L’accompagnement du deuil périnatal est devenu une évidence en maternité. Avec les associations de parents et les psychologues, les sages-femmes peaufinent cette clinique au contact des familles depuis une vingtaine d’années. Dans plusieurs établissements, des initiatives ont émergé pour permettre aux parents endeuillés de se recueillir et créer des rituels (voir p. 21 et 28). Les réflexions sur les soins palliatifs ont aussi donné une place aux sages-femmes. Celle-ci est spécifique. Comme en témoigne Anne Dejean, sage-femme membre de Paliped – l’équipe ressources de soins palliatifs pédiatriques en Île-de-France – les sages-femmes accompagnent les femmes et les familles dans le temps présent (lire p. 31). Les psychologues, eux, ont vocation à les faire cheminer dans le processus de deuil.
Des progrès restent à faire. Le Réseau de santé périnatale parisien (RSPP) a par exemple initié un projet ambitieux pour aider les équipes à améliorer les photos mémorielles prises lors du décès d’un tout-petit (lire p. 24). De nombreuses réflexions, issues du contact avec les familles, restent à mener pour améliorer le savoir-être face au deuil ou proposer de nouveaux dispositifs d’accompagnement.
ACCOMPAGNER LA FAMILLE AU SENS LARGE
Au cours d’une formation organisée par le RSPP et les associations Spama et Petite Émilie le 16 octobre dernier, des partages d’expérience ont porté sur l’accompagnement des familles au sens large. Concernant les couples, des propositions ont émergé des échanges. Par exemple, lors de la décision d’IMG, comme seule la signature de la mère est légalement indispensable, certaines équipes proposent au père de signer symboliquement, de tendre le stylo à sa compagne ou de lui donner la main. L’objectif est que le poids de la décision ne pèse pas sur les seules épaules de la mère et d’éviter que cette signature ne fasse le lit d’une culpabilité encore plus intense. Prévenir le couple en amont des temporalités différentes du deuil de chacun peut aussi être prévenant. « Avant une IMG, je dis parfois aux parents qu’ils vont avancer de façon -différente dans leur deuil, témoigne Anne Dejean. Les pères font souvent attention à ne pas exprimer leur tristesse ni montrer leurs larmes dans les suites du décès. Ils ne s’autorisent pas à s’effondrer pour assurer leur fonction de soutien. Une mère a alors le sentiment que son compagnon est passé à autre chose. »
Les parents ayant vécu un deuil périnatal sont aussi désemparés pour accompagner leurs aînés ou savoir comment évoquer le drame auprès des enfants nés après. Plusieurs psychologues ont pour habitude de requalifier les couples, en les invitant à réfléchir à comment aborder le sujet avec leurs enfants à partir de l’expertise qu’ils en ont en tant que parents. « Les parents imaginent des deuils très pathologiques pour leurs enfants, note aussi Céline Ricignuolo, psychologue à la maternité de Necker. Or si le deuil est un traumatisme, ce n’est pas forcément pathologique. Les réactions les plus violentes peuvent venir des adolescents ou des jeunes adultes alors que les tout-petits réagissent moins, ce qui peut perturber les parents. » Pour aider les parents, l’association Petite Émilie a conçu le livret Léa n’est pas là, à destination des aînés et Oscar et Léonard pour les enfants d’après. Quant à l’association Spama, elle a conçu un cahier d’activités pour aider les parents à trouver les mots avec leurs enfants sans pour autant trop leur faire porter le poids de leur tristesse.
La présidente de l’association Spama remarque qu’avec la reconnaissance sociale progressive du deuil -périnatal, des grands-parents contactent aussi son association. « Il fallait que ce deuil soit reconnu pour les parents pour que les grands-parents se manifestent, analyse Isabelle de Mézerac. En janvier 2024, nous allons ouvrir un groupe de parole, accessible sur Internet en distanciel, pour les grands-parents endeuillés. » Psychologues comme sages-femmes s’accordent cependant sur la juste distance à adopter en maternité pour accompagner les grands-parents : si leurs enfants ont besoin de leur soutien, ils ne doivent pas non plus envahir leur sphère. « Ils sont tristes de voir leurs enfants douloureux et aussi de ne pas devenir grands-parents, note Amélie Barbier, psychologue à l’hôpital Trousseau, à Paris, et en libéral. Mais il ne s’agit pas de les recevoir comme les parents, même si nous pouvons échanger sur le pas d’une porte à la maternité. J’ai refusé une belle-mère dans un groupe de parole pour parents endeuillés. Elle avait elle-même perdu un bébé 25 ans auparavant, mais il fallait que sa belle-fille trouve son propre espace dans le groupe. » De plus en plus de services de diagnostic anténatal ou de maternité s’ouvrent aux grands-parents. « C’est en réalité délicat, car nous ignorons ce qui se joue dans les familles », s’inquiète Céline Ricignuolo. « Des femmes et des hommes ont parfois honte de ne pas avoir pu faire que leurs parents deviennent des grands-parents, de ne pas avoir répondu à leur attente », ajoute Amélie Barbier.
