« C ’est le texte dont je suis le plus fière, bien que le sujet ne soit pas considéré comme “noble”, car la problématique concerne de très nombreuses femmes. » Ainsi s’est exprimée Marie-Victoire Sénat lors de la présentation du consensus formalisé d’experts sur la Prise en charge des nausées et vomissements gravidiques et de l’hyperémèse gravidique. L’avis du groupe d’experts, que la professeure de gynécologie-obstétrique de l’hôpital du Kremlin-Bicêtre a contribué à cordonner, a été détaillé lors des journées Paris Santé Femmes, en mai, à Paris. Les préconisations se concentrent surtout sur l’hyperémèse gravidique, soit le degré le plus sévère des nausées et vomissements.
LA RECONNAISSANCE, ENFIN !
Ce consensus était très attendu par les représentantes d’usagers. Dès 2016, France Artzner, vice-présidente du Ciane et fondatrice de l’association 9 mois avec ma bassine, avait interpellé le Collège national des gynécologues et obstétriciens français. Elle demandait des recommandations pour la prise en charge de l’hyperémèse gravidique. « Nous espérions un tel texte, car l’hyperémèse n’était ni reconnue comme une pathologie ni définie jusqu’ici », témoigne aussi Audrey Tranchant, fondatrice de l’Association de lutte contre l’hyperémèse gravidique. Les deux représentantes ont d’ailleurs été associées au groupe de travail à l’origine du consensus. « Bien qu’il ne s’agisse pas de recommandations de bonnes pratiques, les nouvelles préconisations vont permettre d’améliorer les prises en charge », estime France Artzner.
Le CNGOF a en effet choisi de publier un consensus formalisé d’experts. La littérature manquait sur le sujet et les études retrouvées étaient de faible qualité scientifique pour prétendre à la publication de recommandations de bonnes pratiques, comme il est d’usage. « Le consensus formalisé d’experts permet de dire quelles sont les meilleures pratiques à proposer aux patientes, explique Loïc Sentilhes, chef du service de gynécologie-obstétrique au CHU de Bordeaux et coordinateur du groupe de travail. Le manque d’études sur les nausées, les vomissements et l’hyperémèse gravidiques est effarant. Cela constitue un véritable trou dans la recherche et un champ à investir. »
Malgré ces lacunes, le groupe de travail a recouru à la méthode Grade, consistant à analyser la littérature, déterminer la qualité des preuves disponibles puis à définir la force de chaque proposition. Dans un deuxième temps, les préconisations du groupe ont été soumises à 100 relecteurs selon la méthode Delphi à deux tours.
Témoignage d’Estelle, recueilli par l’Association de lutte contre l’hyperémèse gravidique (extraits).
« J’ai été obligée d’arrêter le travail. Je ne pouvais plus conduire à cause de la fatigue extrême et de la déshydratation. Je ne pouvais plus dormir à cause de mes brûlures d’estomac et de mes nausées H24. La peur de vomir s’installa alors. J’étais morte d’épuisement. Sentir toutes ces odeurs, même celles qu’on ne sent pas en temps normal, voir le frigo s’ouvrir était un supplice et une torture. Devant mon état, mon conjoint m’a donc amenée aux urgences. On m’a réhydratée par perfusion. L’hospitalisation a duré trois jours. On me donna au départ du Primperan en perfusion bien que cela me soit interdit du fait de mon épilepsie, puis du Donormyl, et de l’Omeprazole. J’ai pu recommencer à m’alimenter et à boire et les vomissements se sont nettement réduits. Ma mère me disait “tu devrais être heureuse d’être enceinte ! Tout le monde n’a pas cette chance.” Mon beau-père aussi m’a fait du mal en me disant “si tu es malade, c’est parce que tu n’acceptes pas ta grossesse, comme quand tu as tes règles et que tu n’acceptes pas ta féminité, ce qui te donne donc des maux de ventre.” Réhospitalisation 3 jours à 11 SA. Cette fois-ci, je vomissais malgré tout, je ne mangeais presque pas, mais à cause du coronavirus on m’a presque mise à la porte sans me donner un nouveau traitement… Cela a duré jusqu’à 13 SA où mon conjoint a téléphoné à la maternité. On m’a fait une prescription de Zophren. Il s’est produit un miracle ce jour-là… Malgré ce cauchemar, je suis heureuse d’avoir réussi à mener cette guerre pour créer la vie. »
DES CRITÈRES DÉFINIS
Les experts définissent les nausées et vomissements gravidiques comme « des nausées et vomissements débutant au premier trimestre de la grossesse en l’absence d’autre étiologie ». Surtout, ils proposent trois critères cliniques pour évaluer leur sévérité : la perte de poids rapportée au poids avant la grossesse, la recherche de signes cliniques de déshydratation et le score de PUQE (Pregnancy Unique Quantification of Emesis and nausea) modifié. Ainsi, les nausées et vomissements non compliqués correspondent à une perte de poids inférieure à 5 %, aucun signe de déshydratation et un score de PUQE inférieur à 6. Ces nausées et vomissements touchent 50 à 90 % des femmes enceintes. « Le plus souvent, les symptômes sont peu sévères, sans altération de la qualité de vie et disparaissent à la fin du premier trimestre, précise Philippe Deruelle, chef du service de gynécologie-obstétrique au CHU de Strasbourg. Ils ne nécessitent pas de bilan biologique ni d’échographie. »
Quant à l’hyperémèse gravidique, elle est définie par des nausées et vomissements associés à au moins un des critères suivants : une perte de poids supérieure ou égale à 5 %, un ou plusieurs signes de déshydratation et un score de PUQE supérieur ou égal à 7. Près de 35 % des femmes seraient concernées. Et dans 0,3 à 3,6 % des cas – selon les différentes études – les vomissements sont incoercibles et représentent la première cause d’hospitalisation au premier trimestre de la grossesse.
