Congélation ovocytaire : entre autonomie reproductive et nouvelles normes sociales

Depuis 2021, les femmes de 29 à 37 ans peuvent, en France, congeler leurs ovocytes sans indication médicale, gratuitement, et les utiliser jusqu’à 39 ans. Face à ce progrès, présenté comme un moyen de « gagner en sérénité » face à l’horloge biologique, la journaliste Caroline André interroge sur le média Usbek & Rica: mesure d’émancipation ou nouvelle forme de discipline fertile au service du marché du travail et d’objectifs démographiques ?

© Avanti Santé

La révision de la loi de bioéthique avait pour but de mettre fin au « tourisme procréatif » vers l’étranger, où l’autoconservation coûte entre 2 000 et 3 000 euros. Mais l’accès reste limité : en 2024, plus de 15 500 demandes pour 5 127 prises en charge et des délais dépassant treize mois, avec parfois un refus des femmes de 35 ans et plus, pourtant les premières concernées. Il faut dire que l’âge auquel les femmes ont leur premier enfant ne cesse d’être repoussé : en 2024, il atteignait en moyenne 29 ans, soit cinq ans de plus qu’en 1974. L’anthropologue médicale Yolinliztli Pérez-Hernández note que beaucoup ne projettent pas réellement d’utiliser leurs ovocytes : « Toutes ne veulent pas d’enfant, et la plupart espèrent une maternité dite plus naturelle, sans aide médicale. » Le profil typique est celui d’une femme de 34-35 ans, hétérosexuelle, blanche, de classe moyenne ou supérieure, cadre, qui congèle « au cas où », souvent en l’absence de partenaire. Pour Y. Pérez-­Hernández, « on assiste à une médicalisation de l’incertitude et de l’indécision ». Entre empowerment, capitalisme reproductif et pression démographique Pour la démographe Élise de la Rochebrochard, la procédure est moins émancipatrice qu’il n’y paraît : « C’est certes un choix pour les femmes, mais cela les assigne plus que jamais à la maternité car elles n’ont désormais plus d’excuses pour ne pas avoir d’enfants. » Aux États-Unis, de grandes entreprises financent des traitements de fertilité, voire la congélation ovocytaire, incitant à différer la maternité pour des raisons de carrière. Selon Y. Pérez-Hernández, « la congélation s’y inscrit dans une logique néolibérale de la mère travailleuse, où le management de la fertilité est un projet sur lequel investir son temps et son argent ». En France, malgré l’encadrement strict de l’Agence de la biomédecine, le vocabulaire de « capital fertilité » et de « stock d’ovocytes » traduit une vision du corps comme ressource à optimiser, dans un contexte…

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