Comment est née l’idée de cette consultation autour de la naissance ?
Lors des consultations de suivi de grossesse, je recevais de plus en plus de femmes exprimant leur mal-être suite à leur accouchement précédent. J’étais d’autant plus troublé que, ayant leur dossier et leurs antécédents entre les mains, il n’y avait rien de spécifique à signaler d’un point de vue médical. Mais leur accouchement les avait en partie détruites.
J’ai aussi lu le Livre noir de la gynécologie et de l’obstétrique, de Mélanie Déchalotte, publié en 2017 : les témoignages m’ont bouleversé ! Nous avons organisé une rencontre avec l’autrice au sein du réseau Maternité en Yvelines et Périnatalité active (Mypa). Ce fut difficile : les sages-femmes cadres ne parvenaient pas à entendre ce que la journaliste disait et la rencontre a été vécue sur le mode de la confrontation. En matière de violences obstétricales et gynécologiques, il s’agit souvent d’une inadéquation entre les attendus des patientes et des soignants. Quand une femme dit qu’on ne s’est pas occupé d’elle, il s’agit d’entendre qu’on ne s’est pas occupé d’elle comme elle l’entendait. La littérature est par ailleurs claire sur le risque de syndrome post-traumatique après un accouchement.
Il m’est donc apparu nécessaire de répondre à deux objectifs : fournir une explication aux femmes et dépister un syndrome post-traumatique (SPT) pour les orienter vers des soins adéquats. C’est ainsi qu’est née la consultation de discussion autour de la naissance, pour favoriser la communication entre soignants et soignés.
L’objectif ne devrait-il pas être de changer les pratiques ?
La prise en compte de la parole des femmes modifie à la fois notre approche technique, mais aussi nos savoir-être relationnels. Nous avons ainsi réduit notre taux d’épisiotomie, qui était de 30 % lors de la publication des recommandations de pratique clinique (RPC) sur la préservation périnéale de 2018, à 3,5 % environ aujourd’hui. Nous avons aussi réfléchi à la gestion de la douleur. Quand une femme a mal, nous proposons désormais des péridurales précoces en début de travail. La jeune génération d’anesthésistes semble plus à l’écoute pour ce type d’intervention, alors que les plus anciens avaient tendance à estimer que la péridurale n’est qu’une question de confort. Nous avons aussi travaillé sur les RPC concernant les césariennes à vif, publiées en 2021. À chaque fois, les témoignages entendus en consultation ont été utiles. Une patiente a en effet raconté avoir ressenti les gestes de la césarienne, mais n’avoir pas été crue lorsqu’elle a dit souffrir. Une autre témoignait de l’horreur vécue lors d’une révision utérine à vif : « Je comprends l’obstétricien intervenu en urgence, car il voulait me sauver la vie. Mais ce jour-là, il m’a tuée ! » Quand une dame dit non, c’est non ! Or il n’est pas rare que des obstétriciens décident toujours de pratiquer une révision utérine même quand, dans le scenario de formation à la gestion de l’hémorragie du post-partum en simulation, la femme hurle de douleur. Nous avons encore travaillé avec les anesthésistes pour pouvoir pratiquer une anesthésie générale avant une révision utérine. Les risques de l’anesthésie générale sont désormais faibles.
En matière de savoir-être, il ne s’agit plus simplement de donner des explications, mais de s’assurer qu’elles ont été comprises et de les réexpliquer. L’émotion lors de l’accouchement crée une sorte de cécité attentionnelle. Nous avons donc instauré le fait de revenir voir une patiente en suites de couches pour évoquer son vécu. Les soignants doivent aussi se rendre compte que les patientes sont attentives à la communication non verbale des équipes, qui peuvent montrer de l’inquiétude en cas de césarienne code rouge, par exemple. Ces compétences non techniques peuvent être enseignées et le sont de plus en plus.
Nous avons aussi modifié la préparation à la naissance délivrée à l’hôpital. Sans faire peur, il est utile d’informer sur le déroulement d’une césarienne, qui peut être nécessaire. Nous proposons aussi depuis 17 ans aux femmes de rédiger un projet de naissance. C’est un outil important pour discuter et échanger sur les représentations de chacun.
Y a-t-il un objectif médicolégal à ces consultations ?
