Contraception partagée en France : sages-femmes, moteur du changement ?

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« Les sages-femmes sont dédiées à la santé des femmes, et nous sommes aujourd’hui très bien identifiées par la population comme l’une des professions en charge de la contraception, assure Gersende Marceau, sage-femme spécialisée dans la contraception testiculaire. Cela me paraît évident que, si changement il doit y avoir dans la charge contraceptive, on est moteur, levier ou frein dans ce changement. » Le changement est là. Il est balbutiant, mais il est là.

La contraception partagée à ses balbutiements 

92 % des femmes en âge de procréer et qui ne désirent pas de grossesse utilisent une contraception en France. Ce chiffre de l’Inserm suffit à justifier l’utilisation du terme « balbutiant ». Plusieurs raisons expliquent pourquoi les hommes ne se sont pas emparés des méthodes de contraception : des préjugés, des constructions socio-historiques, le manque d’informations disponibles et le faible nombre de dispositifs dont l’efficacité est prouvée et reconnue. 

Dans le pays, seules trois méthodes à destination des hommes sont recommandées par la Haute Autorité de santé (HAS) : le préservatif, la vasectomie et le retrait. Pour les femmes, la HAS en reconnaît plus d’une dizaine. D’autres méthodes de contraception masculine n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché et donc ne peuvent être commercialisées, seulement fabriquées artisanalement. C’est le cas de la contraception thermique avec les slips chauffants et les anneaux en silicone. La contraception hormonale existe par injections hebdomadaires. Validées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ces injections ne sont toutefois pas remboursées, et se limitent à 18 mois d’utilisation, faute d’études allant au-delà.

La notion de charge mentale de la contraception et la prise en charge de la contraception par les hommes font, ceci dit, doucement (trop ?) leur chemin. Selon les derniers chiffres de l’Assurance Maladie, le nombre de vasectomies remboursées est passé de 1908 en 2010 à 23 306 en 2021. L’utilisation des autres moyens contraceptifs est plus difficilement quantifiable, mais les sondages montrent une part grandissante d’hommes prêts à s’en saisir. La contraception partagée, c’est-à-dire le fait de faire reposer la responsabilité de la contraception sur l’un, l’autre ou les deux partenaires, mais pas automatiquement la femme, est donc possible. Et les sages-femmes sont bel et bien l’une des clefs pour que ce mouvement prenne de l’ampleur.


Gersende Marceau est sage-femme, spécialisée dans la contraception testiculaire. © Droits réservés.

L’expertise physiologie pour les sages-femmes, l’expertise pathologie pour les gynécologues 

Le rôle que les sages-femmes ont à jouer est inscrit dans le fondement même de leur profession. « C’est une question d’approche de soin, estime Leslie Fonquerne, sociologue du genre et de la santé qui a travaillé sur les perceptions de la contraception. Les sages-femmes sont expertes de la physiologie et de la santé des femmes de manière globale, quand les gynécologues sont formés plus particulièrement à la pathologie. » Selon elle, les sages-femmes sont ainsi « beaucoup plus enclines à proposer l’ensemble du panel contraceptif, y compris les méthodes non hormonales et, plus largement, les méthodes marginalisées. Dans ces méthodes marginalisées, il y a toutes les méthodes à destination des hommes. »

Si les gynécologues ont une expertise en termes de pathologie, « les sages-femmes ont des savoirs que les gynécologues n’ont pas », estime Leslie Fonquerne. La profession de gynécologue s’est construite en parallèle de la légalisation de la contraception, à commencer par celle de la pilule, à partir de la fin des années 1960. Leur formation et le façonnage de leur métier dans le temps ont favorisé la dimension médicale de la contraception. Et leur expertise médicale les conduit presque malgré eux à donner la priorité aux méthodes médicalisées, c’est-à-dire hormonales ou nécessitant une intervention (comme le DIU au cuivre). Le recours à ces méthodes est d’autant plus automatique pour eux qu’elles peuvent être utilisées pour traiter certaines pathologies liées au cycle menstruel ou limiter l’acné par exemple. 

