Pourquoi sage-femme ?
Je ne parlerai pas de vocation, en ce qui me concerne. À ma sortie du lycée, j’étais dans le brouillard, je ne savais pas ce que je voulais faire. Mes parents travaillaient dans le milieu médical, alors je suis allée vers ce que je connaissais, un peu par mimétisme. À la fin de ma première année à l’université — le tronc commun médecine/dentaire/sage-femme —, je n’ai eu « que » sage-femme… Les jeux étaient faits. J’ai été diplômée en 2012 et j’ai enchaîné six mois à Laval, dans une maternité de niveau 2. Ensuite, je suis partie à -Château-Gontier, une maternité de niveau 1 qui réalise environ 850 accouchements par an. J’y suis restée près de dix ans.
Vous regrettez votre choix professionnel ?
Je ne vais pas répéter le mantra habituel : « sage-femme est le plus beau métier du monde, et cætera, et cætera. » Je préfère être transparente : je suis toujours en questionnement. Sage-femme est incontestablement un métier passionnant, enrichissant, où l’on se sent profondément utile. C’est déjà beaucoup ! Mais les conditions d’exercice font qu’au bout d’un moment, on s’épuise. Surtout si l’on s’investit beaucoup, ce qui est mon cas. Autre souci qui m’est propre : j’ai régulièrement besoin de nouveauté, de stimulation intellectuelle, j’ai toujours envie de sortir de ma zone de confort.
Quels ont été les aspects positifs de votre expérience à l’hôpital ?
En premier lieu, je dirais la polyvalence. Dans les maternités de niveau 1, elle est essentielle, car l’équipe est réduite. Les gynécologues sont parfois d’astreinte chez eux. Dans certaines structures, le pédiatre est absent le soir et le week-end, il n’y a pas d’interne… La majorité des grossesses sont, certes, physiologiques, mais quand ça se passe mal, la sage-femme est toute seule. En cas d’hémorragie, par exemple, lorsque chaque seconde compte, c’est elle qui réalise les premiers gestes. En niveau 3, il y a plus de pathologies, c’est sûr, mais il y a aussi tout le personnel spécialisé. En niveau 1, la sage-femme développe un champ de compétences très large. Certains pensent qu’en niveau 1 « on se la coule douce », parce qu’on ne gère pas la pathologie. Eh bien c’est une erreur ! C’est oublier, de surcroît, que les effectifs sont ajustés au nombre d’accouchements. Qui dit moins d’accouchements dit moins de personnel. La charge de travail ne varie pas, elle reste lourde même dans les plus petites maternités. Quand j’ai commencé à Château-Gontier, on était à 1 000 accouchements par an, avec une seule sage-femme en salle de naissances. Nous étions fatalement confrontées à des situations d’urgence (accouchement prématuré inopiné, par exemple) sans possibilité de transfert immédiat.Adrénaline garantie ! L’autre aspect positif majeur de l’hôpital est le travail en équipe. Plusieurs de mes collègues sont devenus mes amis. La relation avec les patientes est enrichissante, également. Quand la structure n’est pas immense, on revoit souvent les femmes le lendemain, en suites de couches. Ce lien, même s’il est court, donne du sens au métier.

Et les aspects négatifs ?
Le travail de nuit. Mais ce n’est pas spécifique à Château–Gontier, c’est partout la même chose. Pour ma part, je n’ai jamais réussi à dormir suffisamment dans la journée. J’ai des collègues qui font ça très bien, moi je n’y arrive pas. Ce rythme n’est pas physiologique et certaines études évoquent des liens avec des cancers. Ajoutez à cela les problèmes de sous-effectifs, les rappels trop fréquents (j’habitais à quinze minutes à peine de l’hôpital), les plannings donnés tard… Les petites gouttes ont fini par faire déborder le vase. Ma vie privée s’en ressentait, je jonglais en permanence entre deux culpabilités : refuser une garde avec l’impression d’abandonner le navire dans la tempête, ou bien annuler un engagement personnel. J’en avais assez de ces constants dilemmes. Peut-être que j’aurais tenu plus longtemps, si j’avais su dire non quand l’hôpital me rappelait. Je n’ai pas voulu devenir la soignante aigrie, qui devient désagréable avec les patientes ou avec ses collègues… L’élément déclencheur a été la Covid.
Que s’est-il passé ?
J’ai développé une allergie aux masques, avec des éruptions autour des yeux entrainant un ulcère de la cornée. L’origine et la composition des masques étaient complètement opaques, durant cette période. Les allergologues ne trouvaient rien, faute de savoir quelle substance tester. Cette allergie m’a, pour ainsi dire, « poussée » dehors.