La loyauté envers les collègues n’empêche pas la critique. Je ne suis pas là pour protéger un confrère ni pour l’attaquer. Je suis là pour protéger les femmes. Si je constate que nos équipes ont mal fait leur travail au sein de mon établissement, je présente des excuses. Si la femme a un mauvais vécu alors que ce qui devait être fait l’a été, je présente des regrets. Je peux informer les femmes sur leur droit de porter plainte, tout en leur expliquant que le parcours judiciaire est long et difficile. Il ne s’agit pas de les dissuader, mais j’ai rencontré des femmes détruites par la procédure judiciaire. Chaque partie veut avoir gain de cause, et les avocats se permettent tous les coups. C’est parfois très violent et peu réparateur.
Un élément est apparu au fil de l’expérience : les plaintes et lettres de réclamation diminuent grâce à la consultation de discussion autour de la naissance. Ce n’était pas l’objectif premier, mais nous savons que la plainte est en réalité souvent le moyen d’obtenir une explication. Nous évoquons cela auprès de collègues pour rendre l’initiative attractive. Notre ambition est en effet de généraliser le dispositif dans toutes les maternités des Yvelines.
Comment sont organisées ces consultations ?
La consultation dure trente minutes, en présence ou non du conjoint, qui a parfois besoin aussi d’explications. J’annonce qu’il n’y a pas de question bête, que tout peut être abordé. J’explique aussi qu’il peut y avoir des questions auxquelles je ne pourrais pas répondre. Typiquement, sur des questions anesthésiques ou pédiatriques, je peux orienter les femmes vers les professionnels concernés. Il n’y pas de limite dans le nombre de consultations dont une femme peut avoir besoin ni de délai entre la date de l’accouchement et la consultation. La majorité des femmes viennent deux fois, car trente minutes ne suffisent pas à faire le tour de la question. Une dame est venue à cinq consultations. Et je rencontre des femmes qui ont accouché 3 semaines auparavant, comme des femmes qui ont accouché il y a 30 ans, preuve qu’un traumatisme peut être charrié longtemps.
Cette consultation est incluse dans la prise en charge du post-partum. Pour l’instant, nous avons une heure et demie de créneau de consultation par semaine dans ce cadre. L’orientation vers des psychologues ou psychiatres n’a pu être organisée au sein de l’hôpital, car les professionnels sont déjà débordés. Nous orientons donc les femmes vers des libéraux. Au sein du réseau Mypa, dans le cadre de la prise en charge de la dépression du post-partum, nous collaborons avec un réseau de psychologues et de psychiatres qui se sont engagés à recevoir les femmes dans les 10 jours, sans dépasser un tarif de 60 euros par consultation. Mais l’accès aux soins psy reste problématique, car souvent les premières victimes de SPT sont des femmes en situation de précarité.
D’autres hôpitaux s’inspirent de votre expérience ou organisent des revues de morbi-mortalité de vécu. Comment voyez-vous l’avenir de ce type de consultation autour de l’accouchement ?
Ce type de consultation pourrait être menée par une sage-femme. Elles ont 85 % des réponses et peuvent orienter les femmes dans les autres cas. Quant aux revues de morbi-mortalité (RMM) classiques, les patients y sont cruellement absents. Comme il est difficile de les faire venir en RMM, il est en revanche possible de recueillir leur récit en amont. Disposer du verbatim d’une patiente est très opérant : nous pouvons identifier ses mots et ses maux, et aussi certaines discordances de perception.
Je me souviens d’une femme venue plusieurs fois à la consultation de discussion autour de la naissance. Elle avait un vécu de fausse couche tardive. Venue aux urgences obstétricales, alors bondées, elle n’a pu recevoir l’attention attendue et a eu peur de mourir. Nous avons revu cette situation en RMM grâce à son verbatim. Il était capital de prendre conscience qu’elle avait vécu une vulnérabilité folle !
Au fil des consultations de discussion autour de la naissance, j’ai proposé aux femmes de mettre leur récit par écrit. D’une part, cela a une vertu thérapeutique. D’autre part, c’est utile aux équipes. Je propose aux femmes de lire leur témoignage en staff, en anonymisant la situation, pour inciter à l’écoute des patientes. Je suis intimement convaincu que la majorité des soignants sont animés de bonnes intentions et pensent bien faire. La médecine de demain passera par les usagers. Il faut les écouter, car ils ont mille choses à nous apprendre.
■ Propos recueillis par Nour Richard-Guerroudj