« Comme l’endométriose, l’hyperémèse gravidique a été associée à tort à une souffrance imaginaire »

Luisa Attali, docteure en psychopathologie et psychologue clinicienne au CHU de Strasbourg, a participé au groupe de travail sur l’hyperémèse gravidique. Elle a accompagné de nombreuses femmes malades et revient sur l’importance du consensus formalisé d’experts sur la pathologie.

En quoi ce texte est-il capital ?

Ce texte acte la reconnaissance de l’hyperémèse gravidique par la communauté scientifique. Cela permettra aussi à l’entourage des femmes de mieux les comprendre. Je compare souvent l’hyperémèse à l’endométriose. Dans les deux cas, la pathologie a longtemps été associée à tort à une souffrance imaginaire. Face à une pathologie mal étudiée, dont on connaît peu les causes et alors que les traitements demeurent imparfaits, la facilité est de recourir à l’explication psychologique. Or nous n’avons pas retrouvé dans les études sérieuses une étiologie psychosomatique de l’hyperémèse gravidique.

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Quels sont les protocoles à bannir désormais ?

De trop nombreux hôpitaux ont encore des protocoles d’isolement dans le noir, de confiscation du téléphone et d’interdiction de visites, qui n’ont pas lieu d’être. Ces pratiques sont issues de l’approche thérapeutique développée dans les cas de troubles alimentaires de type anorexie. Certains médecins affirment aux femmes qu’elles rejettent leur grossesse, ce qui est une interprétation totalement sauvage, d’autant plus que l’ambivalence est propre à chacun d’entre nous. Lorsque nous rencontrons les femmes, elles témoignent d’un parcours compliqué. Elles ont le sentiment de passer pour des folles puisqu’on leur dit que « c’est dans leur tête ». Et leur entourage le leur renvoie également. Or notre revue de la littérature démontre que le stress, l’angoisse, les troubles anxio-dépressifs et le syndrome de stress post-traumatique en post-partum ou exprimé à la grossesse suivante sont la conséquence plutôt que la cause de l’hyperémèse gravidique. Les femmes souffrent du manque de soutien des professionnels de santé, de la banalisation de leurs symptômes et de l’incompréhension de leurs proches. C’est parce qu’elle altère la qualité de vie personnelle et professionnelle que la maladie peut avoir des conséquences psychologiques. Par ailleurs, l’hyperémèse gravidique ne retentit pas sur le lien mère-enfant. Pendant la grossesse, les femmes sont accaparées par leurs symptômes et dans un état de fatigue intense. Mais après l’accouchement, avec la disparition des symptômes, elles sont souvent soulagées et à même de créer un lien épanouissant avec leur enfant. 

Certaines situations vous ont-elles marquée ?

J’admire toutes les femmes qui souffrent d’hyperémèse gravidique. Je me souviens d’une patiente qui a interrompu sa grossesse, en recourant à l’IVG, après avoir vécu une première grossesse très invalidante. Elle souhaitait pouvoir rester présente pour son premier enfant, mais la maladie l’en a empêchée et elle s’en sentait très coupable. Nous avons travaillé sur ce que signifie être une bonne mère, en déconstruisant l’idéal de mère et explorant le désir d’enfant. Plus tard, elle a souhaité être enceinte de nouveau tout en culpabilisant d’être enceinte après avoir eu recours à l’IVG. Son compagnon était soutenant, mais elle craignait qu’il ne se lasse de ses symptômes qui l’obligeaient à s’aliter. Elle avait peur de déléguer des tâches à son compagnon, à ses parents. La culpabilité est le sentiment le plus présent chez les femmes, mais il relève de la normalité, pas de la psychiatrie. Elle a poursuivi sa troisième grossesse jusqu’au bout et son aîné ne l’a pas mal vécu. Comme elle, certaines femmes souffrant d’hyperémèse lors d’une première grossesse recourent à une IVG à la suivante ou renoncent à un projet de grossesse. Toutes n’auront pas besoin d’un accompagnement psychologique. Si l’équipe médicale est bienveillante et prend en charge correctement les patientes, un accompagnement psychologique n’est pas forcément nécessaire.

Propos recueillis par Nour Richard-Guerroudj