Peut-on parler de burn-out ?
Je me méfie de ce mot à la mode et je ne pense pas en être arrivée à ce point-là. Mais j’y allais tout droit. J’avais besoin d’un changement radical, à la fois professionnel et géographique, qui me rapprocherait de ma famille. Ce genre de mutation étant compliquée à obtenir, j’ai déposé une demande de disponibilité… Je ne voulais pas bloquer un poste et j’avais besoin de prendre un peu de recul, d’un vrai break. Un an après, j’ai démissionné. Ça fait trois ans déjà. Depuis, heureusement, mon allergie a disparu.
Vous faites des vacations, désormais ?
Je suis retournée à Château-Gontier quelques mois à temps plein et ça s’est très bien passé. J’ai aussi fait des gardes à l’hôpital de Mayenne, tout ça sans passer par une agence d’intérim, juste par le bouche-à-oreille. J’habite désormais dans le sud Morbihan et j’adore ! J’ai pris contact avec la maternité de Redon, peut-être y ferai-je des gardes dans le futur. En plus de nombreuses occupations personnelles, je revois ma famille et les amis que j’avais délaissés par manque de temps. Oh, je ne m’ennuie pas ! Et puis il y a la Réserve sanitaire avec laquelle je pars en mission régulièrement.

Campagne de vaccination avec la Réserve sanitaire, dans les bangas de Mayotte © D.R.
Comment avez-vous découvert la Réserve sanitaire ?
Une amie m’en a parlé et je me suis renseignée sur le web, tout simplement. J’ai constitué mon dossier et je me suis inscrite, il y a un peu plus de trois ans de cela. Tout est allé très vite, puisqu’un mois à peine après mon inscription, je partais trois semaines à Mayotte. Ce n’est pas le travail qui manque là-bas ! Surtout depuis le cyclone Chido de décembre 2024. Ma première mission était antérieure et visait à combler le manque chronique d’effectifs sur l’île. J’ai été envoyée dans le dispensaire de Petite-Terre, pour une activité de sage-femme « classique ».
Parlez-nous un peu de Mayotte ?
C’est une île extrêmement paradoxale. Elle aurait plein d’atouts naturels pour être paradisiaque. Malheureusement, le climat d’insécurité, de violence, de corruption font que c’est plutôt l’enfer pour beaucoup de gens. Avec la Réserve, on est mobilisables 24 h sur 24, c’est stipulé dans le contrat. Les loisirs sont très restreints, limités à nos temps de repos.
On a le droit d’aller un peu sur certaines plages, selon les conditions de sécurité, qui peuvent changer rapidement. La gendarmerie met en place de rares sorties accompagnées, de petites randonnées qu’on peut faire « sous escorte ». Lorsqu’il y a des agressions, elles se résument en général à des vols, perpétrés par les plus démunis, ceux qui vivent dans des habitations de fortune faites de tôles et de bois de récupération, les fameux « bangas ». Beaucoup de Mahorais sont arrivés des îles voisines, sur des kwassa-kwassa, ces canots de pêche de sept à dix mètres de long, reconvertis en bateaux rapides avec un ou deux moteurs. Sur Mayotte, la population parle français, ou des dialectes comme le chimaoré. Il y a aussi une grosse diaspora malgache et des migrants africains arrivés avec le dialecte de leur région d’origine. La communication n’est pas évidente ! Les missions durent environ trois semaines et peuvent être prolongées à six. Au début de la mission, le temps paraît long. Un matin, on se rend compte que la moitié des trois semaines est derrière nous. Et quand vient le dernier jour, on n’a rien vu passer.
Chaque fois, c’est pareil !
Quelles sont les conditions de travail à Mayotte ?
Avant le cyclone Chido, les dispensaires étaient bien pourvus en matériel. C’était comparable à ce qu’on a ici. Tout a changé après. Le centre hospitalier de la capitale Mamoudzou et le dispensaire ont été bien abîmés.
Mamoudzou est la plus grosse maternité d’Europe et n’a pas du tout assez de moyens. En 2012, il y avait déjà à peu près 6 000 accouchements par an. En 2024, on en était à 14 000. Il y a sept salles d’accouchement à Mamoudzou, alors qu’il en faudrait 14 ou 15. Sans augmentation de la taille des locaux ni des effectifs, les choses ne peuvent pas s’arranger…
Les missions de la Réserve sanitaire vers Mayotte s’enchaînent tout au long de l’année, pour suppléer au manque d’effectifs sur place.
