La surveillance postinterventionnelle par les sages-femmes

Les difficultés liées au recrutement de certains professionnels de santé peuvent amener les directions d’établissement de santé à des organisations qui sont à la limite de la légalité : cela peut être le cas dans la prise en charge de la surveillance postinterventionnelle (SSPI) des patientes césarisées.

Il est difficile pour une sage-femme de refuser d’effectuer la surveillance postinterventionnelle (SSPI) des patientes césarisées, surtout dans le cadre des difficultés organisationnelles et de manque de personnel. Mais la question des compétences des sages-femmes se pose en ce qui concerne cette surveillance postinterventionnelle et les lourdes conséquences que peut avoir un défaut de surveillance dans les suites d’une césarienne. 

Une réglementation et une jurisprudence claires 

La réglementation concernant l’anesthésie et notamment la SSPI figure aux articles D6124-91 et suivants du Code de la santé publique. 

L’article D6124-98 dispose que, sauf pour les patients dont l’état de santé nécessite une admission directe dans une unité de soins intensifs ou de réanimation, la surveillance qui suit le transfert du patient est mise en œuvre dans une salle de surveillance postinterventionnelle.

L’article dispose aussi que, sous réserve que les patients puissent bénéficier des conditions de surveillance mentionnées à l’article D. 6124-97 (contrôle des effets résiduels des médicaments anesthésiques et de leur élimination, prise en charge des complications éventuelles liées à l’intervention ou à l’anesthésie, surveillance continue dès la fin de l’intervention), la salle de travail située dans une unité d’obstétrique, en cas d’anesthésie générale ou locorégionale pour des accouchements par voie basse, peut tenir lieu de salle de surveillance postinterventionnelle.

L’article D6124-101 précise que les patients admis dans une salle de surveillance postinterventionnelle sont pris en charge par un ou plusieurs agents paramédicaux, ou sages-femmes pour les interventions prévues au 1° de l’article D. 6124-98 (c’est-à-dire les accouchements par voie basse), ­affectés exclusivement à cette salle pendant sa durée d’utilisation et dont le nombre est fonction du nombre de patients présents.

Les sages-femmes peuvent donc prendre en charge la surveillance postinterventionnelle des patientes ayant accouché par voie basse (sous anesthésie locorégionale ou générale), et non celle des patientes césarisées. 

D’autre part, il est précisé que la sage-femme affectée à la surveillance postinterventionnelle doit y être affectée exclusivement, et que cette surveillance doit être continue. 

À RETENIR :

  • Une sage-femme ne peut pas prendre en charge la surveillance postinterventionnelle d’une patiente césarisée.
  • Une sage-femme peut prendre en charge la surveillance postinterventionnelle d’une patiente ayant accouché par voie basse, sous anesthésie locorégionale ou générale. Cette surveillance peut être effectuée en salle de naissance. Mais elle doit être continue et la sage-femme doit y être affectée exclusivement. 

La jurisprudence rappelle régulièrement la responsabilité de l’anesthésiste et le devoir de surveillance qui pèse sur lui.

Cass. Crim. 15 janvier 2019, n° 17-86461

Une patiente de 23 ans devait subir une double intervention (biopsie par curetage utérin puis cœlioscopie).

Lors de l’intervention, une fois le curetage réalisé, le chirurgien a quitté la salle pour se laver les mains, l’anesthésiste l’a quittée aussi pour se rendre auprès d’une autre patiente, l’une des deux Ibode présentes est allée téléphoner et l’autre a préparé le matériel pour la seconde intervention.

Au cours de ce laps de temps, la patiente était toujours sous anesthésie générale et, pour une raison indéterminée, la sonde endotrachéale a été déconnectée, occasionnant, en l’absence de réaction de quiconque, une anoxie prolongée et une incapacité permanente partielle de 99 %.

Après avoir été déclaré coupable de blessures involontaires, le médecin anesthésiste a été jugé civilement responsable pour ne pas avoir donné de consignes précises à suivre pendant son absence, alors que la patiente se trouvait sous anesthésie générale entre deux interventions devant se succéder, et sans s’assurer qu’elle était prise en charge par un personnel habilité.

La Cour de cassation a rappelé que c’est bien le médecin anesthésiste qui est tenu d’un devoir de surveillance des patients anesthésiés, et qu’il ne peut s’exonérer de sa responsabilité en arguant d’une organisation imparfaite des services.

