« L’éducation à la sexualité permet d’inscrire la prévention des violences sexuelles à l’école et permettra de libérer davantage la parole, expliquait Sylvie Ferrara, médecin conseillère technique du recteur d’Ajaccio, en Corse, aux Journées francophones de sexologie et de santé sexuelle, qui se tenaient à Montpellier en septembre dernier. Elle permet également de réduire les inégalités sociales de santé. Elle aborde l’égalité filles-garçons, femmes-hommes, la relation aux autres, les violences sexistes et sexuelles, le cybersexisme, le respect de soi, la pornographie. L’éducation à la sexualité permet aussi de parler aux jeunes des IST, de la contraception, du dépistage et de la prévention. Elle tient compte de l’environnement social. Elle est adaptée à l’âge des élèves et à leur degré de maturité, basée sur des informations scientifiques sans jugement de valeur, fondée sur l’égalité des sexes. » Quel beau programme ! On ne peut qu’acquiescer. Pourtant, sur le terrain, la réalité semble bien différente. À peine quelques miettes d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars), comme on l’appelle désormais, paraissent distribuées ci et là. Souvent trop tard. Malgré les textes, les circulaires, les arrêtés, les lois, les enquêtes et les rapports, qui s’empilent les uns aux autres dans une nébuleuse de structures financées par l’État ou les collectivités locales, l’éducation à la sexualité ne remplit ni ses obligations ni ses objectifs.
Les multiples structures, Éducation nationale en tête, se trouvent ainsi dans l’illégalité. La loi du 4 juillet 2001 relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception prévoit en effet qu’une « information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogènes ». Depuis plus de 20 ans, chaque année, chaque élève aurait donc dû recevoir au moins 3 heures d’enseignement à la sexualité. En 2016, dans un rapport détaillé sur la question, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) dressait un état des lieux peu reluisant. « Le constat est unanime et partagé : l’application effective des obligations légales en matière d’éducation à la sexualité en milieu scolaire demeure parcellaire, inégale selon les territoires, car dépendante des bonnes volontés individuelles. Elle est, selon le point de vue de certain·e·s acteur·rice·s, inadaptée aux réalités des jeunes. »
Insuffisance et inadaptation
Six ans plus tard, rien n’a changé. Et juste avant cette dernière rentrée scolaire, l’instance remettait le couvert : « L’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle brille par son insuffisance et son inadaptation aux besoins. » Pour Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du HCE, « du primaire au baccalauréat, l’école est le premier lieu de cristallisation du sexisme, de fixation des rôles sociaux et des stéréotypes de sexe. (…) Le HCE exhorte les Pouvoirs publics à faire de l’éducation à l’égalité et au respect entre les femmes et les hommes dès le plus jeune âge une priorité absolue. Cela commence par la refonte et la tenue des séances d’éducation à la sexualité prévues par la loi. »
Fin octobre 2021, le collectif féministe Nous Toutes avait lancé une enquête sur les réseaux sociaux. En un mois, presque 11 000 personnes avaient répondu. Toutes avaient effectué au moins une année au collège ou au lycée depuis 2001, date d’entrée en vigueur de la loi. Résultat : les personnes ayant répondu n’ont bénéficié que de 13 % du nombre total de séances qu’elles auraient dû avoir. Celles ayant suivi au moins 7 années de collège et lycée ont reçu en moyenne 2,7 séances d’éducation à la sexualité pendant toute leur scolarité, au lieu des 21 séances minimum prévues par la loi. En outre, à en croire les réponses, ces quelques séances ne les ont pas aidées dans leur vie affective et sexuelle et n’ont pas servi à prévenir les violences sexistes et sexuelles. Voilà quelques mois, en mars dernier, le Planning familial pressait à nouveau l’État à se mobiliser, l’accusant de « sécher les cours depuis vingt ans ».
Vers un renouveau politique ?
