plaindre, mon nouveau métier de musicothérapeute m’apporte beaucoup. L’émotion va dans les deux sens, je donne et je reçois. Un jour, Jacqueline, 95 ans, m’a dit : « Ta voix, c’est pas comme la mienne, c’est du soleil. Quand tu chantes, je deviens un oiseau. »Quand j’entends cela, je sais que j’ai fait le bon choix, je suis comblée.
Propos recueillis par Stéphane Cadé