Fin 2021, les libérales représentaient un gros tiers de la profession, soit 34 %, contre 19 % en 2011. Leur nombre est passé de 3751 en 2011 à près de 7500 en 2021 (7956 selon la Drees et 7223 selon l’Assurance Maladie). Cette mutation, associée à l’élargissement du champ de leurs compétences depuis dix ans, se traduit par des évolutions de pratiques. Si les données de l’Assurance Maladie ne permettent pas d’identifier avec précision d’éventuelles préférences de sages-femmes sur le terrain, elles indiquent des tendances. Elles démontrent que les sages-femmes se sont bien emparées de leurs nouvelles compétences. Elles semblent aussi dévoiler des choix envers des actes rémunérateurs et des actes répondant aux besoins des femmes.
MUTATION DES PRATIQUES
En 2014, les actes cotés en SF représentaient 79 % de l’activité des sages-femmes selon un rapport de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé de 2016. Ils ne représentent plus que 56 % en 2021, selon les données fournies par l’Assurance Maladie.
La rééducation périnéale est de moins en moins pratiquée. Si elle est réputée « peu rentable », les recommandations de 2015 du Collège national des gynécologues-obstétriciens au sujet du post-partum, la jugeant peu utile pour les femmes asymptomatiques, ont eu un impact non négligeable sur la
diminution de la pratique. En 2014, elle représentait 46 % des actes cotés en SF, contre 27 % en 2021. Cette même année, les autres actes les plus fréquents cotés en SF sont la surveillance des sorties (16,5 %), la préparation à la naissance (environ 16 %), le suivi de grossesse pathologique (13,5 %), la préparation à la naissance en groupe (10,2 %) et l’entretien prénatal précoce (6,5 %). Les soins infirmiers ne sont, eux, quasiment plus pratiqués. En 2014, près de 300 000 actes de ce type ont été enregistrés, contre à peine plus de 41 000 en 2021. Selon l’Assurance Maladie, les déplacements à domicile ont baissé de 3 % par an en moyenne entre 2019 et 2021. Mais cette donnée est difficilement interprétable, du fait de la crise sanitaire de 2020 et du confinement.
En parallèle, d’autres actes sont en hausse. C’est le cas des « consultations et visites », selon la classification de l’Assurance Maladie, dont la part a augmenté entre 2014 et 2021, en volume comme en pourcentage. En 2014, cette part représentait 15 % de l’activité globale des sages-femmes, contre 29 % en 2021, pour un nombre d’actes passés de 1,2 million à plus de 4 millions pour ces mêmes années. La pratique de l’échographie, rémunératrice, est aussi en forte augmentation. Près de 175 000 échographies ont été cotées par des sages-femmes en 2014, plus de 559 000 en 2019 et 814 000 en 2021. Même tendance pour les poses et changements de DIU, bien cotés, qui ont progressé de 20 % entre 2019 et 2021. Quant aux actes liés aux IVG, peu rentables, leur volume a quasiment doublé entre ces deux années. Ces évolutions ne correspondent pas uniquement à des stratégies financières de la part des libérales (lire p. 22 à 26). Elles se sont saisies de la gynécologie ou d’actes que les hôpitaux ne peuvent plus assurer, du fait de leurs réorganisations. Elles répondent ainsi aux besoins des femmes.
POUR QUELLE RENTABILITÉ ?
Ces choix permettent-ils aux libérales de gagner leur vie ? Selon les données de l’Assurance Maladie, les honoraires moyens d’une sage-femme ayant exercé une activité libérale normale et exclusive sur une année complète sont passés de 52 200 euros à 59 900 euros par an entre 2011 et 2020. Le chiffre d’affaires moyen – c’est-à-dire les recettes d’honoraires réalisées – s’est ainsi maintenu sur la période. Et ce, même en tenant compte de l’inflation cumulée qui s’élève à 10,6 % entre 2011 et 2020 (d’après france-inflation.com).
Ainsi, le chiffre d’affaires annuel moyen devait être de 57 800 euros en 2020 pour maintenir le même pouvoir d’achat qu’en 2011. Alors que la moitié du chiffre d’affaires d’une sage-femme est absorbé par ses charges, une professionnelle en activité complète ne gagne que 10 euros de plus par mois en 2020 par rapport à 2011. En moyenne, les libérales ont donc maintenu leur niveau de rémunération sur neuf ans. En 2020, le bénéfice moyen s’établit à 2500 euros par mois. Ce bénéfice peut correspondre au « salaire » que se versent les libérales, bien que certaines en conservent une partie comme fonds de roulement. La plus grande concurrence entre professionnelles sur le terrain n’a donc pas été délétère. Le « gâteau » à se partager est devenu plus gros, sous l’effet combiné du manque de médecins, d’un recours plus élevé à la profession et des options de chacune pour maintenir son niveau de vie.
Mais ces moyennes nationales cachent de grandes disparités. Les données de l’Association de gestion agrée des professions de santé (Agaps) pour 2020, qui concernent 250 sages-femmes adhérentes (soit 4 % des libérales), permettent d’appréhender les écarts de revenus entre sages-femmes. D’après l’Agaps, leur chiffre d’affaires se situe dans une fourchette large, allant de 5300 euros à 244 000 euros par an. Le bénéfice mensuel médian (50 % gagnent moins et 50 % gagnent plus) des adhérentes de l’Agaps se situe à 2571 euros, en retenant un taux de charges de 50 %. La tranche basse représente sans doute des sages-femmes en activité mixte ou à temps partiel, tandis que la tranche haute serait constituée d’échographistes exclusives. Selon leurs contraintes et leurs choix, certaines libérales sont probablement en difficulté financière, quand d’autres s’en sortent très bien.
■ Nour Richard-Guerroudj