Pire encore, fin septembre, le journal en ligne Mediapart révélait l’existence d’un rapport sur « l’éducation à la sexualité en milieu scolaire », réalisé par l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche, remis en juillet 2021 à l’ancien ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, ainsi qu’à sa collègue chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, mais jamais rendu public. Dès le préambule, les deux autrices du rapport écrivent : « Cette mission pose la question de l’existence et de la réalité de cette politique publique. » Les chiffres officiels corroborent ceux des enquêtes associatives : « Moins de 15 % des élèves bénéficient de trois séances d’EAS [éducation à la sexualité –ndlr] pendant l’année scolaire en école et au lycée (respectivement moins de 20 % en collège). » À en croire de récentes déclarations, Pap Ndiaye, le nouveau ministre de l’Éducation, semble mieux disposé que son prédécesseur à se saisir du dossier. Mi-septembre, son entourage annonçait que son ministère travaille à « construire de nouveaux outils ». Il y a urgence. Selon le HCE, 1 jeune de 18 ans à 24 ans sur 4 déclare avoir déjà eu des rapports sexuels non consentis et plus de 1 jeune fille de 15 ans à 17 ans sur 2 a déjà vécu un acte ou un propos sexiste dans le cadre scolaire. En outre, comme le rappelait le Planning familial, « face à cette défaillance publique, certain·e·s Français·e·s tentent de combler leurs méconnaissances en cherchant des réponses auprès de proches, du porno, de séries TV, des réseaux sociaux, avec des résultats plus ou moins pertinents ».
Comment en est-on arrivé là ? Le Planning familial, qui croule sous les demandes sans pouvoir les honorer, évoque un manque de moyens. Pour Nadia Rachedi, gynécologue-obstétricienne territoriale dans l’Hérault, « les moyens existent, mais ils sont extrêmement morcelés. On pourrait mieux utiliser les ressources. » La gynécologue représente les départements de France au comité de pilotage de la Stratégie nationale en santé sexuelle. « Les acteurs de santé sexuelle sont nombreux, mais complètement dispersés, poursuit-elle. Chacun réfléchit dans son périmètre administratif, sans concerter les autres. Actuellement, l’éducation sexuelle est une usine à gaz qui consomme énormément de ressources en créant une surcharge administrative absolument énorme pour donner des structures dépourvues de notoriété. Résultat : l’éducation à la sexualité est distribuée à dose homéopathique, comme une vitrine pour se donner bonne conscience. Chaque structure travaille pour elle-même, et à l’intérieur de chacune, la frontière entre ceux qui font de la santé publique et ceux qui font de l’offre de soins peut être étanche. C’est kafkaïen. Sur la centaine de départements, pas un seul ne fonctionne de la même façon. Certains délèguent complètement cette compétence aux hôpitaux. Il n’y a aucun pilotage national. Aujourd’hui, on ne peut pas continuer à consommer du médecin pour faire tourner des coquilles vides. »
Mille-feuille administratif
Par circulaires et décrets, l’État, ou le tissu associatif financé par l’État et les collectivités territoriales, a en effet engendré plusieurs structures. Aux côtés des principaux effecteurs comme l’Éducation nationale et les hôpitaux, on trouve les espaces Vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars). Nés en 2018, ils doivent informer. Ils disposent de personnel compétent en conseil conjugal et familial. Les Cegidd sont les centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic. On y trouve surtout du personnel médical. Par un texte de février dernier, les anciens centres de planification et d’éducation familiale (CPEF) sont devenus des centres de santé sexuelle. Ils rassemblent la plupart du temps du personnel compétent en conseil conjugal et des professionnels de santé. Ainsi, ce sont des Evars médicalisés. À moins qu’ils ne soient la combinaison d’un Evars et d’un Cegidd ? Pour compliquer encore un peu l’affaire, les structures sont financées à différents niveaux, qui