Cour de cassation, Chambre criminelle, ­
16 décembre 2014 – n° 13-87.330

En 2003, une patiente décède d’une décompensation cardiovasculaire suite à une hémorragie de la délivrance quelques heures après avoir accouché par césarienne.

L’information judiciaire ouverte pour homicide involontaire a révélé que la patiente était sous la surveillance d’une élève infirmière, elle-même sous l’autorité d’une sage-femme. L’hôpital a été condamné pour homicide involontaire, en raison de la défaillance manifeste dans la surveillance postinterventionnelle, révélatrice d’une organisation déficiente de la prise en charge des patients.

Cour administrative d’appel de Bordeaux,
29 décembre 2017 – n° 17BX0161

En 2015, une patiente subit un hémopéritoine suite à sa césarienne, dont les suites postinterventionnelles ne sont pas prises en charge conformément à la loi, et demeure dans un état végétatif postanoxique. 

La patiente, mère de huit enfants, a accouché par césarienne d’un neuvième enfant au centre hospitalier. Dans les heures qui ont suivi cette intervention, sa pression artérielle est restée basse, malgré les soins qui lui ont été prodigués, et son état s’est dégradé, jusqu’à ce qu’elle présente un arrêt cardiaque dans la nuit qui suit la césarienne. Après avoir pu être réanimée, au bout d’un quart d’heure, elle est opérée pour un hémopéritoine. Cependant, malgré la prise en charge multidisciplinaire dont elle fait l’objet, puis après son transfert au centre de réhabilitation des cérébrolésés, elle présente depuis un état végétatif postanoxique.

Les juges ont estimé, sur la base du rapport d’expertise, que l’accouchement par césarienne avait été effectué ­conformément aux règles de l’art « en dépit de la plaie interne occasionnée par la section non fautive du ligament large »

La surveillance postinterventionnelle n’a pas été conduite dans les règles de l’art :

  • surveillance en SSPI trop courte : sortie au bout de trente minutes et placée en salle de naissance sous la surveillance des sages-femmes ;
  • des examens complémentaires auraient dû être réalisés plus tôt ;
  • la transfusion aurait dû être prescrite en mode urgent ;
  • le médecin anesthésiste aurait dû avertir plus tôt le gynécologue de l’aggravation de l’état de la patiente pour une reprise chirurgicale plus rapide ; 
  • il n’y avait pas d’appareil analyseur d’hémoglobine Hémocue en salle de naissance, ce qui constitue un défaut d’organisation.

La Cour conclut que « dans les suites de l’accouchement, l’arrêt cardiaque sur choc hémorragique peut être regardé comme trouvant entièrement son origine dans une succession d’erreurs diagnostiques et organisationnelles commises par des membres du personnel du centre hospitalier et, en particulier, par le médecin anesthésiste de cet établissement ».

Les recours pour la sage-femme salariée

Quels sont les recours pour une sage-femme à qui sa direction demande d’outrepasser ses compétences et d’effectuer la surveillance postinterventionnelle de patientes césarisées ou sans être affectée exclusivement à cette surveillance ?

Il faut d’abord rappeler, même si cela ne résout pas le problème, qu’en cas d’action en justice exercée par une patiente qui aurait subi un préjudice suite à la surveillance postinterventionnelle par une sage-femme, c’est bien la responsabilité de l’établissement de santé, employeur de la sage-femme, qui sera mise en jeu. 

Cependant, la sage-femme à qui sa direction demande d’effectuer les surveillances postinterventionnelles des femmes césarisées peut :

  • adresser des courriers circonstanciés, en recommandé avec accusé de réception, à la direction de l’établissement de santé pour appuyer son opposition aux demandes de la direction, qui lui font outrepasser ses compétences et mettent les patientes en danger ;
  • adresser une copie de ce courrier à l’ARS dont dépend l’établissement de santé, afin de signaler ce défaut d’organisation ;
  • faire un signalement à l’Inspection du travail qui doit intervenir en cas de problème lié aux conditions de travail.

La surveillance postinterventionnelle des patientes césarisées ne doit pas être effectuée par les sages-femmes. Les conséquences peuvent être gravissimes (hémorragies, arrêts cardiaques, lésions cérébrales, handicap lourd) et les sages-femmes ne peuvent porter cette responsabilité (même morale), en plus de celles qu’elles ont déjà.

■ Marie Josset-Maillet, avocate