Êtes-vous retournée là-bas après le cyclone Chido ?
Oui, je suis partie avec la toute première mission post-cyclone en décembre 2024. Pas en tant que sage-femme, cette fois, mais en tant que logisticienne. Je me suis formée à cette discipline au sein de la Réserve sanitaire. La mission consistait à monter une base de vie pour accueillir les futurs soignants réservistes. Plus aucun hébergement ne tenait debout sur l’île. Quelques mois plus tard, en mars 2025, j’y suis retournée via une autre organisation, Secours sans frontières. Puis à nouveau avec la Réserve sanitaire en juillet et août. Je suis revenue il y a quelques semaines à peine… J’ai passé beaucoup de temps à Mayotte cette année.
Vous avez fait des campagnes de vaccination là-bas ?
Oui. Cette fois ce n’était plus à l’hôpital, mais au cœur des bangas. Ces missions consistent à monter des points journaliers de vaccination dans les villages. J’ai participé à la campagne contre la typhoïde et à celle contre le choléra. Des médiateurs locaux nous prêtaient main forte pour la traduction en chimaoré. Et aussi simplement pour être acceptés par les habitants méfiants. Sans papiers pour la plupart, ils craignent d’être contrôlés. Les conditions sanitaires sont catastrophiques dans ces habitations. L’accès à l’eau potable est, parfois, purement et simplement inexistant. Pour les vaccins oraux, on apportait des bidons d’eau.
Avez-vous des appréhensions avant de partir ?
Ma plus grosse angoisse, c’est de laisser ma famille et mes proches. Si quelque chose leur arrivait pendant mon absence, je ne pourrais pas revenir rapidement. Après le cyclone Chido, j’ai passé Noël et le 1er de l’an à 8 000 kilomètres du sapin. Cette longue distance n’est pas évidente à gérer pour moi.
Dans quel état revient-on ?
Fatiguée, c’est sûr. Il y a le changement de climat, d’alimentation. Il est très courant d’être malade au niveau digestif, quand on va à Mayotte. Il y a aussi la vie en collectivité, plus ou moins bien vécue. Pour ma part, sur un temps relativement court, cela ne me dérange pas d’être 24 h sur 24 en équipe. Pendant les missions, on tisse très vite des liens forts, parce qu’on vit des choses intenses, de vraies amitiés peuvent naître. Au retour, par contre, c’est le vide, on ressent un vrai coup de blues quand le groupe se sépare. Heureusement, la communauté est très active sur WhatsApp, surtout les premiers jours après la mission. On repartage des photos, certaines musiques qui nous rappellent de bons souvenirs, ça aide au sevrage. Petit à petit, les échanges diminuent et on garde un lien avec deux ou trois personnes. Ça finit par faire un beau groupe d’amis !
Et la Guyane ?
Je suis allée en mission à Saint-Laurent du Maroni, il y a trois ans. Là-bas aussi, les missions tournent régulièrement pour remédier au manque de staff en périnatalité. Le turnover des soignants est important, beaucoup ne restent pas plus d’un an sur place. Et la Guyane fait face elle aussi à une pression migratoire, en provenance notamment du Suriname. À part cela, l’hôpital de Saint-Laurent du Maroni est très beau et ferait pâlir d’envie bien des nôtres.

Pause à la plage, en Guyane
© D.R.
Votre engagement dans la Réserve sanitaire répond-il à un besoin d’adrénaline ?
Je crois qu’il y a de ça, oui. Les missions me sortent de ma zone de confort, me permettent d’acquérir des compétences nouvelles.
J’ai intégré depuis quelques mois la logistique et cela m’intéresse énormément : mettre tout en œuvre pour que les soignants puissent venir et travailler dans les meilleures conditions. En tant que sage-femme, je connais les besoins. La logistique est comme un nouveau métier pour moi, une nouvelle façon d’utiliser ce que je sais. Et ça me passionne ! J’ai même repris un D.U. à Créteil, Expertise dans la gestion des interventions d’urgence sanitaire, en lien avec tout cet aspect management de mission, coordination et logistique. La réponse aux catastrophes m’intéresse tout particulièrement.
Vous sentez-vous plus « vivante » en mission ?
