Meliya, sage-femme à mi-temps dans l’humanitaire

« À bord de l’Ocean Viking, je laisse la porte ouverte pour apporter mon soutien aux personnes exilées qui ont vécu des violences sexuelles »

Meliya, sage-femme à mi-temps dans l’humanitaire
© SOS Méditerranée

Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir sage-femme ?

Quand j’étais enfant, je regardais la série « Docteur Quinn, femme médecin ». Je trouvais cette femme de caractère géniale ! Au lycée, j’ai lu un article sur une sage-femme qui travaillait pour Médecins sans frontières (MSF) en Afrique, cela m’a donné envie de faire de l’humanitaire. J’aimais aussi l’idée d’accompagner les femmes dans toutes les étapes de leur parcours gynéco, faire naître la vie, mais aussi participer à cette sororité qui est très importante dans ce métier. J’ai été diplômée à Lyon en 2013. 

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Qu’avez-vous fait avant votre premier départ en mission humanitaire à l’étranger ?

En quatrième année de formation, je suis allée faire un stage au Sénégal, deux mois dans un hôpital. Cela a confirmé mon envie de découvrir d’autres manières de travailler et de rencontrer des personnes aux parcours de vie différents. Avant de pouvoir prétendre à une mission humanitaire avec une ONG, il faut avoir déjà exercé en France pendant au moins trois ans. 

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© Flavio Gasperini/SOS Mediterranée
© Laurin Schmid/SOS Mediterranée
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J’habite en Haute-Savoie, près de la frontière italienne, beaucoup de personnes exilées passaient par la montagne, j’ai donc participé à plusieurs actions en tant que bénévole (maraudes, cours de français…). En 2017, j’ai décidé de partir deux mois avec Gynécologie sans frontières, dans la « jungle » de Calais. C’était aussi du bénévolat, mais j’étais logée et nourrie. 

Notre équipe avait une petite clinique mobile, on faisait des soins de première nécessité dans les camps, auprès des femmes et des enfants, mais aussi, parfois, des hommes. Je m’occupais également des femmes qui pouvaient avoir des infections gynécologiques, des infections urinaires… Ou encore des consultations de base pour les femmes enceintes. On apportait aussi un soutien psychologique par rapport aux violences qu’elles avaient pu subir durant leur parcours migratoire. Cela m’a révoltée de réaliser que des humains pouvaient vivre dans des conditions sanitaires aussi déplorables dans notre pays, cela m’a encore plus donné envie de contribuer à aider avec mon métier. 

Vos premières missions humanitaires en tant que salariée ont été pour MSF, de quoi avez-vous été chargée ?

Je travaille avec MSF depuis 2018, pour des missions entre six et sept mois, ensuite je retourne en France pour six mois. Je suis allée en Afrique de l’Ouest et au Moyen-Orient : Tchad, Guinée Conakry, Sierra Leone, Irak, Afghanistan… 

Je m’occupais de manager des projets de maternité sur le terrain ou bien je donnais des formations. Je suis très sensible aux partages de connaissances, les équipes sur place m’ont aussi beaucoup appris, car les conditions matérielles ne sont pas les mêmes qu’en France et le champ de compétences des sages-femmes est plus élargi.

Pourquoi avoir décidé de faire également des missions sur l’Ocean Viking, le bateau de sauvetage de l’ONG SOS Méditerranée ?

Lors des distributions alimentaires aux personnes exilées, je me suis liée d’amitié avec plusieurs d’entre elles, dont un jeune qui est devenu mon filleul, je l’héberge. Ces personnes me racontaient comment on les avait sauvées en mer, cela m’a touchée et donné envie d’y participer. C’est ma mission de cœur. J’ai pu faire partie de l’équipage trois fois depuis 2022. 

Le bateau a le rôle d’une ambulance en mer, qui vient en aide aux personnes en détresse. L’équipe est composée à la fois de marins sauveteurs, de soignants, mais aussi de journalistes et de personnes qui s’occupent de la logistique. 

