Covid-19 et grossesse : ce que dit la science

Les informations sur le sujet évoluent vite, mais à l’heure à laquelle nous écrivons, elles restent assez rassurantes. Les femmes enceintes ne semblent pas plus à risque que les autres personnes et il n’y aurait pas de transmission verticale du Sars-Cov-2, le virus qui provoque le Covid-19. Focus sur les données scientifiques.

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Cet article a été mis à jour le 31 mars 2020

Le 11 mars, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) décrétait l’état de pandémie pour le Covid-19, maladie provoquée par le coronavirus Sars-Cov-2. À cette même date, la France comptait 2281 cas confirmés et 48 morts. Vingt jours après, malgré le manque de dépistage, notre pays recensait 51 128 cas confirmés, dont 22 757 personnes hospitalisées et 3523 décès à l’hôpital. Le nombre de cas réels, difficile à estimer, était beaucoup plus élevé. Les femmes enceintes, les fœtus et les nouveau-nés, considérés comme vulnérables, sont-ils plus en danger ?

Les premiers éléments de réponse fournis par la science sont rassurants. Mais les données sont encore parcellaires et susceptibles d’évoluer. En Chine, un strict confinement, qui a restreint des libertés publiques déjà très limitées, a permis de contenir l’étendue des contaminations. Les autorités ont caché le début de l’épidémie, mais les chercheurs chinois sont ensuite parvenus à transmettre d’importantes données à l’ensemble de la communauté scientifique internationale, à commencer par la séquence du génome viral, qui a permis d’élaborer les tests de dépistage par RT-PCR. Plusieurs articles ont également été publiés en matière de périnatalité.  

PAS DE SUR-RISQUE CHEZ LES FEMMES ENCEINTES

Dans un rapport de mission menée en Chine entre le 16 et le 24 février 2020, l’OMS soutient que le Sars-Cov-2 n’entraîne pas plus de symptômes chez les femmes enceintes. Sur 147 femmes enceintes infectées, « 8 % ont présenté une maladie sévère et 1 % était critique ». Les cas sévères ont besoin d’une assistance respiratoire mécanique ou présentent des défaillances d’organes qui demandent des soins intensifs. En population générale, « environ un quart des cas sévères et critiques requièrent une ventilation mécanique tandis que les 75 % restants ne requièrent qu’une supplémentation en oxygène », ajoutent les spécialistes.

La première étude publiée à ce sujet a été menée en Chine, sur 9 femmes présentant une pneumonie formellement attribuée au Sars-Cov-2, dont 7 avaient de la fièvre et d’autres symptômes (1). Elles ont été admises entre le 20 et le 31 janvier à l’hôpital de Wuhan, épicentre de l’épidémie, une grande ville de onze millions d’habitants. Toutes ont accouché par césarienne. Au 4 février, aucune n’avait développé de version sévère de la maladie et toutes avaient survécu. Leurs enfants allaient bien.

Dans une revue de littérature publiée en ligne le 25 mars (2), une équipe, essentiellement italienne, compare l’impact du Sars-Cov-2 sur la grossesse à celui de deux virus proches : le Sars-Cov-1, à l’origine d’une épidémie plus restreinte début 2003, et le Mers-Cov, ou coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient, détecté en 2012. « Les taux d’admission en unité de soins intensifs, de besoin de ventilation mécanique, de mort maternelle, sont significativement plus bas dans les grossesses affectées par le Covid-19, comparées à celles affectées par le Mers ou le Sars », écrivent les auteurs, qui ont recensé les données publiées à propos de 41 femmes enceintes. D’après leurs calculs, leur taux de ventilation s’élève à près de 5 %. À l’heure à laquelle nous écrivons, aucun décès de femme en péri-partum n’a été enregistré.