Je dirais… oui. J’aime pratiquer mon métier de sage-femme ailleurs et autrement. J’aime découvrir de nouvelles sociétés, rencontrer les habitants, essayer de franchir le fossé culturel qui nous sépare, même s’il est parfois très profond. J’ai des amies mahoraises qui habitent Mayotte et qui m’aident à mieux connaître la culture locale. C’est très enrichissant professionnellement et personnellement. Mais ce qui compte le plus à mes yeux, dans ces missions, ce sont les relations interprofessionnelles, le travail en équipe, l’expérience humaine à la fois professionnelle et chaleureuse.

Avec Secouristes sans frontières médical team, à Mayotte en mars 2025 © D.R.
Y a-t-il un côté addictif ?
Parfois, je rentre en me disant « plus jamais ça ! », parce que la mission m’a épuisée ou qu’il y a eu des complications. Et puis après quelques temps, je sens grandir le manque, je résiste…
et je rempile. C’est comme lorsqu’il y a une poussée d’adrénaline en salle de naissance. Le cerveau tourne à mille à l’heure, le cœur bat à toute vitesse, on se dit qu’est-ce que je fais là ? Qu’est ce que j’aurais dû faire autrement ? On ressort de la salle groggy… Et puis, quand le calme est revenu, on repense à la tempête, avec l’envie inavouable d’y retourner.
Votre entourage vous soutient-il ?
Beaucoup ! C’est important, car cela atténue la culpabilité du départ. Ça c’est pour le soutien moral. Mais on peut aussi avoir besoin de sa famille et de ses amis pour prendre le relais sur des choses en cours dans notre vie personnelle. Ils m’apportent une aide concrète, quand j’en ai besoin.
Les crises à Gaza ou en Ukraine concernent-elles la Réserve sanitaire ?
Non. Les réservistes ne seront jamais envoyés en zone rouge, c’est à dire en zone de guerre. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) est susceptible de nous mobiliser dans des zones tampons, à proximité des zones rouges, mais pas à l’intérieur.

Campagne de vaccination dans les bangas de Mayotte © D.R.
Qu’avez-vous appris sur vous-même au travers de ces missions ?
Au départ, je ne suis pas forcément quelqu’un qui a une grosse confiance en soi. Mon engagement avec la Réserve sanitaire m’a donné de l’assurance. J’ai appris à vivre au jour le jour, heure par heure, avec un lâcher prise bien supérieur face aux incertitudes de la vie. J’ai appris aussi que j’avais des capacités insoupçonnées, que nous, les sages-femmes, avons des connaissances utiles dans d’autres domaines. Par exemple pour monter un hôpital de campagne à l’autre bout du monde. Je trouve que l’on ne s’en rend pas assez compte.
Vous pourriez travailler en logistique pour une ONG ?
Effectivement, d’ailleurs j’ai fait une formation avec -Gynécologie sans frontières, en juin. Je ne suis pas encore partie en mission avec eux, mais ça viendra. J’aimerais également apporter mon aide dans l’Hexagone, ce qu’ils font beaucoup. Avec Pédiatres du monde, peut-être également. Ces missions sont souvent bénévoles, il arrive même que l’on doive payer soi-même son billet. Pas évident donc de concilier le portefeuille et l’altruisme. Mais c’est extrêmement intéressant.
Avec la Réserve sanitaire, vous êtes indemnisée ?
Oui, les réservistes sont indemnisés. Les sages-femmes, médecins et pharmaciens perçoivent 300 € brut/jour ; psychologues, infirmiers, ingénieurs et cadres administratifs supérieurs, 125 €/jour.
Peut-on vivre exclusivement de ces missions ?
Non. La Réserve sanitaire n’a pas vocation à dégarnir les hôpitaux et la durée des missions est limitée (Cf. Grand angle p. 26 pour plus de détails pratiques). Il faut l’accord de l’employeur pour partir. Si j’étais restée à Château-Gontier, au vu du manque chronique de personnel, je doute que je l’aurais obtenu. Certaines consœurs partent sur leurs congés. Pour celles qui ont des enfants, il faut un coparent disposé à prendre le relais en leur absence.
Vous venez de participer à une session de formation pour la Réserve sanitaire…
Je suis formatrice, une nouvelle casquette qui me plait beaucoup. La dernière session s’est tenue à la campagne, mais je n’ai pas le droit de dire où ! Le programme est volontairement « top secret », n’essayez pas de me tirer les vers du nez, vous n’y arriverez pas ! Les participants doivent ignorer ce qui va se passer. On leur donne un cadre théorique le matin, mais des imprévus peuvent surgir. Chacun devra déployer des capacités d’adaptation, comme pendant une mission : vie en collectivité, travail en équipe, temps de repos et d’accès aux sanitaires très courts… Chacun appréhende la chose différemment, certains candidats l’acceptent bien, pour d’autres c’est rédhibitoire. C’est le but de ces sessions, que chacun teste ses limites avant de partir.