Comment s’organise la prise en charge des personnes exilées à bord ?

On repère les bateaux en détresse soit grâce à d’autres ONG, soit en naviguant dans des zones que l’on sait plus propices. On les secourt sur des petits canots pneumatiques, qui les amènent ensuite sur le grand bateau. 

Lorsque les survivants arrivent à bord, ils sont accueillis par l’un des marins-sauveteurs qui est le team leader du pont, le responsable de l’équipe médicale et la sage-femme. Je leur fais enlever leur gilet de sauvetage, en leur disant avec un grand sourire, dans toutes les langues que je connais, qu’ils sont dans un environnement safe. Puis, on sépare les hommes d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre, pour pouvoir leur faire prendre une douche. C’est important de commencer par ça, car il y a souvent des fuites de gazole sur leurs embarcations et le mélange avec l’eau de mer salée leur cause des brûlures qui s’étendent.
Les plus petits, enfants et femmes, sont plus facilement touchés. 

© Laurin Schmid
© Tara Lambourne/SOS Mediterranée
© Johanna de Tessieres_SOS Méditerranée

La sage-femme s’occupe des douches des femmes et des enfants et leur fournit des vêtements. Je leur fais ensuite un discours de bienvenue, pour expliquer qui l’on est et comment va se passer la vie à bord, on leur indique aussi qu’une équipe médicale est là pour les soigner et les écouter. Puis, on leur sert à manger et tout le monde s’endort, sauf les petits enfants qui n’ont pas forcément conscience de ce qu’il s’est passé, on s’en occupe pendant que leurs parents récupèrent. 

La sage-femme s’occupe surtout de quel type de soins ?

À bord, l’équipe médicale est composée aussi d’un infirmier et d’un médecin.
La majorité des personnes qu’on accueille sont des hommes et de jeunes adolescents, mais quand il y a des femmes, un tiers sont souvent enceintes. 

Le bateau est plutôt bien doté en matériel, il y a tout ce qu’il faut pour faire des échographies, un doppler, tous les médicaments de base… Certaines femmes enceintes n’ont jamais eu encore de consultation, alors je leur fais passer des échographies et on écoute le cœur du bébé. Je m’occupe aussi de consultations gynéco plus classiques et de soins moins spécifiques, comme des pansements à la suite de brûlures ou soigner un mal de mer. On se retrouve aussi parfois face à des situations d’urgence, comme une mère venant du Liban qui en était à son neuvième mois de grossesse et qui a commencé à avoir des contractions à bord. On a réussi à faire arrêter les contractions pour qu’elle puisse arriver dans son pays d’accueil sans être séparée de ses autres enfants. Je fournis aussi un soutien psychologique aux patientes. 

© Brynja Dögg Friðriksdóttir
© Brynja Dögg Friðriksdóttir

Comment apportez-vous votre aide aux victimes de violences sexuelles ?

La sage-femme prend en charge les victimes des violences sexuelles. Dès le deuxième jour, je leur refais un pitch pour souligner que certaines d’entre elles ont pu vivre des violences, qu’on a des médicaments pour traiter les infections sexuellement transmissibles et que l’on peut aussi faire des tests. Elles peuvent décider de m’en parler ou non, de seulement se faire tester et/ou de prendre les médicaments. 

Comme lorsque j’exerçais dans la jungle de Calais, le but n’est pas de les forcer à parler de leurs traumatismes, car nous n’avons pas les ressources pour les prendre en charge à bord. Nous ne restons que quelques jours avec elles, elles ont encore un parcours long, nous ne sommes pas psychologues. Je fais aussi le même discours chez les hommes, car ils sont aussi concernés. Il est important de ne pas forcer la main, mais de laisser la possibilité à la discussion si elles/ils le veulent.
Je laisse la porte ouverte pour leur apporter une oreille attentive et mon soutien. Cela peut être tout simplement apporter notre présence en jouant aux dames, dessiner, écouter de la musique ensemble…

Les personnes migrantes savent aujourd’hui que plus de 95 % des femmes vont subir des violences sexuelles durant leur voyage, alors plusieurs d’entre elles se font poser préventivement un implant pour ne pas tomber enceinte. Une fois, une adolescente m’a demandé de lui enlever le sien en arrivant à bord en me disant que maintenant elle espérait être en sécurité.

