Sara Da Cunha Bento, « L’énergie que je récupère en libéral, je la délivre à l’hôpital »

Sage-femme depuis seize ans, Sara Da Cunha Bento partage son temps entre son cabinet de Verrières-le-Buisson et l'hôpital privé d'Antony. Elle relate son parcours et pourquoi ses activités hospitalière et libérale se complètent parfaitement.

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Sara Da Cunha Bento, sage-femme

Pourquoi sage-femme ? Aviez-vous la vocation ?

Enfant, j’avais un cousin très malade, atteint d’une cardiopathie. Lorsque j’allais le visiter à l’hôpital, avec ma mère, j’étais en admiration devant les infirmières, je voulais leur ressembler. C’est comme ça que tout a commencé. Puis, mon cousin est décédé et j’ai décidé de devenir cardiologue, pour sauver d’autres enfants comme lui. Ça n’a duré qu’un temps. J’ai fini par me dire que je préférais accompagner la vie plutôt que lutter contre la maladie. C’est ainsi que, dès l’âge de 12 ans, j’ai su que ma vocation était de devenir sage-femme.  

Je suis tombée pile l’année où il fallait faire médecine. En parallèle de ma classe de terminale scientifique, j’ai tenté le concours de médecine, mais ce fut un échec. Je me suis alors inscrite l’année suivante en médecine à Orsay. Une année terrible, j’enregistrais mes cours et je les écoutais en dormant.
Je n’ai fêté aucune fête cette année-là, c’était du non-stop. Cela m’a permis tout de même de valider l’année et d’avoir le choix de suivre médecine, dentaire ou sage-femme. Dans l’amphithéâtre au Kremlin-Bicêtre, le professeur a demandé quelle spécialité chacun de nous voulait suivre et il n’y avait même pas sage-femme dans sa liste. Il semblerait que quand on a médecine, on reste médecin. Quand j’ai dit sage-femme, tout le monde s’est retourné vers moi. J’ai même entendu « mais qu’elle est conne ! » Je voulais devenir sage-femme, c’était une certitude. Je le suis depuis seize ans et je n’ai jamais regretté mon choix, j’adore !


Sara en Arménie, lors d’une mission avec l’ong
Actions Santé Femmes (ASF).
© D.R.

Avez-vous toujours eu la double casquette hôpital-­libéral ? 

J’ai exercé exclusivement à l’hôpital privé d’Antony depuis l’obtention de mon diplôme et jusqu’en 2019. C’est une maternité de type 2A qui se distingue pour le côté physiologique, par l’envie d’accompagner au plus proche de la physiologie. Nous disposons des moyens nécessaires pour cela : la baignoire, les suspensions, le siège, le ballon, la galette…  Et nous savons aussi agir quand c’est nécessaire en cas de pathologie. Ma formation scientifique m’a apporté un cadre rigoureux et formel, puis avec le temps, je m’oriente naturellement vers un accompagnement un peu différent. J’aime faire les accouchements à quatre pattes, sans péridurale, par exemple. J’apprécie énormément l’équipe et l’ambiance à Antony. En 2019, j’ai ouvert mon cabinet et aujourd’hui, en effet, j’ai les deux casquettes. Tous les vendredis j’enfile ma blouse de sage-femme hospitalière pour effectuer une garde de douze heures à l’hôpital. Le reste de la semaine, j’exerce en libéral.

Diriez-vous qu’il y a deux catégories de sages-femmes : celles qui vont vers le physiologique et celles qui vont plutôt vers le plus technique ? 

Je ne sais pas si c’est vraiment dichotomique, mais je répondrais plutôt quand même oui. Il me semble qu’il y a des sages-femmes qui vont ­préférer faire des DU d’échographie, de gynécologie, qui vont adorer être dans des maternités de niveau 3, exercer dans un cadre très défini. Pour ma part, ce qui me passionne désormais, c’est plus la psychologie. J’aime accompagner les parents en devenir, aider chacun à prendre toute sa place avant, pendant et après l’accouchement. ­Accompagner plutôt que diriger, ce qui est un peu différent. Les femmes savent accoucher, elles ont juste besoin d’avoir confiance en elles. Les acteurs principaux sont les parents. Je ne suis que témoin, j’ai les yeux grands ouverts et c’est un privilège ! Je tends uniquement les mains, enfin presque. Bien sûr, parfois, il y a besoin qu’on intervienne pour maintenir une certaine sécurité. Cette prise de conscience a renforcé mon intérêt pour le naturel. Comment aider les femmes, tout en préservant la physiologie ?