« Le rôle des différents facteurs de risque est incertain, reconnaît Philippe Deruelle. Les études portent sur de faibles effectifs et rapportent des résultats contradictoires. » Des prédispositions génétiques, des facteurs biologiques, un faible indice de masse corporelle, un fœtus de sexe féminin, ou un faible état de santé général sont autant de facteurs de risques rapportés. L’hyperémèse comporte surtout des risques « probables » pour l’état de santé de la mère et du fœtus : petit poids de naissance, petit poids pour l’âge gestationnel et naissance prématurée.
Témoignage de Nassima, recueilli par l’Association de lutte contre l’hyperémèse gravidique (extraits).
« Le gynécologue me disait que c’était normal, que c’étaient les symptômes de grossesse et qu’il fallait prendre son mal en patience. J’avais beau insister, lui demander de me faire des analyses, il n’a rien voulu entendre. Le soir-même, vomissements de caillots de sang, trouble de la vision, perte de l’ouïe. On m’hospitalise, m’enferme dans une chambre noire, pas d’eau, pas de repas. Perfusion sur perfusion, aucun médicament ne fonctionnait. Un soir, je craque, je demande à mon mari de venir me chercher à 3 h du matin. Je signe une décharge et pars. Le lendemain, l’endocrinologue de l’hôpital appelle. Je dois revenir à l’hôpital, car mon taux de potassium était descendu trop bas. Je prépare donc ma valise, tout en vomissant et là, je m’écroule. Je n’arrive plus à me tenir debout. Mon mari me porte sur son dos. On me place en réanimation, complètement déshydratée et affamée. Quatre nuits à hurler, à souffrir. Transfert de potassium toutes les six heures, mon corps brûle, mes veines brûlent, la descente aux enfers continue. Après quelques jours, on me demande si je veux interrompre ma grossesse, car leur priorité était de me sauver. Je suis contre, car après cinq ans d’attente, je ne peux pas me permettre un tel acte. Ils m’autorisent donc à rentrer chez moi avec un traitement lourd, mais l’enfer continue, aucun médicament ne fonctionne. Six mois sont passés et 18 kg perdus. Après des jours d’enfer, le lendemain de mon accouchement, tout s’est arrêté comme par magie. »
LA FIN DE L’APPROCHE PSY
Fait le plus marquant : le consensus d’experts remet radicalement en cause l’approche psychologisante de l’hyperémèse gravidique et son lot de mauvaises pratiques. Ces dernières s’inspirent de la prise en charge des troubles anorexiques, impliquant hospitalisation et extraction sociale. « De trop nombreux hôpitaux ont encore des protocoles d’isolement, dans le noir, de confiscation du téléphone et d’interdiction de visites, des pratiques qui n’ont pas lieu d’être », témoigne Luisa Attali, psychologue au CHU de Strasbourg et membre du groupe de travail (lire aussi p. 30). « Le principal intérêt de ce texte est de couper court à des idées reçues sur l’hyperémèse, estime France Artzner. Il va falloir continuer à les combattre cependant, le temps que les préconisations soient connues. »
Les experts sont très clairs et affirment qu’ « il n’y a aucune preuve d’une étiologie psychosomatique
ni aucune preuve en faveur d’une association entre hyperémèse gravidique et des traits caractéristiques de la personnalité ». Ils ont en effet jugé que les études rapportant « la préexistence de troubles psychiques favorisant l’apparition de l’hyperémèse gravidique ou l’intégrant dans un ensemble plus global d’affections liées à l’oralité » relevaient d’une approche dogmatique, ne prenaient pas en compte des facteurs confondants et concluaient malgré la taille réduite des échantillons de population étudiés.