Publiée le 27 mars, une série portant sur sept femmes atteintes du Covid-19 ayant accouché dans une maternité de référence à New York apporte des précisions (3). Deux femmes ont en effet dû être hospitalisées en soins intensifs alors qu’elles étaient asymptomatiques lorsqu’elles se sont présentées pour un déclenchement du travail. La première est arrivée le 18 mars, à 37 semaines de grossesse, avec une hypertension chronique alarmante et des antécédents d’asthme intermittent et de diabète de type 2. Après l’échec du déclenchement, sa césarienne lui a permis de donner naissance à « un nouveau-né vivant vigoureux ». Mais 25 heures après, la patiente a développé une toux qui a vite dégénéré en détresse respiratoire, accompagnée de fièvre et de tachycardie. Cinq heures plus tard, la RT-PCR pour Sars-Cov-2 revenait positive.

La patiente a rapidement récupéré sur le plan respiratoire mais restait hospitalisée cinq jours après, pour un problème rénal. Arrivée le lendemain, la seconde patiente s’est également présentée sans symptôme évocateur de Covid, mais avec une cholestase intra-hépatique doublée d’un diabète mal contrôlé. Comme la première patiente, avant son diagnostic, elle a croisé quinze soignants sans protection adéquate, dotés d’un simple masque chirurgical, y compris lors de son intubation. Elle a été extubée au bout de 8 heures, est rentrée chez elle après 4 jours. Leurs deux enfants, placés dans la même chambre, allaient bien. Et la RT-PCR n’a pas permis de détecter de génome viral chez eux.

BARRAGE PLACENTAIRE

Le nouveau coronavirus ne semble en effet pas traverser la barrière placentaire, tout au moins lorsque l’infection survient au cours du dernier trimestre de grossesse. La première démonstration a eu lieu avec l’étude chinoise portant sur les neuf femmes atteintes de Covid-19 (1). Les médecins n’ont observé aucune asphyxie néonatale. Les bébés allaient tous bien. Le liquide amniotique, le sang de cordon, le lait maternel ainsi que des échantillons prélevés dans la gorge des nouveau-nés ont été testés. Tous sont revenus indemnes de Sars-Cov-2. En revanche, quelques très rares cas de transmission suite à des contacts rapprochés ont été décrits. Le premier a été confirmé 17 jours après la naissance, alors que sa mère et la sage-femme étaient toutes deux porteuses confirmées du virus.

Menée à peu près à la même époque, une autre étude, également conduite à Wuhan, dans la province d’Hubei, confirme l’absence de transmission materno-fœtale (4). Enregistrées auprès de 10 bébés nés de neuf femmes infectées, les données montrent que certains d’entre eux ont eu des soucis de santé. L’un est même mort. Mais les symptômes de ces nouveau-nés (prématurité, petits pour l’âge gestationnel, macrosomie, détresse respiratoire, symptômes gastro-intestinaux) n’ont pas pu être attribués au Sars-Cov-2.

D’ailleurs, début février, à la publication de l’article, hormis le décès, tous allaient bien. Les tests effectués sur des échantillons prélevés chez ces 9 enfants sont en effet tous revenus négatifs. Leurs mères ont accouché dans 5 hôpitaux de la ville entre le 20 janvier et le 5 février : 7 par césarienne et 2 par voie basse. Quatre d’entre elles ont commencé à présenter des symptômes (fièvre et toux) 4 jours avant la naissance, 2 le jour-même et les 3 dernières après la naissance. Aucune des femmes n’a reçu de traitement antiviral avant son accouchement. Une équipe de Singapour a inclus ces données à sa revue de littérature, menée sur 55 cas (5). Au total, aucune trace du virus n’a été retrouvée chez les bébés, mais les auteurs concluent à des complications fœtales associées au Covid-19 : fausses couches (2 %), RCIU (10 %) et prématurité (39 %).

Une étude chinoise plus récente porte sur une cohorte de 33 nouveau-nés issus de mères Covid+, à l’hôpital des enfants de Wuhan (6). Trois d’entre eux ont été testés positifs pour le virus, mais un seul avait des soucis de santé, attribués à sa prématurité plutôt qu’au virus. « Avec les strictes procédures de prévention et de contrôle de l’infection déployées au cours de l’accouchement, il est probable que les sources du Sars-Cov-2 trouvé dans le tractus respiratoire supérieur ou dans l’anus des nouveau-nés soient d’origine maternelle », concluent les auteurs.

