Covid-19 : « Les femmes enceintes doivent rester à l’abri »

Olivier Picone travaille dans le service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital Louis Mourier, à Colombes, en région parisienne. L’établissement relève de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (APHP). Nommé professeur depuis quelques années, il est aussi président du Groupe de recherche sur les infections pendant la grossesse (Grig). Après presque deux mois d’épidémie, il fait le point sur l’influence du Covid-19 en périnatalité.

Vous travaillez à la maternité de l’hôpital Louis Mourier, à Colombes, en région parisienne. Quelle est la situation ?

Alors que les femmes enceintes malades du Covid-19 étaient nombreuses, quinze jours après le début du confinement, le nombre de patientes infectées a diminué. Nous avons eu plusieurs femmes hospitalisées et quelques-unes admises en service de réanimation. La grande majorité de ces patientes sont sorties. À ma connaissance, en France, nous avons déploré un à deux décès de femmes enceintes présentant, en plus du Covid-19, des pathologies complexes. Dans notre pays, nous n’avons, à ma connaissance, à ce jour, pas connu de fausse couche tardive ou de mort fœtale in utero qui seraient directement  liées au Covid-19. En revanche, plusieurs femmes ont subi une césarienne en urgence. Ces patientes se dégradaient au niveau respiratoire. À l’hôpital Louis Mourier, nous n’avons pas vu de tels cas et n’avons réalisé aucune césarienne pour ce motif.

Après le pic survenu dans les deux premières semaines après la mise en place du confinement, le nombre de femmes infectées a beaucoup diminué. Le confinement a vraiment été bénéfique. On peut dire qu’il a probablement sauvé des milliers de vies. Les femmes enceintes semblent avoir été très à l’écoute, très respectueuses du confinement. Il faut qu’elles continuent à se mettre à l’abri, à respecter les mesures barrières, l’hygiène, le port du masque. Aujourd’hui, nous recevons un faible nombre de femmes infectées. Cela va probablement continuer, même si nous redoutons une remontée de cas avec la sortie de confinement. Pour ma part, j’ai la certitude que le nombre de cas va ré-augmenter. D’ailleurs, il ne faudrait pas parler de déconfinement, mais de confinement différent.

Pour les femmes enceintes, quels sont les facteurs de risque de développer une forme grave de la maladie Covid-19 ?

Le premier d’entre eux est le surpoids, à partir de l’obésité modérée, avec un indice de masse corporelle supérieur à 30. Les femmes dans ce cas ont beaucoup plus de risques d’être hospitalisées dans un service de réanimation. Globalement, dès qu’il y a une pathologie préexistante, il y a plus de risques. Le diabète, l’hypertension et l’asthme sont importants. On retrouve les mêmes facteurs de risque qu’en population générale. Au début, nous avions peur que les femmes enceintes soient plus à risque, comme avec la grippe. Mais pour l’instant, avec les premières données dont nous disposons, cela ne semble pas être le cas. Même s’il faut rester très prudent car les données sont encore très évolutives. En elle-même, la grossesse ne paraît pas aggraver la maladie. Il faut seulement faire très attention à l’obésité et aux pathologies associées. Mais si le Covid-19 ne semble pas compliqué par la grossesse, la prise en charge d’une femme infectée est beaucoup plus compliquée pour les équipes.

Quelle palette de symptômes avez-vous observée chez les patientes ?

Ici aussi, nous retrouvons les mêmes symptômes que ceux observés en population générale. À l’entrée à l’hôpital, le symptôme le plus fréquent est la toux, devant la fièvre. Viennent ensuite la dyspnée, la modification du goût et de l’odorat, puis des diarrhées ou des vomissements. En outre, nous mettons systématiquement les femmes infectées sous anti-coagulant, à dose préventive ou curative, car il y a un risque de phlébite et d’embolie pulmonaire. À ma connaissance, nous n’avons observé ni l’un ni l’autre chez des femmes enceintes, mais plusieurs embolies pulmonaires sont survenues chez des patients infectés. Le Covid-19 paraît bien associé à des troubles de l’hémostase. Nous avons encore très peu de recul sur cette maladie qui était inconnue il y a seulement quelques mois. Nous apprenons beaucoup au fur et à mesure.