Un lieu dédié à l’hôpital Louis-Mourier
Le 15 octobre 2022, l’hôpital Louis-Mourier, à Colombes, inaugurait une sculpture du souvenir dans un jardin accessible par le hall de la maternité. À l’instar de la maternité des Diaconesses, à Paris (lire p. 28), ou de l’hôpital de Poissy, l’objectif était d’offrir aux parents un lieu de recueillement et de permettre la création de rituels communs. Car ce qui était proposé jusqu’alors a paru insuffisant. Suite à un décès périnatal, devant la difficulté d’organiser eux-mêmes des obsèques, 70 % des parents confient en effet le corps de leur bébé à l’hôpital, selon les données de Louis-Mourier. L’hôpital organise une crémation collective une fois par mois au cimetière du Père-Lachaise, où les familles ne peuvent se rendre. Elles ne peuvent pas non plus récupérer de cendres du fait du manque de densité osseuse des petits corps. Bien que les familles soient invitées à se recueillir auprès d’une stèle dédiée au cimetière du Père-Lachaise, ce lieu peut être perçu comme anonyme ou trop éloigné.« Le lieu qui a marqué le passage de cet enfant; où des témoins peuvent attester de cette existence, où la séparation s’est actée, reste l’hôpital », note le dossier de presse de l’inauguration.
Fruit d’un travail de collaboration entre les familles, les soignants et l’artiste Philippe Desloubières, le jardin et la sculpture gardent en mémoire le passage de ces tout-petits. Cette initiative complète les actions de soutien au processus de deuil proposées par la maternité de Louis-Mourier. Les équipes sont régulièrement formées à l’accompagnement des deuils périnataux. Un salon démédicalisé est dédié aux entretiens destinés à organiser les IMG, pour favoriser l’écoute et la parole. Dans les heures qui suivent la naissance, une salle est aussi dédiée à la présentation de l’enfant décédé aux parents et la chambre mortuaire a mis en place un accompagnement spécifique pour les familles endeuillées. En suites de couches, les femmes dont les « berceaux sont vides » sont hospitalisées dans une unité où elles peuvent être à l’abri des cris des autres bébés. Outre des entretiens anténataux, des entretiens postnataux sont aussi proposés aux couples avec les médecins, les sages-femmes et les psychologues. Et les équipes du diagnostic anténatal ont ouvert depuis 2018 un groupe de parole à l’attention des hommes et des femmes qui traversent un deuil périnatal, animé par un psychologue et une sage-femme.
