Comment la cartographie Urkind® se positionne-t-elle dans votre pratique et dans le parcours de la femme enceinte ?
J’utilise la cartographie dans le cadre de l’entretien prénatal précoce (EPP), qui est bien souvent le premier contact que j’ai avec les parents qui viennent me consulter. L’EPP, qui est désormais obligatoire, constitue une étape primordiale dans le suivi de la grossesse. C’est un moment privilégié avec les parents. Pendant une heure environ, je prends le temps d’établir un climat de confiance avec eux, de les écouter avec bienveillance. L’objectif premier est de mettre en évidence leurs forces et leurs compétences dans ce projet de naissance. L’EPP est aussi un outil de prévention : il s’agit de mettre au jour les vulnérabilités, les facteurs de risque ou les freins qui peuvent constituer des difficultés pour ce couple-là.
La cartographie est un outil centré sur les parents, sur le ressenti de la femme ou du couple. Elle ouvre un espace de communication avec les parents et les rend acteurs du projet de naissance. Leur environnement propre et leur histoire de vie sont pris en compte de façon globale, en abordant différents aspects : médicaux, psychologiques, familiaux et sociaux.
La cartographie guide les parents en leur posant la question suivante : « De quoi avez-vous besoin, en tant que parents, pour mener à bien ce projet de naissance, vous sentir en sécurité et disponibles pour accueillir ce bébé ? » Parfois, les parents sont surpris parce qu’ils pensent que la sage-femme va leur dire comment faire… alors qu’elle est là pour les accompagner et leur faire identifier leurs propres ressources et compétences.
Pour la sage-femme, la cartographie donne une vision globale et synthétique de la situation, et permet “d’allumer des clignotants” verts, orange ou rouges, selon le ressenti exprimé par la femme ou le couple. Ainsi, en objectivant ce que la sage-femme perçoit en tant que professionnelle, la cartographie Urkind® « met de la science dans l’intuitif », pour reprendre les mots de Nathalie Piquée, sage-femme et gestalt-thérapeute qui a mis au point cet outil. Elle permet aussi de prendre en compte l’histoire de vie des parents sans opérer de transfert de nos propres projections.
En quoi cette cartographie a-t-elle modifié vos pratiques ? Quels sont ses apports pour vous, en tant que professionnelle, et pour les futurs parents ?
La cartographie a donné du cadre à mon accompagnement en constituant un lien naturel entre tous les aspects de ma pratique, une convergence de mes compétences professionnelles et humaines. Cet outil est vraiment en accord avec ma façon de guider les parents. Il est très contenant et les place au centre d’un accompagnement holistique en mettant l’accent sur leurs capacités, sur le positif.
Il permet d’ouvrir un espace de dialogue, de compréhension et de résilience. La sage-femme est dans l’écoute bienveillante du langage verbal et non verbal, prend note de ce qui est exprimé par les parents, sans leur demander de lever le voile de l’intime.
La cartographie permet aussi d’aborder, avec la femme ou le couple, des difficultés ou des éléments de vie particuliers qui pourraient passer inaperçus lors d’un entretien classique, parce qu’ils n’auraient pas forcément été évoqués lors de la conversation. C’est le cas par exemple de relations conflictuelles avec les parents ou d’histoires familiales compliquées qui peuvent provoquer des tensions et avoir un retentissement sur le vécu de la grossesse.
Je trouve que, avant d’utiliser la cartographie, l’EPP se limitait souvent à une sorte de questionnaire assez formel. Aujourd’hui, il s’agit d’un véritable dialogue avec les parents, étayé par les supports imagés qui donnent matière aux échanges tout en permettant le recul nécessaire vis-à-vis de leur propre histoire de vie.
La cartographie aide vraiment les parents à être acteurs et autonomes dans le déroulement de la grossesse et de la préparation de la naissance. De mon côté, ce support me permet de disposer d’une vision globale de la situation, de prendre la mesure de leur histoire, tout en identifiant les points de vigilance, ceux pour lesquels je dois me rendre particulièrement disponible dans la suite de l’accompagnement, ou qui peuvent m’amener à proposer une orientation vers un autre professionnel. C’est aussi un outil de prévention de la dépression du post-partum, en révélant des facteurs de risque tels que des rapports conflictuels avec les parents, des conditions de vie difficiles ou un isolement social.
Les parents ont-ils bien accueilli la cartographie ?
Tous les couples auxquels j’ai proposé la cartographie l’ont bien accueillie. Ils sont parfois surpris de voir que je prends le temps de les écouter, d’observer avec eux tous les aspects de leur vie, sans jugement, que nous soulignons ensemble ce qui est positif… Certains pensaient que j’allais aborder uniquement les aspects médicaux de l’accouchement, que je leur poserais quelques questions administratives, et que je finirais l’entretien en leur remettant une liste d’affaires à emporter à la maternité !