Le travail en hôpital privé, est-il différent de celui en hôpital public ? 

Mes critères de choix étaient l’équipe et la zone géographique. En aucun cas ce n’était privé versus public. À Antony, c’est comme une grande famille, on tutoie les gynécologues, il n’y a pas de hiérarchie ou en tout cas, je ne la sens pas. Combien de fois, en entrant dans la salle d’accouchement et apercevant la femme à quatre pattes, le gynéco a dit : « Ok, je ne veux pas savoir, tu appelles si tu as besoin. » C’est cette confiance mutuelle, cette ambiance, cette équipe en somme qui fait que je ne suis pas exclusivement en libéral aujourd’hui. À l’époque, la cadre n’embauchait personne sans avoir consulté le staff. « Qu’en pensez-vous ? Voulez-vous avoir cette personne pour collègue ? » Médecins, anesthésistes, gynécologues, sages-femmes, infirmières, aides-soignantes, nous avions tous voix au chapitre. À l’arrivée, ça donne une unicité dans le tempérament et dans la façon d’aborder les choses, on se ressemble un peu toutes.

Depuis 2008, l’activité obstétrique du secteur privé a chuté de 46 %. L’avez vous ressenti ?

Il y a une baisse de l’activité, liée à la chute de la natalité en France. Mais Antony est une grosse structure située en région parisienne. Il y a peu de maternités alentour et nous restons un gros pôle, au même titre qu’Antoine-Béclère, Kremlin-Bicêtre ou le pôle de Saclay. Après si vous me demandez, pourquoi une femme va-t-elle choisir plutôt le public que le privé, je ne sais pas. Peut-être qu’elles vont sur internet regarder les statistiques, les taux de césarienne par exemple ?

Décrivez-nous un peu votre cabinet 

Il se situe à Verrières-Le-­Buisson, à dix minutes en voiture d’Antony. Le cabinet est installé au sous-sol de ma maison. Je le voulais ainsi, dans l’idée d’accueillir un peu à l’ancienne, dans un lieu accueillant et chaleureux. Il a fallu faire beaucoup de travaux, un chantier compliqué. Par exemple, j’ai une place handicapée devant la maison, une rampe pour descendre avec le pourcentage de dénivelé requis avec tout le nécessaire pour l’accès aux personnes à mobilité réduite. J’ai les encadrés du cabinet en noir pour que les portes et interrupteurs puissent bien se distinguer pour les personnes qui présentent un handicap visuel. Pour le moment, nous sommes trois sages-femmes au cabinet. Une collègue me remplace le vendredi quand je suis à l’hôpital. Une autre vient chaque lundi et s’occupe en priorité des visites à domicile. Avec mes trois enfants, aller au domicile des patientes est devenu trop compliqué pour moi.  

Les femmes qui accouchent à l’hôpital d’Antony viennent-elles naturellement faire leur suivi dans votre cabinet ? 

J’ai deux casquettes, salariée et libérale, je fais bien le distinguo. Bien sûr, les patientes que je suis au cabinet et qui vont accoucher à Antony me disent souvent : « J’espère vous avoir le vendredi » du fait qu’on se connait et qu’un lien est déjà établi.  En revanche, les femmes que j’aide à accoucher le vendredi ne savent pas que j’exerce aussi en libéral. Je ne leur dis pas.