Fortes de leur expertise en physiologie, les sages-femmes, quant à elles, savent enseigner aux femmes comment utiliser une contraception locale non hormonale. « Je ne suis pas sûre que l’ensemble des gynécologues sachent expliquer comment fonctionne un diaphragme : en tout cas, dans les entretiens que j’ai menés dans mon travail, ce n’était pas forcément une évidence », constate Leslie Fonquerne. Le diaphragme est révélateur, car, outre son aspect contraceptif, il est plus mécanique que médical. La contraception thermique masculine également.

Pour la sociologue, « si l’on veut que les femmes puissent bénéficier d’un choix libre et éclairé en la matière, il faut être en mesure de leur expliquer comment fonctionne l’ensemble des moyens de contraception. » Elle ajoute : « En termes d’accès à l’information sur la contraception et donc d’émancipation sexuelle pour les femmes, les sages-femmes font la différence. »


Leslie Fonquerne est sociologue du genre et de la santé. © Droits réservés.

Efficacité de la contraception, de l’indice de Pearl à l’accompagnement

Leur approche de sage-femme permet aussi de prendre un peu de recul vis-à-vis de l’indice de Pearl. Cet outil statistique est utilisé dans les essais cliniques pour mesurer l’efficacité des méthodes de contraception. ­
Il en découle une hiérarchisation de la présentation des méthodes de contraception, en fonction de leurs efficacités théoriques respectives. « L’indice de Pearl est le critère numéro un chez les gros prescripteurs, donc chez les gynécologues », selon Leslie Fonquerne.

Les sages-femmes ne font pas fi de cet indice pour autant. Mais Gersende Marceau, qui s’exprime là en tant que sage-femme et militante au sein du Planning familial, souligne : « Je pense qu’une méthode de contraception bien expliquée et correctement choisie par la patiente a une plus grande efficacité qu’une contraception contrainte et non expliquée. » Elle met un autre critère en avant : « Dans les recommandations de la HAS, il y a la méthode BERCER : Bienvenue, Entretien, Renseignements, Choix, Explications, Retour. C’est sur ça qu’on devrait se baser. » « R » comme renseignements, justifie pour elle de présenter automatiquement l’ensemble du panel contraceptif. 

Par ailleurs, les sages-femmes reçoivent au quotidien plus régulièrement que les médecins des patientes qui « vont bien », explique Suzanne Nijdam, porte-parole de l’Association nationale des étudiants sages-femmes (Anesf). Dans ces cas-là, elles n’abordent pas la contraception par le prisme de la pathologie, ce qui laisse de l’espace pour assurer l’ensemble de leurs missions. D’après Suzanne Nijdam, le métier de sage-femme se concentre, certes, sur l’amélioration de la santé des femmes, ce qui inclut leur éducation affective et sexuelle, mais son rôle est aussi d’informer la patiente sur ses droits. Elle doit créer les conditions du dialogue, prendre le temps nécessaire pour rassurer, écouter, et trouver la contraception la plus adaptée à chacune de ses patientes.


Suzanne Nijdam est la porte-parole de l’Association nationale des étudiant·e·s sages-femmes (Anesf).
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« On médicalise moins, il y a cette idée de ne pas vouloir tout médicamenter, de tout voir comme une maladie, de parfois être juste dans le dialogue parce qu’on ne fait pas que face à la pathologie », explique-t-elle. L’étudiante en cinquième année souligne : « Des fois, il y a des personnes qui livrent des vécus personnels très difficiles, ou qui ont aussi besoin de consulter pour échanger sur leur situation, pour comprendre que ce qui leur arrive est normal. » Les gens ne viennent pas que pour être soignés, ils viennent aussi parfois pour discuter. Grâce à ce dialogue, « il y a plus de place pour exposer aux personnes, voire aux couples, les choix à leur disposition ».

Pour Gersende Marceau, cette ouverture est au cœur du métier de sage-femme, c’est l’essence même de la profession. « On fait du suivi de gynécologie, du suivi de grossesse, du suivi en post-partum, du suivi pédiatrique, liste Gersende Marceau. On fait aussi des cours d’accompagnement dans la grossesse, des entretiens prénataux et des entretiens postnataux. » La sage-femme a de nombreuses occasions pour créer un lien avec ses patientes, en dehors des consultations médicales. « On a l’habitude de faire des entretiens, on a l’habitude de faire du dépistage psychosociologique, c’est dans nos compétences », ajoute-t-elle.