Il y a encore un débat autour d’une possibilité de transmission verticale. Qu’en pensez-vous ?

Alors qu’il y a deux mois, au vu des premières données scientifiques chinoises, nous pensions quasiment impossible la transmission virale materno-fœtale, aujourd’hui, nous sommes plus prudents. Cette transmission verticale paraît possible mais très faible. Il y aura quelques cas, mais ils ne seront a priori pas graves. Par ailleurs, lorsque l’infection reste localisée à la sphère respiratoire, il n’y a pas de conséquence sur le fœtus. Pour l’heure, nous n’avons observé aucun signal d’alerte qui évoquerait des malformations fœtales liées au virus. Les pédiatres restent vigilants, mais ils sont rassurants. Nous n’avons pas non plus observé de prématurité spontanée, même si nous avons encore très peu de recul, notamment sur les infections survenant au cours des deux premiers trimestres. Il faut encore attendre pour cela. Mais nous savons déjà que le récepteur utilisé par le virus pour pénétrer les cellules (ACE2, pour enzyme de conversion de l’angiotensine II) est très peu présent dans le placenta en début de grossesse. On le trouve davantage plus tard, au fur et à mesure de l’évolution de la grossesse. Mais cela n’est pas forcément inquiétant, car la présence du virus dans le placenta ne signifie pas qu’il va contaminer le fœtus.

Quelles conséquences l’infection de la mère peut-elle avoir sur son fœtus ?

Aujourd’hui, les principaux problèmes sont dûs à des effets indirects de l’infection de la mère. Il faut par exemple surveiller la possibilité d’une hypoxie prolongée, qui surviendrait lors d’un passage en réanimation de la mère en situation de détresse respiratoire. Dans le même ordre d’idée, il y a la prématurité induite, quand nous devons extraire en urgence le bébé car l’état respiratoire de sa mère se dégrade. Ces extractions sont décidées au cas par cas. Si la grossesse est à 20 SA ou 25 SA, nous essayons de conserver le fœtus le plus longtemps possible dans le ventre de sa mère. En revanche, quand l’état de la mère se dégrade alors que sa grossesse a dépassé les 30 SA, nous n’attendons pas pour césariser. Avec les maternités des hôpitaux de Béclère, Bicêtre et d’Ivry, en région parisienne, notre établissement participe à une étude. Nous avons colligé une centaine de cas. Les résultats sont en cours de publication. Dans cette petite cohorte, il n’y a eu aucune fausse couche tardive. Nous continuons d’inclure des patientes.

Faudrait-il tester toutes les femmes enceintes ?

 À l’hôpital Louis Mourier, toute patiente symptomatique a été testée. Aujourd’hui, nous réfléchissons aux modalités pour mettre en place un test de dépistage systématique pour toute patiente entrante, mais ce n’est pas encore fait. Une étude a montré qu’à New York, deux tiers des femmes infectées à l’entrée en maternité étaient asymptomatiques. Je ne crois pas que nous obtiendrons de tels niveaux chez nous. Cela aurait pu éventuellement être le cas avant le confinement, mais plus aujourd’hui. Encore une fois, les femmes enceintes sont très prudentes et se protègent bien. Le seul intérêt de ce dépistage serait de protéger le personnel. Mais cet intérêt est très relatif, car le résultat négatif d’une PCR n’exclut pas le risque. L’hygiène a été renforcée pour tous les accouchements. Les sages-femmes portent un masque chirurgical et une visière, ainsi que casaque, charlotte et surblouse. Il n’y a que pour l’accouchement de femmes infectées, chez qui la présence du virus a été testée et prouvée, que les sages-femmes portent un masque FFP2. Le virus se trouve dans le tractus digestif et l’accouchement est un évènement à risque d’aérosolisation. Quand une femme pousse, elle peut tousser et c’est difficile pour elle de garder un masque. L’accouchement est donc un moment à risque de contamination. Mais dans les salles de naissance, les gens se protègent bien et cela semble efficace.   À la maternité de l’hôpital Louis Mourier, il n’y a eu aucune sage-femme contaminée.

Les propos d’Olivier Picone ont été recueillis le 5 mai 2020.