L’idée est qu’elles retournent vers leur sage-femme après l’accouchement. Il y a des femmes qui ne viennent que pour du yoga ou du Rebozo. Elles me demandent « ça ne vous dérange pas si je continue mon suivi auprès d’une autre sage-femme ? » Bien sûr que non, c’est moi qui suis là pour elles et non l’inverse. Après la séance, elles retournent voir leur sage-femme et c’est normal. Mes consœurs font de même dans l’autre sens, si bien qu’il y a une bonne entente entre nous.  Avant d’ouvrir le cabinet j’ai pris soin de consulter les sages-femmes installées à Verrières-le-Buisson : « J’aimerais m’installer, qu’est-ce que tu en penses ? L’objectif n’est pas que cela ne fonctionne pas pour moi ni que cela fonctionne moins bien pour toi ».
Elles m’ont répondu en chœur : « Y’a de la place au soleil pour tout le monde, viens ! ». Ayant toujours travaillé en équipe, c’était ma philosophie, je ne voulais pas mettre tout le monde en difficulté, y compris moi. S’il n’y avait pas assez de travail, ça ne servait à rien d’ouvrir. J’ai été très bien accueillie.  

Quels sont les défis que vous rencontrez en jonglant entre ces deux environnements de travail ?

Je n’y vois que des avantages, ces environnements sont hyper complémentaires. À l’hôpital, c’est assez technique, les gardes sont chargées, il y a la montée d’adrénaline, l’intensité, le travail en équipe. Ça va vite, on s’entend bien, un regard suffit. Travailler en équipe est synonyme d’enrichissement, j’apprends en permanence, c’est important pour rester à la page. En revanche, l’hôpital n’est pas vraiment idéal pour approfondir les relations humaines avec les patientes. On n’a pas le temps. Le libéral est là pour ça. L’équipe, c’est avec mes patients que je la forme. L’activité au cabinet me rebooste quand je suis fatiguée. L’hôpital, au contraire, va me demander beaucoup d’énergie. Mes deux activités bénéficient donc l’une de l’autre, elles se nourrissent mutuellement. L’énergie que je récupère en libérale, je la délivre à l’hôpital. 

Qu’est-ce-que le soin Rebozo ? 

J’ai voyagé au Mexique et j’étais intriguée par un tissu que je voyais partout. Les jeunes femmes le nouaient autour de leur taille, comme un accessoire de mode. Les mamans s’en servaient pour porter leur bébé et les ainées comme d’une écharpe ou pour s’abriter du soleil. Lorsque je suis rentrée en France, j’ai découvert la formation Rebozo. Le foulard Rebozo est un tissu tressé, plutôt coloré, similaire à un ­petit hamac, que les mères mexicaines transmettent à leur fille lorsque celles-ci ont leurs premières règles. C’est comme un passage initiatique, il y a un avant et un après. Il en va ainsi de génération en génération. Je trouve cette tradition très belle et je me suis formée au savoir-faire Rebozo qui consiste à bercer les femmes pendant la grossesse et après l’accouchement. Pendant la grossesse, avec mon foulard, je tente de les aider à lâcher prise et à comprendre le ressenti de leur bébé. Elles se retrouvent en suspension, contenues, comme le petit être dans leur ventre. Les émotions se libèrent, les tensions également et les femmes repartent plus légères. Le Rebozo aide aussi les patientes à percevoir les limites de leur corps, bousculées pendant la grossesse. Après l’accouchement, il aide à resserrer le bassin. Les femmes conservent leurs vêtements et le Rebozo est donc particulièrement adapté pour celles qui n’aiment pas se dénuder, en particulier lorsqu’elles sont enceintes et que l’appropriation de leur corps n’est pas une évidence. Le bouche-à-oreille fonctionne bien. Les femmes sont curieuses et viennent expérimenter ce savoir-faire particulier.  

Je trouve qu’une énergie passe à travers ce foulard, cela restaure un peu le « féminin sacré ». C’est un terme qui peut sembler un peu galvaudé, un peu à la mode. Pourtant, à certains moments, dans la vie d’une femme, comme lors des premières règles ou au moment d’accoucher, je trouve intéressant de se rappeler que chaque femme porte une puissance féminine en elle. Car la femme est un passage de vie, si elle le souhaite, bien sûr. Elle porte en elle deux mondes, le monde visible et le monde intérieur. En étant nées filles, on a toutes ce point commun. On peut être rousse, brune, blonde, on peut être fine, moins fine, petite ou grande, peu importe. 

Savoir que nous avons en commun cette force du féminin, tout en étant uniques. C’est peut-être ce « féminin sacré » que symbolise le Rebozo, ce morceau de tissu qu’on se passe de mère en fille. C’est une réflexion très personnelle, bien sûr.
Et le masculin sacré existe aussi. 