En réalité, le stress, l’angoisse, voire les états de stress post-traumatique et les idées suicidaires sont la conséquence et non la cause de l’hyperémèse gravidique. Certaines femmes en arrivent même à envisager une IVG ou renoncent à des grossesses ultérieures tant leur calvaire est important (voir les témoignages en encadrés).
Lorsque les vomissements sont sévères et incoercibles, les femmes perdent du poids et s’affaiblissent physiquement. Elles ne tiennent souvent plus debout. Les symptômes se prolongeant, le moral en est forcément affecté. « Les femmes sont livrées à elles-mêmes alors qu’elles sont dans une grande souffrance, elles s’effondrent quand elles nous contactent, témoigne Audrey Tranchant. Souvent, elles s’interrogent sur elles-mêmes et se torturent, car on leur fait croire que c’est dans leur tête. Qu’on arrête de penser qu’elles ne sont pas matures ou qu’elles ne désiraient pas leur grossesse. Ces propos sont délétères. »
C’est pourquoi les experts jugent indispensable d’offrir la possibilité d’un soutien psychologique à toutes les patientes atteintes d’hyperémèse gravidique et d’informer les femmes de l’existence d’associations de patientes pour les accompagner.
Témoignage de Susan, recueilli par l’Association de lutte contre l’hyperémèse gravidique (extraits).
« Des nausées et vomissements extrêmes jour et nuit, une déshydratation immédiate, une perte de poids instantanée, une vie sociale foutue en l’air, plus de maquillage, plus d’hygiène, toujours les mêmes habits, toujours la même coupe de cheveux, des cheveux sales, un corps affaibli, un personnel soignant à cinq minutes de chez nous totalement irrespectueux, inexpérimenté et sans cœur. L’hyperémèse sur une année, c’est 3 hospitalisations en août, 2 hospitalisations en septembre, 1 hospitalisation en octobre, 1 hospitalisation en novembre qui a duré 1 mois. J’ai tenu jusqu’à la césarienne programmée le 19 mars. Le mois d’août a été un véritable enfer. Je ne supportais plus aucun bruit. J’étais morte de fatigue, si je fermais les yeux, j’avais envie de vomir. Je n’avais plus le droit de dormir. Je ne veux pas détailler les premier et deuxième trimestres, trop douloureux, le traumatisme est là. Je n’ai pas eu la chance d’être soignée par le professeur Deruelle de suite, car un barrage de médecins à son étage me disait que tout allait bien pour le bébé. Je suis rentrée finalement le 16 décembre avec les encouragements de mon médecin, des sages-femmes, de ma psychologue et du professeur du CHU de Hautepierre. Des ordonnances avec un traitement Zophren et Dornomyl et un soutien de leur part à distance. Je n’ai plus vomi depuis le 19 novembre. Les nausées sont revenues fin février, car avec mon médecin traitant, j’avais mis en place un sevrage pour supprimer 2 médicaments sur 4 avant la naissance de Lina. Je me sentais coupable tous les jours que ma fille les avale avec moi, à me demander si elle allait vraiment être en bonne santé. La césarienne s’est passée tellement vite. Un soulagement. Je pleure encore beaucoup aujourd’hui. J’ai pris la décision d’être opérée pour une ligature des trompes. »
Concernant les nausées et vomissements peu compliqués, les experts ont étudié les traitements non médicamenteux dans un premier temps. Ils proposent que les femmes cessent de prendre des vitamines prénatales ou toute supplémentation en fer, qui semblent aggraver les symptômes. La supplémentation folique peut être poursuivie seule. Les experts jugent aussi qu’aucune modification du régime alimentaire ou du mode de vie n’a prouvé son efficacité pour améliorer l’état des patientes. À elles d’adapter leur hygiène et leur alimentation selon leur ressenti. La prise de gingembre, de vitamine B6 ou encore l’acupression sont à réserver aux femmes avec un score de PUQE inférieur ou égal à 6, car il n’est pas prouvé que ces traitements améliorent les symptômes. L’aromathérapie n’est quant à elle pas conseillée, faute de preuve de son efficacité et en raison des risques associés à la prise d’huiles essentielles.
Dans les situations peu compliquées, les données concernant les traitements antiémétiques sont peu nombreuses et de faible qualité et ne permettent pas d’affirmer la supériorité d’une molécule par rapport à une autre. Les experts ont donc tranché et proposent en première, deuxième ou troisième
intention de choisir « les médicaments ou les associations de médicaments associés aux effets secondaires les moins sévères et les moins fréquents ».