Des consultations construites autour du dialogue

La construction même d’une consultation découle de ce travail autour du dialogue. En moyenne, les consultations de sage-femme durent trente minutes. Celles des médecins (généralistes et gynécologues) tournent régulièrement autour de quinze minutes. Ce sont des constatations de terrain, émanant des trois personnes interrogées dans cet article. Aucune règle n’est écrite et Suzanne Nijdam tient à préciser : « Il y a bien sûr des sages-femmes qui font des consultations en 15 minutes et des gynécologues en 30 minutes. »

Toujours est-il qu’une demi-heure, « ça change la prise en charge, ça change l’ouverture dans nos questions. Nous avons le temps pour des questions où l’on ne répond pas que par “oui” et par “non”. Nous privilégions celles qui laissent aux femmes la place de s’exprimer sur des choses qu’elles n’avaient pas forcément prévu de nous confier, et pour lesquelles on pourrait aussi les accompagner », explique Suzanne Nijdam.

Gersende Marceau complète cette vision : « La durée des consultations nous laisse le temps de parler du vécu et des potentielles complications des contraceptions. » Selon elle, « en questionnant les raisons du rejet d’une contraception de la part de la patiente, on est plus à même d’aborder aussi les méthodes alternatives, telles que la contraception masculine. »

Accès aux hommes, légitimité, prescription : les limites

Les sages-femmes ont de nombreux atouts en main pour encourager une contraception mieux partagée entre les hommes et les femmes. Elles ont aussi leurs limites. « Là où il y a un biais, souligne Gersende Marceau, c’est qu’on a beaucoup plus accès aux femmes qu’aux hommes. » Encore une fois, les sages-femmes sont expertes dans la santé des femmes. Or, parler de contraception partagée et de contraception masculine, c’est inclure les hommes. Les urologues sont compétents, mais y ont très peu accès avant un certain âge. « Les médecins généralistes ont davantage accès à eux, et notamment aux
adolescents et jeunes adultes »
, souligne Gersende Marceau. Dans certains pays, c’est différent. En Angleterre, par exemple, les généralistes sont au cœur du système de prescription : tout le panel est présenté aux patientes et patients. Ce n’est pas le cas en France.

D’ailleurs, les sages-femmes ne sont pas prescriptrices de contraception masculine, hormis les préservatifs pris en charge par l’Assurance Maladie, soit les marques Eden et Sortez couverts. Elles peuvent informer et elles peuvent aiguiller. Et comme elles sont en contact en grande majorité avec les femmes, « ça reste une responsabilité féminine de devoir en parler et de devoir se renseigner », explique Leslie Fonquerne.

« La notion de légitimité est très intéressante aussi », note la sociologue. Selon elle, les gynécologues, « qui jouissent encore du statut d’experts de la contraception » vont enseigner à la fois à leurs pairs, donc aux gynécologues et aux sages-femmes, les méthodes médicalisées, c’est-à-dire les méthodes qui font partie de la norme contraceptive. Celles dont la responsabilité repose encore et toujours sur les femmes. « Par contraste, les quelques fois où les sages-femmes forment leurs collègues médecins, donc gynécologues ou généralistes, ça va être sur des méthodes marginalisées comme la contraception dite masculine », partage-t-elle. Les entretiens réalisés dans le cadre de son travail montraient qu’une moindre légitimité était accordée à ce partage de connaissance : « Des médecins constataient que, quand les sages-femmes venaient présenter ce type de méthodes, c’était dans un cours qui était considéré par les médecins eux-mêmes comme un cours annexe, qui n’était pas autant pris au sérieux qu’un cours de pharmacologie par exemple. »

Finalement, gynécologues ou sages-femmes, peu sont spécialisés sur la contraception testiculaire. Pourtant, ils étudient l’ensemble des dispositifs pendant leur formation initiale et la formation continue devrait leur permettre de se perfectionner. La place d’expert en contraception testiculaire semble encore à pourvoir. Reste à savoir si les sages-femmes vont se positionner.

par Clémentine Billé