Une « cellule de crise sage-femme » dédiée au Covid-19

Née des atermoiements des autorités sanitaires, la Cellule de crise sage-femme se veut réactive. Elle cherche à répondre aux questions des sages-femmes de terrain. Réunies à l’initiative du Collège national des sages-femmes, la société savante de la profession, plusieurs organisations de sages-femmes y participent.

Tous les deux jours depuis le 14 mars 2020, les membres de la Cellule de crise sage-femme dédiée au Covid-19 tiennent une conférence téléphonique. © Brian Jackson -Adobestock

« Quelques jours avant les annonces d’Édouard Philippe à propos de la fermeture des commerces [qui ont eu lieu le 14 mars, ndlr], j’ai fait une saisine auprès du ministère de la Santé. J’étais inquiet de l’épidémie à venir. J’avais aussi eu des échos de Mulhouse, qui montraient que le Covid-19 n’allait pas s’arrêter à l’Italie. Or, on pouvait reporter les interventions chirurgicales, mais les grossesses n’allaient pas s’arrêter. Il fallait que les sages-femmes s’organisent au plus vite. Elles sont en première ligne et doivent rester sur le terrain. » Adrien Gantois, président du Collège national des sages-femmes (CNSF), a dû patienter longtemps pour obtenir un semblant de réponse. Le secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé et des Solidarités, Adrien Taquet, a en effet attendu le 31 mars pour publier un communiqué sur l’accompagnement lié à la grossesse et à l’accouchement en période de Covid-19. Deux jours après, soit le 2 avril, la Haute Autorité de santé publiait à son tour ses préconisations sur le sujet (lire ici). La réponse de Santé Publique France, que le président du CNSF avait également contacté en amont du confinement, n’est quant à elle jamais arrivée. Heureusement, les sages-femmes n’ont pas attendu leurs tutelles pour organiser leur réponse sur le terrain. Dès le 14 mars, une « Cellule de crise sage-femme » était créée. Aujourd’hui, elle rassemble des membres des principales organisations professionnelles de sages-femmes.

NAISSANCE SPONTANÉE

« Le comité d’administration du Collège devait se réunir le 14 mars, raconte Adrien Gantois. Nous avons changé l’ordre de la réunion et j’ai demandé à Yann Sellier, qui est sage-femme et virologue, de nous faire un topo sur le Covid-19. Il fallait communiquer envers les sages-femmes, leur donner des outils. En effet, il ne fallait pas que les professionnelles paniquent, sinon les femmes allaient elles aussi paniquer. Nous avons pensé qu’il nous fallait d’abord un regard scientifique. Quelques membres de la commission scientifique du Collège ont donc rédigé un communiqué sur ce sujet. Mais au cours de cette réunion, nous avons aussi réalisé que les sages-femmes allaient devoir poursuivre une partie leur activité, mais sans aucun moyen de le faire correctement. Le ministère de la Santé restait dans la continuité de ce qui se faisait sous Agnès Buzyn : une fois encore, les sages-femmes n’étaient pas incluses dans la boucle. » Les présents à la réunion décident alors de créer la « Cellule de crise sage-femme », pour répondre en urgence aux questions des professionnelles de terrain. À ce moment, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a déjà publié des préconisations, très hospitalo-centrées. Rien n’existe pour les libérales, elles aussi en première ligne. Les membres du CNSF présents en réunion décident donc d’associer à leur cellule l’Association nationale des sages-femmes libérales (ANSFL). La cellule de crise se dote également d’un e-mail, où toute sage-femme peut poser des questions, faire remonter ses problèmes : sf.urgence.covid19@gmail.com

Le jour-même, soit le samedi 14 mars, le CNSF conseille aux sages-femmes libérales de refuser dans leur cabinet la présence des personnes non indispensables (accompagnant, enfant, visiteur, stagiaire…), de reporter les séances de préparation à la naissance et à la parentalité collectives, ainsi que les séances de rééducation du périnée. Il conseille également d’espacer les rendez-vous, de retirer de la salle d’attente tous les objets susceptibles d’être touchés (jeux, revues…) et de repérer les patientes symptomatiques, de leur faire porter un masque et d’en porter un soi-même pendant leur consultation. Le lundi 16 mars, le président du CNSF contacte également le Conseil national de l’Ordre des sages-femmes (CNOSF) : « il nous faut des masques, il nous faut un accès à la téléconsultation ! », demande-t-il en substance. 

PAS DE MASQUE, PAS DE TÉLÉSANTÉ

Le 17 mars au matin, Adrien Gantois, furieux de n’avoir toujours aucune réponse des autorités, tente une énième parade. Sur son fil twitter, il écrit : « Si je n’ai pas de réponse de la part du ministère à 14h concernant l’accès aux masques chir et à la télémédecine, je demanderais aux sages-femmes libérales de fermer leur cabinet. » Le ministère de la Santé, le ministre Olivier Véran, le CNOSF, l’ANSFL et l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF), qui appartient à la Cellule de crise sage-femme depuis le début, sont nommément en copie du message. Il faut dire que ce même matin, un arrêté publié au Journal officiel pour répartir la dotation des masques réquisitionnés par l’État « oublie » les sages-femmes. Aucun masque de protection pour elles !