En cas d’hyperémèse gravidique, pour estimer son degré de gravité, les experts proposent de réaliser des dosages de la kaliémie, de la natrémie, de la créatininémie et une bandelette urinaire complète, tout en évaluant la perte de poids et la qualité de l’hydratation. En cas d’hyperémèse sans signe de gravité, les traitements sont les mêmes que pour les nausées et vomissements simples. En revanche, une hyperémèse avec signes de gravité implique une hospitalisation pour réhydratation et traitement. « Nous avons tenté de fixer des seuils de perte de poids, explique Philippe Deruelle. Mais en cas d’hospitalisation, il faut rester ouvert et évaluer au cas par cas. » Thomas Schmitz, chef de service à l’hôpital Robert-Debré, à Paris, et coordinateur du groupe de travail, précise : « Lorsque la perte de poids est importante et supérieure à 30 %, la réhydratation seule ne suffit pas. Il s’agit davantage de cas de dénutrition et il faut adapter la prise en charge. » Dans les cas sévères, les experts jugent utile d’administrer systématiquement de la vitamine B1 pour prévenir la survenue chez le fœtus d’une
encéphalopathie de Gayet Wernicke. L’algorithme de prise en charge détaille les traitements administrés en première, deuxième ou troisième intention, associés à des protecteurs gastriques (voir page 28).
La question du traitement par ondansétron (Zophren®) en cas d’hospitalisation a été débattue. Une étude américaine de 2018 a en effet montré une augmentation minime, mais
significative, du risque de fentes labio-palatines, de l’ordre de 3 cas supplémentaires pour 10 000 naissances vivantes exposées. Les experts ne recommandent donc son utilisation qu’à partir de douze semaines d’aménorrhée, conformément à l’avis de l’Agence nationale de sécurité du médicament de 2019 et à l’absence d’autorisation de mise sur le marché pour le traitement des nausées et vomissements au premier trimestre de la grossesse. De son côté, le Centre de références sur les agents tératogènes (Crat), dans un avis du 8 juillet 2021, estime que le risque nécessitait d’être confirmé, car « certains facteurs de confusion, tels que les antécédents familiaux, n’ont pas été pris en compte » dans l’étude. Le Crat juge ainsi que l’ondansétron peut être administré après dix semaines d’aménorrhée, soit à la fin de la période d’organogenèse. « Le risque peut être discuté avec la patiente, tout comme l’opportunité d’attendre une à deux semaines de plus avant la prise d’ondansétron », estime Loïc Sentilhes.
Témoignage de Julie, recueilli par l’association 9 mois avec ma bassine.
« Ce furent huit mois compliqués. Arrêt du travail à un mois de grossesse qui va avec une perte de salaire importante. Mon mari me lavait. Incontinence urinaire. Rééducation du périnée importante, due en partie aux vomissements à répétition. Et également rééducation musculaire grâce au kiné, car avec une perte de plus de 10 kg et pas d’activité pendant 8 mois, cela fait de gros dégâts, surtout au niveau du dos. »
ACCOMPAGNEMENT À DOMICILE
Autre innovation : les experts proposent un accompagnement à domicile après une hospitalisation pour éviter au maximum les récidives et dans les cas où la patiente refuse l’hospitalisation. La surveillance doit être assurée par le médecin traitant, en coordination avec l’hôpital si besoin. Les traitements et la réhydratation par perfusion peuvent ainsi être poursuivis à domicile. L’évaluation de l’état de la patiente est régulière, permettant une réhospitalisation si besoin. « Les femmes sont vraiment satisfaites de ce type d’accompagnement », estime Philippe Deruelle, qui a initié plusieurs prises en charge de ce type et innové en la matière. Les préconisations des experts sont donc bien loin des pratiques inappropriées et maltraitantes d’isolement. « Nous espérons que la femme qui vomit que l’on oublie au fond du service appartiedra vite au passé, se félicite Audrey Tranchant, de l’Association de lutte contre l’hyperémèse gravidique. On aimerait aussi ne plus avoir de femmes qui nous appellent en nous disant “on m’a renvoyée sans rien me donner” alors qu’elles ont perdu près de 8 kg ! ». France Artzner, de l’association 9 mois avec ma bassine, s’inquiète cependant de la logistique pour être à même d’hospitaliser les femmes qui en auront besoin : « Les hôpitaux disposent-ils de suffisamment de lits ? » Car les deux militantes en sont sûres : au fur et à mesure que les femmes seront informées, elles se manifesteront davantage auprès des hôpitaux et ne passeront plus sous les radars. Le nombre de cas sévères pourra être correctement évalué. Si l’estimation de 2 % de femmes enceintes souffrant d’hyperémèse grave est juste, cela représente plus de 14 000 cas par an. Il n’est donc plus permis de juger le sujet comme étant anecdotique.
■ Nour Richard-Guerroudj