© Johanna de Tessieres_SOS Méditerranée
© Johanna de Tessieres_SOS Méditerranée

Vous êtes confrontée à des patientes et patients qui ont vécu des choses horribles, comment faites-vous pour tenir ?

Je ne dors pas beaucoup lors des premiers jours d’accueil. La vie à bord est rythmée par des moments de tristesse, mais aussi de joie, car il y a beaucoup de résilience chez les personnes que l’on secourt. Elles peuvent nous demander un instrument pour faire de la musique, participer à des séances de cuisine… Les enfants apportent aussi de la joie, ils sont ceux de tout le monde à bord. À l’arrivée en Europe, en Italie, on voit leurs yeux qui pétillent d’espoir. Je me concentre sur ces images. 

Quand on part en mission dans un endroit fermé, on crée des liens exceptionnels entre collègues, la solidarité est très forte. 

À chaque retour, l’ONG nous propose une consultation avec un psychologue. J’évacue aussi beaucoup avec le sport. Pour mon bien-être psychologique j’ai décidé d’alterner les missions en travaillant aussi en France. Cela me permet de davantage profiter de mes proches qui sont d’un soutien immense. 

© Camille Martin Juan/SOS Mediterranée

Comment se passe votre retour en France ?

Il y a toujours une arrivée un peu difficile, car il y a un décalage entre les conditions de vie françaises et ce que je vois en mission.
Même au travail, j’apprécie la chance que l’on a d’avoir ce système de santé, même s’il n’est pas parfait. Je travaille les six autres mois de l’année dans un hôpital public, je prends des disponibilités tous les ans pour pouvoir partir. J’ai la chance d’avoir une cadre exceptionnelle qui me soutient et me les accorde à chaque fois, même quand j’ai besoin d’être prolongée. Garder un pied dans le milieu hospitalier français, c’est important pour moi, pour rester à jour des protocoles et méthodes qui évoluent et apporter de nouvelles choses lorsque je pars en mission. 

© Camille Martin Juan/SOS Mediterranée

À 36 ans, qu’est-ce qui vous motive toujours à partir ?

Les rencontres, les partages de vies et de connaissances, ce sont des expériences humaines dont j’ai besoin pour avoir une vision du monde plus complète. Je vais partir cet hiver 2025 en République Centrafrique, puis au Soudan avec MSF. Ensuite, j’aimerais encore repartir avec l’Ocean Viking. Les ONG ont des besoins en personnel et recherchent des sages-femmes

Quels conseils pouvez-vous donner à des consœurs qui aimeraient tenter l’aventure ?

Si l’envie est là il faut foncer, sortir de sa zone de confort ce n’est pas facile mais cela nous apporte tellement. Il faut être ouverte d’esprit et humble, ne pas se dire qu’on va sauver le monde. C’est bien de commencer par s’engager de façon locale, mais aussi de contacter des personnes déjà parties pour briser les idées reçues que l’on peut avoir et bien se préparer. 

SOS Méditerranée est une « association humanitaire indépendante de tout parti politique et de toute confession. Elle se fonde sur le respect de l’homme et de sa dignité, quelle que soit sa nationalité, son origine, son appartenance sociale, religieuse, politique ou ethnique ». 

SOS Méditerranée affrète l’Ocean Viking depuis 2019. Initialement conçu pour l’industrie pétrolière et gazière, l’Ocean Viking bat pavillon norvégien.

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