Quels sont les principaux résultats de votre enquête sur l’évolution de la sexualité des jeunes en France ?
L’âge moyen du premier baiser, à 13,6 ans, et celui du premier rapport sexuel, à 17 ans, sont assez stables. Mais ce sont quasiment les seules constantes. Tout le reste a beaucoup changé. Par exemple, il y a aujourd’hui une disparité beaucoup plus grande sur l’âge du premier rapport sexuel. L’étalement est plus grand. Certains jeunes sont plus précoces, annonçant un premier rapport à 13 ans, quand d’autres ont des rapports beaucoup plus tard. L’accroissement du nombre de partenaires est plus affolant. J’ai travaillé avec un échantillon de 200 jeunes âgés de 17 à 30 ans qui ont répondu à un questionnaire en ligne courant 2021. La moyenne d’âge est de 23 ans. Or les jeunes hommes annoncent une moyenne de 10 partenaires, avec une médiane à 5,5, et les jeunes femmes une moyenne de 7 partenaires, avec une médiane à 4. C’est beaucoup plus élevé que les chiffres annoncés dans de précédentes études, même si c’est difficile de comparer. Il y a tout de même une explosion de ce chiffre. Certaines personnes ne savent même pas donner le nombre approximatif de partenaires, tellement il est élevé. Ils peuvent annoncer 99, quand d’autres parlent de 70 ou 80. Il y a également une forte croissance de la sexualité orale puisque 77 % des jeunes annoncent avoir pratiqué des fellations et 74 % des cunnilingus. Par ailleurs, 100 % de la population masculine de l’échantillon ont visionné de la pornographie, en commençant en moyenne à 13 ans. Deux tiers en consomment régulièrement. Certains y ont accès dès 8 ans. Du côté des filles, 66 % d’entre elles en ont visionné, commençant en moyenne à 16 ans. En parallèle, seul un tiers des garçons trouvent l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle insuffisante, contre deux tiers des filles.
Comment interprétez-vous ces résultats ?
Les jeunes se mettent sur des sites de rencontre avec géolocalisation pour trouver un partenaire. Chaque semaine, ils peuvent avoir plusieurs partenaires différents. Donc le nombre de partenaires augmente très très vite. Certains jeunes consomment du sexe comme un anxiolytique, avec un accroissement considérable du nombre de partenaires. Même s’il y a une grande disparité, avec quelques jeunes qui ont très peu de partenaires, globalement, le nombre s’est vraiment accru. À l’inverse, j’ai l’impression que d’autres jeunes sont à contre-courant. Le modèle sociétal actuel d’hypersexualité ne leur convient pas. Ils reculent l’âge de leur premier rapport et ont très peu de partenaires.
Pour beaucoup, le premier acte sexuel relève de l’orogénitalité, dont la pratique a franchement augmenté. À travers ce que j’ai vu sur les réseaux sociaux et, surtout, les échanges que j’ai avec les jeunes sur le terrain, dans les établissements scolaires, je constate que la fellation et le cunnilingus sont intégrés dans le script amoureux. Ce type de sexualité serait-il devenu un rite de passage ? Je m’interroge. Les jeunes ont beaucoup de croyances. Nombreux sont ceux qui pensent que le sexe oral est un préliminaire obligatoire. Tout le monde le fait. Pour être cool, il faut l’avoir fait, en plus d’autres pratiques. Ils cochent des cases. Ces jeunes mettent beaucoup de temps à comprendre que ce schéma est véhiculé par les médias et la pornographie, mais que ce n’est pas un passage obligé. Il y a beaucoup de croyances à déconstruire. Pourtant, quand on évoque l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, deux tiers des garçons pensent être informés sur le sujet. Mais leurs sources d’information ne sont pas toujours justes et pertinentes ! C’est d’autant plus inquiétant que l’échantillon de mon étude présente un biais de recrutement : les jeunes viennent probablement de milieux socio-économiques plutôt élevés, ils ont tous fait des études.
Que pensez-vous de la loi sur l’éducation à la sexualité ?
Elle n’est absolument pas respectée. Quand ils existent, les enseignements arrivent beaucoup trop tard. J’interviens sur demande, en collèges et lycées essentiellement, même s’il m’arrive de passer en primaire ou en post-bac. L’autre jour, j’étais encore avec une classe de première dont les élèves regrettaient de ne pas avoir eu cette intervention plus tôt. Il y a une méconnaissance des directeurs d’établissement et des adultes encadrants des âges auxquels les choses se passent pour les jeunes. Eux-mêmes parents, ils sont mal à l’aise avec ces sujets et ont peur de ce que l’on va dire à leurs jeunes, qu’on les incite à la contraception, à avoir une sexualité, qu’on parle de masturbation… Pourtant, notre rôle est simplement d’informer, faire réfléchir et prévenir. Je fournis aussi des ressources, des Numéros Verts, etc. Les enfants sont très demandeurs, mais les adultes mettent beaucoup de freins. Ils font alors barrage à la prévention. Certains font carrément de la résistance. Il m’est arrivé d’intervenir auprès d’une classe de première tard le soir, après les cours, auprès des seuls enfants volontaires. J’ai alors découvert que le directeur d’établissement leur avait fait payer l’intervention ! En plus, c’était en pleine période du bac… À l’inverse, un autre établissement m’a appelée pour construire un programme de la cinquième à la seconde. C’est rare. Mais cet établissement, qui est plutôt un bon élève, ne respecte pas le minimum légal puisqu’il propose seulement 2 heures de cours par an entre la cinquième et la seconde contre les 3 heures obligatoires chaque année. La plupart du temps, les interventions sont tout à fait ponctuelles et très insuffisantes. Elles arrivent toujours trop tard. On peut m’appeler après des incidents : harcèlement sur les réseaux sociaux, revenge porn, demandes de changement de genre, violences sexuelles, tensions autour des orientations sexuelles… Ce que vivent les jeunes est très dur. Il est indispensable de faire de la prévention, d’évoquer le consentement, les problèmes relationnels, qui surviennent souvent avant les problèmes plus directement liés à la sexualité. Pour les établissements, c’est difficile, car ils n’ont pas d’heures dédiées à ce type d’éducation. En plus de jongler avec les emplois du temps, de devoir prendre du temps sur d’autres enseignements, les établissements doivent se débrouiller pour trouver eux-mêmes les financements. Ils n’ont pas de budget alloué. La réalité du terrain est vraiment très différente de la théorie. Pourtant, il y a une réelle demande. Après chaque intervention, j’ai entre 90 % et 95 % d’élèves satisfaits.
■ Propos recueillis par Géraldine Magnan