Les images de la cartographie constituent un support vraiment intéressant. Les femmes posent leur regard sur chaque image et laissent venir leur ressenti. Cela les aide à intérioriser leur réponse, à se reconnecter à elles-mêmes et à poser le curseur selon ce qu’elles ressentent : grand soleil, nuages… Les femmes se sentent écoutées et responsabilisées, tout en étant rassurées quant à leurs compétences de maman.
Quelle est la posture de la sage-femme lors de l’entretien ?
La sage-femme accompagne la femme ou les membres du couple, chemine avec eux avec respect et bienveillance. Elle leur manifeste un élément primordial en leur disant : « Vous disposez de ressources. Je suis là pour vous guider, pour booster vos compétences de parents, mais tout ce dont vous avez besoin est déjà en vous. » C’est parfois un peu déstabilisant pour ceux qui ont déjà été confrontés à un système de soins patriarcal ou déresponsabilisant…
En mettant l’accent sur le positif, sur toute cette surface jaune qui a été coloriée, la femme prend conscience de ses ressources, de l’énergie dont elle dispose pour mener à bien cette grossesse. C’est très rassurant, y compris quand elle a évoqué, au cours de l’échange, des soucis particuliers qui sont pesants pour elle. Je lui dis alors : « Tout ce jaune va vous aider à gérer la situation. Et nous allons travailler ensemble pour augmenter encore cette énergie disponible. »
Il est essentiel également que les parents se sentent accueillis et rassurés, quel que soit ce qu’ils déposent en entretien. Parfois, avant d’exprimer leur ressenti vis-à-vis de telle ou telle situation représentée sur l’image, certaines femmes cherchent du regard l’approbation de la sage-femme. Il est important de leur faire comprendre alors que ce sont elles qui savent, qu’elles peuvent faire confiance à ce qu’elles ressentent, ici et maintenant. Il n’y a pas de « bonne » ou de « mauvaise » réponse !
Enfin, la dernière image concerne le ressenti de la sage-femme vis-à-vis de la situation. C’est alors l’occasion pour elle d’exprimer au couple ce qu’elle perçoit, de sa place de professionnelle, tout en insistant sur les éléments positifs qui ont été mis au jour pendant l’échange.
Pourriez-vous décrire une situation qui vous a marquée ?
Je me souviens d’un couple antillais, que j’avais questionné à propos de sa matrice de soutien. Ils me disaient à quel point ils se sentaient épaulés par leurs familles respectives. J’imaginais alors que leurs parents, frères et sœurs, vivaient à une courte distance de leur domicile, alors qu’en réalité, ils étaient restés aux Antilles… Ma notion d’isolement n’était pas la même que la leur : ils se sentaient soutenus par leurs familles même si celles-ci n’étaient pas proches d’eux géographiquement. Au contraire, une femme que j’ai accompagnée me disait souffrir d’isolement alors que sa famille vivait dans la région. La cartographie permet de prendre en compte le ressenti de la femme et du couple de manière objective, ici et maintenant, dans leur histoire de vie.
Je me souviens également d’une jeune femme qui, en évoquant tour à tour son environnement socio-économique, ses relations avec ses parents et sa situation professionnelle, a pris vraiment conscience que son travail ne lui plaisait pas. Elle s’était engagée dans cette voie pour faire plaisir à ses parents et répondre à leur désir, mais ce n’était pas ce qu’elle souhaitait au fond d’elle-même. Au fil du temps, j’ai vu cette jeune femme s’émanciper peu à peu, exprimer son ressenti à ses parents, se positionner différemment pour, au final, se détacher de leur emprise et envisager une reconversion professionnelle vers un métier qui l’attirait vraiment. C’est un bel exemple d’autonomisation, et c’est ce que je répète aux femmes et aux couples : « C’est vous qui savez : écoutez votre ressenti, faites-vous confiance ! »
La cartographie pourrait-elle selon vous être utilisée dans d’autres circonstances que l’accompagnement à la naissance ?
Oui bien sûr. Sur le plan professionnel par exemple : quand j’ai suivi la formation sur la cartographie il y a trois ans, j’ai eu l’occasion d’en remplir une moi-même et de m’intéresser à mon propre ressenti. Cela a boosté mes compétences de sage-femme et m’a encouragée à transmettre à mon tour cette vision positive, cette bienveillance et cette confiance envers les capacités des parents.
J’ai eu l’occasion, aussi, d’utiliser la cartographie dans le cadre privé, auprès d’une amie qui me faisait part de son désir ambivalent de grossesse. Poser, avec ce couple, au calme, tous les éléments de la situation à l’aide des cartes imagées, leur a permis de faire le point, d’y voir plus clair et de prendre leur décision sereinement.
La cartographie pourrait aussi être utilisée auprès des personnes âgées, car elle s’intéresse à la fois aux ressources de la personne, à son rapport au corps, à la vie passée et présente, aux projets, à la fin de vie aussi. Finalement, la cartographie est adaptable à l’infini !
■ Propos recueillis par Emmanuelle Barsky, à la demande de Nathalie Piquée