
Anne Sophie Huart, « Si l’on veut que la prochaine génération soit bien dans ses baskets, il faut l’accueillir correctement ! »
Pourquoi sage-femme ? Aviez-vous la vocation ? C’était à l’intérieur de moi, comme une évidence, je ne saurais dire autrement. Je suis entrée à l’école de sage-femme d’Amiens en 1986, le cursus venait de passer à quatre ans. La première année, nous apprenions l’orthopédie, l’urologie, la gériatrie, nous passions d’un service à l’autre pour étudier le fonctionnement global du corps humain. Ce n’est que la deuxième année que nous commencions à réaliser des accouchements à quatre mains avec une sage-femme diplômée. Ça fait 38 ans déjà, pourtant je me souviens très nettement de la première fois que j’ai accueilli la vie entre mes mains. Je tremblais d’émotion, mais j’avais le sentiment très net d’être à ma place. En salle de naissance, on se prend des « shoots » d’ocytocine, vous n’imaginez pas ! On partage des moments tellement précieux avec les couples. Un accouchement, c’est de l’amour inconditionnel qui arrive sur Terre. Être témoin de cela, c’est formidable. Ce métier est extraordinaire et il m’a comblée pendant dix-huit ans. Pourquoi avoir quitté la salle de naissance ? Les dix premières années, je travaillais dans une petite maternité de Reims qui réalisait cinq-cents accouchements par an. J’aimais le rythme, l’atmosphère. Ensuite, j’ai exercé dans un établissement où l’on faisait deux-mille-cinq-cents accouchements à l’année, ce n’était pas la même chanson ! Parfois, après avoir enchaîné dix naissances dans la journée, quand je quittais ma garde, je ne me souvenais même plus du prénom des bébés qui étaient nés ce jour-là… Ça me tordait le cœur. Autant je ne me lasserai jamais d’accueillir la vie, autant je me suis lassée des contraintes logistiques et des relations compliquées avec certains gynécologues. Je trouve que les sages-femmes ne sont pas traitées convenablement. Or, là où les sages-femmes sont maltraitées, les femmes le sont aussi, mécaniquement. Ces lourdeurs m’ont fait fuir la salle...