ACCOMPAGNER À DOMICILE
Une des grandes préoccupations des professionnels reste l’accompagnement des femmes et des couples après la sortie de maternité. L’offre de soins est alors très rare. Bien sûr, les couples ont la possibilité de revenir consulter un psychologue de la maternité. Mais -beaucoup ne -souhaitent pas revenir sur les lieux. Le centre Empathie 93, à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, accompagne les couples endeuillés à travers des visites à domicile d’un psychologue et d’un médecin ou d’une puéricultrice. Mais ce dispositif unique ne peut couvrir tous les besoins. À l’instar du partenariat noué entre la maternité des Bluets et les services de PMI, des sages-femmes territoriales proposent aussi des VAD aux couples endeuillés dans c-ertaines localités. Mais pour proposer cet -accompagnement plus largement, il faudrait aussi y associer les sages-femmes libérales. C’est pourquoi une expérimentation a été initiée en 2021 à la maternité de Port-Royal, coordonnée par le RSPP, avec un pool de sages-femmes libérales et territoriales. L’objectif était d’évaluer l’expérience pour, à terme, proposer une cotation pour le suivi des couples en deuil. De 2021 à 2022, cinquante couples ont bénéficié de ces visites. La moitié ont vécu une IMG. Les sages-femmes ont réalisé 92 VAD au total. L’évaluation a montré que cette offre de soins permettait de restaurer un suivi des suites de couches à domicile. Ce suivi somatique permettait la reconnaissance de ce que les femmes ont vécu. Les soins apportés confirmaient que leur corps avait bien porté un enfant. Au niveau psychique, face à la sensation de grand vide lors du retour à la maison ou aux difficultés administratives rencontrées, la présence d’une sage-femme évitait le sentiment d’abandon. Elle facilitait aussi les échanges au sein du couple ou les interactions avec l’entourage. Lors des VAD, la parole prend une place importante. « Sans personne, le retour à la maison est vécu comme déshumanisé, souligne Claudine Schalck, sage-femme et psychologue autrice de l’évaluation du dispositif, publiée chez L’Harmattan. À la sortie de la maternité, avant la mise en place de ce dispositif, une mère endeuillée me disait : “J’ai aussi perdu les soignants”. » La présence des soignants n’est en effet pas que médicale, mais sociale. Souvent, les soignants sont les seuls qui ont vu l’enfant et peuvent en attester l’éphémère existence. « Il n’y a pas de deuil possible qui ne soit reconnu socialement, poursuit Claudine Schalck. La présence des sages-femmes lors du retour à domicile représente aussi cette reconnaissance. En écoutant les couples, elles reconnaissent et font exister leur vécu. »
Pour l’instant, cette expérimentation n’a pas donné lieu à une nouvelle cotation pour les sages-femmes. « La demande d’une cotation spécifique à l’accompagnement du deuil périnatal a été soumise dès les discussions sur l’avenant 7 à la convention, mais cela n’a pas abouti pour l’instant », indique Camille Dumortier, présidente de -l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes. Du côté de l’Union nationale des syndicats de sages-femmes, Prisca Wetzel-David assure que la question des situations complexes, dont l’accompagnement du deuil périnatal, a fait partie des discussions avec le ministère de la Santé début décembre. « Nous espérons vivement que l’expérimentation menée par le RSPP pourra s’étendre à tout le territoire », ajoute la présidente. La publication en septembre 2023 du livre La sage-femme, un soutien réel et symbolique pour le deuil périnatal, dans la collection Pratique Sage-femme – Sciences maïeutique chez L’Harmattan, doit en tout cas servir de plaidoyer.
Pass’âge : naître, vivre et mourir en société
Pass-âges est un projet qui s’est concrétisé à Bruxelles en septembre 2021. Plus qu’un habitat partagé, ses concepteurs ont voulu réunir sur un même site des lieux de naissance, de vie et de mourance. Le concept de mourance recouvre le processus précédant la mort qui, elle, signifie l’instant du trépas. L’objectif de Pass-âges est de permettre de naître, cohabiter, grandir, vieillir, mourir dans un cadre le plus démédicalisé possible, au sein d’un collectif qui privilégie les liens et l’accompagnement. Pass-âges comprend donc une maison de naissance, des appartements de vie et une maison de mourance. Les habitants se sont constitués en coopérative pour acheter et gérer leur habitat. Ils en sont chacun coopérateurs et locataires. L’attribution des 10 appartements privilégie une mixité intergénérationnelle et sociale, avec 3 appartements destinés exclusivement à des personnes ou ménages à faible revenu. Le lieu comprend aussi une salle commune, un appartement collectif pour accueillir des hôtes, un espace de création et de silence de même qu’un jardin collectif ouvert sur le quartier. Le projet s’inscrit dans la démarche Calico, qui promeut une philosophie du vivre-ensemble et du prendre-soin (www.cltb.be/calico/). Les habitants peuvent être volontaires au sein des maisons de naissance ou de mourance. Sans empiéter sur le travail des soignants, ils peuvent offrir un repas aux jeunes parents après un accouchement, aider aux besoins quotidiens des personnes âgées en soins palliatifs ou en séjour de répit. Pour l’instant, la maison de naissance cherche à stabiliser son équipe, pour pouvoir aussi proposer un accompagnement au deuil périnatal.
Pour en savoir plus : www.pass-ages.be
■ Nour Richard-Guerroudj
Pour en savoir plus :
– Petite Émilie : petite-emilie.assoconnect.com
– Soins palliatifs et accompagnement en maternité (Spama) : www.association-spama.com