« Cela me rend dingue, commente Adrien Gantois. Le ministère de la Santé est-il aussi irrespectueux envers notre profession car elle s’occupe exclusivement des femmes ? » L’erreur sera réparée en fin de journée. Chaque semaine, une sage-femme pourra se voir attribuer 6 masques chirurgicaux. Une bien maigre dotation, lorsqu’on sait qu’un tel masque ne doit pas être porté plus de 4 heures. Dotation d’autant plus maigre qu’elle n’est que théorique. « Sur le terrain, c’est toujours la débrouille, poursuit Adrien Gantois. Chacun doit voir le pharmacien avec qui il s’entend bien, ou réussit à en avoir par un collègue médecin généraliste qui ferme son cabinet… Mais heureusement qu’il y a cette débrouille. C’est cela qui nous permet de continuer à travailler. » Deux jours plus tard, soit le 19 mars, un texte autorisant les sages-femmes à utiliser la téléconsultation jusqu’au 31 mai est également adopté. Il sera publié le 20 mars.

Entre temps, la Cellule de crise sage-femme a commencé à s’organiser. Son fonctionnement perdure aujourd’hui. Trois fois par semaine, à 7h30, les membres désignés par les diverses organisations se réunissent via une téléconférence. L’échange dure entre 30 et 45 minutes. « Nous essayons d’être très concis, car nous sommes nombreux et avons peu de temps, détaille la directrice de l’école de sages-femmes de Nantes, Isabelle Derrendinger, missionnée par l’Ordre. Nous échangeons sur les points du jour et nous répartissons le travail. Ensuite, chacun avance de son côté sur son sujet jusqu’à la réunion suivante. » Le partage de documents en ligne favorise les échanges et l’avancée des réflexions. Quand un document est terminé, chaque association s’en empare pour le redistribuer à ses membres. Avec l’Ordre dans la boucle, de très nombreuses sages-femmes sont touchées. Les réseaux sociaux sont également utilisés et quelques grands médias se sont emparés du sujet.

PRÉSERVER L’IVG

Le 23 mars, Adrien Gantois signe une tribune pour « préserver à tout prix le droit à l’IVG », avec Heliane Missey Kolb, présidente du Collège de gynécologie médicale de Paris-Ile-de-France, et Yves Ville, chef du service d’obstétrique et de médecine fœtale à l’hôpital Necker, à Paris. Ils soutiennent la demande du CNGOF de prolonger de 2 semaines, soit jusqu’à 14 semaines, le terme de l’IVG, « pendant toute la durée de la crise Covid et seulement pendant la durée de cette crise. » Trois jours plus tôt, un amendement allant dans ce sens, proposé par la sénatrice Laurence Rossignol, a été refusé. Dans leur tribune, les auteurs soutiennent que « l’offre, déjà insuffisante, a baissé de plus de 30 % et est particulièrement critique dans le Grand-Est et dans les Hauts de France. » « Les femmes ont peu de solutions, explique le président du CNSF. Le planning familial est fermé à plusieurs endroits. Les femmes peuvent se tourner vers le site ivglesadresses.org, mais cela n’est possible que pour une certaine population bien informée. D’autres femmes peuvent se rendre sur le site doctolib.fr, pour prendre rendez-vous avec un professionnel de ville, mais là aussi, on ne touche qu’une certaine population. En tant que sage-femme libérale, je suis référencé sur ce site. Pendant la première semaine du confinement, j’ai dû répondre à la demande de 8 femmes pour des IVG médicamenteuses. La demande est bien là. » Pour réfléchir à ce sujet et proposer des réponses, la Cellule de crise sage-femme s’est plus récemment adjointe l’Association nationale des sages-femmes orthogénistes (Ansfo).  Le 27 mars, sept organisations de sages-femmes, toutes participant à la cellule de crise, signent une lettre ouverte au ministre de la Santé et au directeur général de la Santé. Elles réclament publiquement d’allonger le délai légal de l’IVG de 12 à 14 semaines et alertent, à nouveau, sur le manque d’équipements de protection qui met gravement en danger le suivi de grossesse et l’accouchement de milliers de femmes, notre pays connaissant chaque jour près de 2000 accouchements. Une semaine plus tard, le ministre de la Santé annonce avoir « saisi en urgence la Haute Autorité de Santé afin d’émettre un avis sur la possibilité d’étendre le délai de réalisation des IVG médicamenteuses hors milieu hospitalier de 7 à 9 semaines d’aménorrhée. »

RÉPONDRE VITE

Pour ne pas oublier les disparités territoriales, la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP) a également été invitée à rejoindre la cellule de crise. « Ces organisations sont plus en lien avec les ARS, précise le président du CNSF. Participer à la cellule de crise peut leur donner les outils nécessaires pour discuter avec elles. Les réseaux peuvent aussi toucher les libérales qui ne seraient pas adhérentes de l’ANSFL. » En parallèle, l’Association nationale des sages-femmes territoriales (ANSFT) a été invitée. « Plusieurs problèmes ont été remontés », explique Adrien Gantois. Il est vrai que la situation de la PMI semble très inégale sur le territoire national. C’est particulièrement le cas en Île-de-France, une région très touchée par l’épidémie de Covid-19. Dans certains départements, comme dans les Hauts-de-Seine (92), tous les centres auraient fermé. En Seine-Saint-Denis (93), un centre par circonscription est maintenu ouvert. Certaines sages-femmes territoriales continuent de travailler par téléconsultation, quand d’autres maintiennent les consultations en centre ou poursuivent les visites à domicile. « On se colle à la demande des sages-femmes, résume Adrien Gantois. La cellule de crise répond aux questions qui nous sont posées, qui nous paraissent importantes ou qui reviennent plusieurs fois. L’idée de ce groupe n’est pas de rassembler tout le monde, mais de répondre vite. Car dans cette crise, toutes les 24 heures, les données peuvent changer. »

L’entretien avec Adrien Gantois a été réalisé au soir du lundi 30 mars.