Et le massage Shantala ?

Plutôt que de guérir, je souhaite accompagner. C’est le propre de mon métier d’être dans la prévention plutôt que dans la guérison. Nous sommes le seul service de l’hôpital à accueillir des gens en bonne santé. Ils arrivent à deux et repartent à trois, de préférence en état de marche. À un moment, j’ai senti qu’il me manquait des outils pour accompagner cette bonne santé. La médecine occidentale se focalise sur la guérison du malade. En Inde, ils ont l’ayurveda en plus, une médecine parallèle qui a pour but d’équilibrer le corps, les énergies, les émotions afin que la personne reste en bonne santé. Elle ne se substitue pas à la médecine moderne, mais c’est une approche complémentaire.
Le praticien ayurveda conseille sur l’hygiène de vie, il peut prescrire des recettes à base de plantes, du sport, etc. Cette médecine est bien adaptée aux femmes enceintes, car beaucoup de médicaments leur sont ­contre-indiqués.
Je me suis donc formée à l’ayurveda, notamment aux massages pour rester en bonne santé. Pour le bébé, ce sont les massages Shantala. La mère ou le père masse son bébé, à même le sol, tandis que je me tiens à côté avec un poupon pour les accompagner pas à pas dans les gestes. Concernant les femmes enceintes, c’est moi qui masse. J’utilise de l’huile de sésame chaude. Ça permet de rééquilibrer, de mieux sentir son propre corps, dont on est trop souvent déconnecté au quotidien. 

Le massage répond aussi au besoin de communiquer avec le nouveau-né ou avec l’enfant à naître. Par exemple, lorsque je touche le ventre d’une femme enceinte et que je sens des mouvements, j’essaie de prendre le temps de fermer les yeux pour me mettre à égalité avec le bébé et mieux communiquer avec lui avant de masser une autre zone.
À mes yeux, ce sont ces instants-là qui rendent cette profession unique. Exercer la profession de sage-femme est une opportunité de développement personnel très riche, peut-être la plus riche après le fait d’être mère. J’apprends énormément. Quel privilège que de pouvoir accompagner la vie avant la naissance, pendant la naissance et après. On ne peut pas se lasser de ce métier. Encore une fois, c’est une vision personnelle et je ne suis peut-être pas une sage-femme tout à fait classique. 

Parvenez-vous à préserver un équilibre personnel  et professionnel ?

Le vendredi, je suis de garde douze heures à l’hôpital. Le mardi c’est douze heures aussi au cabinet pour pouvoir proposer des créneaux en soirée aux personnes qui travaillent et qui veulent venir aux cours de préparation. Le week-end, c’est à la carte, en fonction des urgences, des femmes qui ont accouché et heureusement nous sommes trois sages-femmes avec la possibilité de se relayer. Le mercredi, c’est off, je me consacre à mes enfants. Il y a bien sûr des moments où je m’essouffle ou j’ai envie de jeter l’éponge. Rencontrer les patients me nourrit et donne du sens à ce que je fais. J’ai toujours été sensible à la difficulté des autres, notamment à celle des femmes face à la douleur. J’aime l’Humain et je crois profondément en lui. Les moments difficiles, c’est surtout à l’hôpital. Quand il s’agit d’accompagner dans la mort, par exemple. Il m’arrive de tendre les bras pour proposer un « câlin » réconfortant.
Je ne crois pas que cela fasse de moi une moins bonne sage-femme. Longtemps j’ai cru que pour être une bonne professionnelle, il fallait être hermétique, être un roc, tenir la route avant tout. Maintenant je crois que si l’on arrive à être humaine en plus d’accompagner, c’est encore plus beau.  

Quels conseils donneriez-vous à une future sage-femme ?

Je lui conseillerais de faire plein de stages, dans des endroits différents, pour savoir ce qu’elle souhaite. Je lui dirais de commencer par l’hôpital car c’est très formateur. Même si je pense qu’il faut écouter son cœur plutôt que les conseils des autres, je pense que l’hôpital et le travail en équipe sont très formateurs.

Propos recueillis par Stéphane Cadé