ne communiquent pas forcément les uns avec les autres. Quand certaines dépendent directement de l’État, d’autres sont financées par les départements ou les communes. En outre, toutes ces structures relèvent d’effecteurs différents. Les Evars sont la plupart du temps sous la houlette du Planning familial, qui est une association, quand les Cegidd sont pilotés par les hôpitaux ou les départements. Parfois, ils sont eux aussi imbriqués dans le tissu associatif et gérés par Aides. De leur côté, les centres de santé sexuelle peuvent être gérés par les départements, les hôpitaux ou le Planning familial. « Certaines structures n’ouvrent qu’une demi-journée par semaine, s’insurge Nadia Rachedi. Il faudrait simplifier et rassembler ces structures pour qu’elles soient ouvertes toute la semaine. Dans certains départements, il y a 4 ou 6 Evars, quand d’autres n’en ont aucun. Ailleurs, Cegidd et centre de santé sexuelle sont situés à côté, mais ne fonctionnent pas ensemble. » Insuffisance de pilotage, organisation ingouvernable, mille-feuilles de ressources, illisibilité et défaut de notoriété, dispersion de moyens, lourdeur administrative, inégalités territoriales. Les constats ne sont pas brillants. Comme les textes qui se sont multipliés sur le sujet, la feuille de route de la nouvelle Stratégie nationale de santé sexuelle est très générale. Elle ne tient pas compte des réalités locales. Elle engage cependant chaque ARS à créer sa feuille de route locale. Peu de régions sont déjà passées à l’action. « Actuellement, au niveau national, tous les acteurs sont autour de la table, mais ce n’est pas encore le cas au niveau local, précise Nadia Rachedi. Il faut repartir du terrain. Mais les départements vont-ils coopérer ? L’Éducation nationale va-t-elle coopérer ? Le tissu associatif et militant va-t-il adhérer ? »
Verrous moraux ?
Principal effecteur de l’éducation à la sexualité, l’Éducation nationale pose question. Plusieurs acteurs s’interrogent sur la présence de verrous moraux au sein de l’institution. En filigrane, tout le monde se souvient du naufrage des ABCD de l’égalité, survenu en 2014. Alors que l’éducation à la sexualité est d’une importance capitale en matière de prévention des IST, des grossesses précoces et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, certains acteurs continuent de penser que ce type d’enseignement ne doit pas quitter la sphère familiale. Sur le terrain, les enseignants sont déboussolés. Souvent en première ligne, les profs de bio ne sont pas formés au consentement ou à la construction de l’estime de soi. Leur approche reste très biomédicale, basée sur la vie reproductive. Dans ce contexte, des intervenants extérieurs spécialisés sont incontournables. Ce qui inquiète d’autant plus le milieu scolaire, qui n’a aucune garantie sur la qualité des interventions. Les enseignants craignent aussi les retours des parents.
Lancée en mars 2022, une mission de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) devrait répondre. Elle doit explorer des pistes qui permettent de garantir une offre lisible, accessible et coordonnée de santé sexuelle et reproductive au niveau territorial, dont l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle. Ses conclusions sont attendues pour cet automne. Ce nouveau rapport apportera-t-il des pistes d’amélioration concrètes ou ne sera-t-il qu’un élément supplémentaire sur la pile des dossiers ?
Commercialisés exclusivement auprès des professionnels de santé par l’organisme Sex-ed +, ces moulages en silicone souple – ici une vulve avec clitoris amovible – sont des outils pédagogiques anatomiquement exacts, moulés directement sur plusieurs personnes. Développés par Magaly Pirotte, une chercheuse indépendante sur l’éducation à la sexualité et la santé sexuelle et reproductive, ils représentent « le vaste spectre des génitalités (mâles, femelles, intersexuées, trans, avec chirurgies volontaires ou involontaires, etc.) ». On peut les acquérir directement en ligne, via le site internet de Sex-ed +.
■ Par Géraldine Magnan