Est-ce qu’à chaque cyclone, tsunami, tremblement de terre, la logisticienne en vous se dit : « Ah oui, ils vont avoir besoin de ci et de ça » ?
C’est vrai que j’y pense. Mais la Réserve sanitaire se focalise sur la France, métropole et Dom Tom inclus. Nous ne nous déployons pas sur toutes les catastrophes. Peut-être irai-je avec Secouristes sans frontières, en revanche. La Réserve sanitaire répond aussi aux besoins qui se font sentir tout près de chez nous, dans l’Hexagone. J’avais postulé pour une mission de renfort hospitalier au Mans, par exemple, en tant que sage-femme. Je n’ai pas été rappelée. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères peut également solliciter des réservistes pour des missions partout dans le monde, mais je n’ai pas encore eu l’occasion de partir dans ce cadre.

Votre expérience via la Réserve sanitaire modifie-t-elle votre manière d’exercer en France ?
Dans un sens, oui. Je m’adapte mieux aux différents hôpitaux dans lesquels je fais des vacations. Je suis plus souple, plus habile à trouver mes marques, à m’adapter à mon nouvel établissement et à ma nouvelle équipe. Je reste calme, même dans les situations d’urgence. À dire vrai, ce calme, je crois que je l’ai toujours eu. J’ai peut-être aussi une meilleure capacité d’écoute de mon prochain. Et pourtant c’est paradoxal, parce que certaines plaintes me paraissent bien futiles, au regard de ce que je vois à Mayotte ou ailleurs. Elles peuvent venir des patientes comme des collègues. Certaines revendications sur le plateau repas, par exemple, sont risibles. Des fois je dois prendre sur moi. Lorsqu’on a été en contact avec la vraie misère, on mesure sans doute mieux la chance qu’on a de vivre sous nos latitudes. Il faut pourtant rester capable d’écouter toutes les souffrances, même celles que l’on a du mal à comprendre.
Que diriez-vous à une sage-femme qui hésite à rejoindre la Réserve sanitaire ?
D’abord, je lui conseillerais de travailler quelques années avant de partir en mission. Il est important d’avoir de l’expérience avant de se lancer. En mission, on est amené à travailler en procédure dégradée, dans des hôpitaux sinistrés. Il faut être très autonome et avoir une connaissance profonde de son métier. Ensuite, il faut que la sage-femme s’inscrive à l’une des journées d’information. Il y en a plusieurs chaque année, dispensées dans différentes régions du territoire. Enfin, une fois informée, qu’elle n’hésite pas à entrer en contact avec la Réserve et à se lancer. Je le répète, la Réserve n’envoie pas en zone rouge, on n’est pas censé risquer sa vie.
Les réservistes ont-ils des traits communs ?
Ce sont les traits communs à tous les soignants, il me semble. À savoir l’envie de donner de son temps et de ses compétences pour aider ses semblables. Avec peut-être, à la Réserve, une appétence supplémentaire pour l’aventure et la découverte.
Quels sont, selon vous, les grands enjeux actuels pour la profession de sage-femme ?
Pour moi, le défi sera de maintenir les professionnelles à l’hôpital. Pour cela, il faudra leur offrir des conditions de travail attractives et soutenables sur le long terme. Je regrette, pour ma part, la rigidité autour du cumul d’activités : on ne peut pas exercer un mi-temps à l’hôpital et développer une autre activité professionnelle à côté, sauf exceptions (artistiques, écriture d’un livre…). Le cadre est très réglementé. Pourtant, beaucoup d’entre nous y trouveraient un équilibre et resteraient fidèles plus longtemps à l’hôpital si les conditions étaient plus souples.
Le libéral vous tente ?
Pour l’instant, non. Le panel d’activités d’une sage-femme libérale ne me correspond pas suffisamment. Où trouverais-je ma dose d’adrénaline ? J’ai trente-six ans, il est fort possible que mon point de vue évolue sur cette question !
Vous avez un leitmotiv, une phrase qui vous guide ?
J’ai une petite phrase que j’aime bien, elle est d’une romancière anglaise, Margaret Drabble. « When nothing is sure, everything is possible. »
Interview réalisée par Stéphane Cadé
* « Quand rien n’est sûr, tout est possible », Margaret Drabble