Menée seulement sur trois cas, une autre étude chinoise confirme l’absence de transmission materno-fœtale (7). Les trois femmes ont contracté l’infection à Sars-Cov-2 en fin de grossesse. Une seule a accouché par voie basse. Les tests réalisés sur des échantillons prélevés sur des écouvillons oro-pharyngés, des placentas, du mucus vaginal et du lait maternel vont tous à l’encontre de cette transmission. D’autres scientifiques ont examiné et testé les placentas de trois grossesses également survenues à Wuhan. Publiée le 1er mars dans le Chinese Journal of Pathology, avec un résumé en anglais, l’étude confirme qu’il n’y a aucune modification pathologique du placenta des femmes infectées en fin de grossesse. En revanche, les effets d’une transmission en début de grossesse ne sont pas encore connus.

TRANSMISSION VERTICALE ?

Pourtant, deux études publiées le 26 mars (8, 9) interrogent une possible transmission verticale. Les auteurs, qui n’ont pas retrouvé d’ARN viral chez les nouveau-nés, s’inquiètent d’avoir identifié chez trois d’entre eux des anticorps dirigés contre le Sars-Cov-2. Ils rapportent des concentrations sanguines élevées d’immunoglobulines M (IgM), mesurées juste après la naissance. Les enfants présentaient aussi des taux élevés d’IgG. « Ces données ne prouvent pas la transmission in utero », commentent deux chercheurs anglais. Ces derniers soulignent néanmoins que les IgM sont trop grosses pour traverser le placenta. Leur présence dans le sang des bébés pourrait alors refléter une production fœtale, successive à une infection des fœtus eux-mêmes. À moins que les résultats ne soient de faux positifs ? Les tests sérologiques basés sur les IgM sont en effet peu sensibles et peu spécifiques.

Face aux quasi-preuves d’absence de transmission verticale, même les Chinois ont fini par se convertir à la possibilité pour une femme infectée d’accoucher par voie basse. Après avoir recommandé la césarienne et la séparation mère-enfant, trois obstétriciens de Pékin et Hong Kong ont changé d’avis (10). Ils recommandent cependant de réduire la durée des efforts expulsifs, « car la poussée active pendant qu’on porte un masque chirurgical serait difficile ». Ils invitent également les professionnels à se renseigner sur le passé récent de toute parturiente, pour évaluer ses risques d’exposition au virus. Pendant leurs efforts expulsifs, les femmes exhalent et postillonnent davantage, plus fort et plus loin. Le risque de transmission du virus aux professionnels qui les accompagnent est donc majoré.

  • (1) H. Chen et coll., « Clinical characteristics and intrauterine vertical transmission potential of COVID-19 infection in nine pregnant women: a retrospective review of medical records», The Lancet, 7 mars 2020
  • (2) D. Di Mascio et coll., « Outcome of Coronavirus spectrum infections (SARS, MERS, COVID 1 -19) during pregnancy: a systematic review and meta-analysis », American Journal of Obstetrics & Gynecology MFM, 25 mars 2020
  • (3) N. Breslin et coll. « COVID-19 in pregnancy: early lessons », American Journal of Obstetrics & Gynecology MFM, 27 mars 2020
  • (4) H. Zhu et coll. « Clinical analysis of 10 neonates born to mothers with 2019-nCoV pneumonia », Translational Pediatrics, février 2020
  • (5) P. Dashraath et coll. « Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) Pandemic and Pregnancy », American Journal of Obstetrics &Gynecology, 23 mars 2020
  • (6) L. Zeng et coll. « Neonatal early-onset infection with SARS-CoV-2 in 33 neonates born to mothers with COVID-19 in Wuhan, China », JAMA Pediatrics, 26 mars
  • (7) W. Liu et coll. « Coronavirus Disease 2019 (COVID-19) During Pregnancy: A Case Series », Preprints, 25 février 2020
  • (8) Dong L. et coll. « Possible vertical transmission of SARS-CoV-2 from an infected mother to her newborn », JAMA, 26 mars 2020
  • (9) Zeng. H. et coll, « Antibodies in infants born to mothers with COVID-19 pneumonia », JAMA, 26 mars 2020
  • (10) H. Yang et coll. « Novel coronavirus infection and pregnancy », Ultrasound in Obstetrics & Gynecology, 5 mars 2020