
Pourquoi sage femme ?
Et bien, moi, je suis sage femme par échec… Je dis toujours que c’est mon plus bel échec ! Après mon bac, en 2004, j’ai préparé le concours médecine, que j’ai planté comme tout le monde, ou presque. En fin de première année, on avait trois options : médecine, dentaire ou sage-femme. En fonction de ton classement, tu étais appelée sur l’estrade pour te choisir un destin. Médecin, c’était mort pour moi. J’ai dit « sage-femme », sans enthousiasme. Rapidement, pourtant, je me suis sentie heureuse. Heureuse de m’être foirée en médecine ! Ce n’était pas pour moi, tandis que sage-femme… Wow. Là, oui ! J’ai fait mon école à Montpellier.

La team des Lilas, un fort esprit d’équipe !
Marie Péchoux est la deuxième en partant de la gauche. © D.R.
J’opte donc pour le tutoiement, comme toi ! Alors quel souvenir as-tu de cette formation ?
Je n’oublierai jamais ma première heure de cours. Nous étions accueillies par deux sages-femmes enseignantes. L’une d’entre elles était très théâtrale et ses premiers mots furent littéralement : « Je vous le dis tout de suite, à l’hôpital vous êtes des sous-merdes ! » C’était comme arriver à la Légion étrangère (rires). « Tout en haut il y a le médecin, puis l’interne. Ensuite vient la sage femme, puis l’auxiliaire, l’aide-soignante, la femme de ménage. En dessous, tout en bas, sous le paillasson, il y a vous, les étudiants sages-femmes. » Ça commençait très fort ! « Lorsque n’importe qui entre dans la pièce et veut s’asseoir, vous vous levez ! N’essayez même pas d’envisager de choper un interne. C’est chasse gardée des sages-femmes ! » Elle disait ça pour nous préparer à la hiérarchie hospitalière.
Ça s’est avéré, cette histoire de hiérarchie ?
Franchement, vu qu’on était dociles et corvéables à merci, il n’y a pas eu de soucis avec la hiérarchie en place dans les hôpitaux. Et puis, je n’ai jamais convoité les internes ! (rires) Les médecins n’étaient pas si méchants, globalement parlant, certains étaient même très sympas. Je me souviens de l’un d’entre eux qui m’avait particulièrement touchée. Il était venu pour la naissance d’un enfant au CHU. La maman avait déjà accouché une première fois d’un enfant mort-né, alors qu’il était présent. Du coup, il était revenu exprès pour elle, ce qu’il ne faisait jamais d’habitude. C’était un homme vraiment humble. La patiente voulait accoucher sur le côté et il m’avait demandé de l’aider, de lui indiquer comment faire. Bref, tout ça pour dire que ça dépend complètement des personnes, évidemment. Il y a des médecins avec lesquels tu peux aisément discuter sur la conduite à tenir et la décision à prendre. Et il y a les « C’est moi le chef ! » qui savent tout mieux et décident tout seuls. Et bien sûr, quelques grossiers personnages hyper-irrespectueux. Mais quand les équipes sont soudées, quand les gens se connaissent depuis un moment, la hiérarchie finit par s’estomper et ça devient plus fluide.

Et après l’école, qu’as-tu fait ?
J’ai été diplômée en juin 2010 et direct, j’ai enchaîné avec un CDD à l’hôpital de Sète, puis de Carcassonne. J’avais une idée fixe en tête : bosser à l’hôpital de Béziers. J’avais bien accroché avec l’équipe pendant mes stages là-bas. Une des sages-femmes de Béziers, qui est maintenant une très bonne amie, m’a appelée pour me dire : « Marie, appelle tout de suite, il y a un poste disponible au 1er janvier ». Et hop ! Ni une ni deux, j’y ai travaillé huit ans. C’était une maternité de niveau 2A et on faisait environ 1 400 naissances par an. Si j’ai quitté Béziers, c’est parce que j’ai suivi mon conjoint, un gars du Nord. En arrivant à Paris, j’ai eu une proposition à l’hôpital Necker, une maternité de niveau 3. À l’époque, c’était 3 200 naissances par an et l’établissement était spécialisé en pathologies fœtales. Moi, je sortais de la maternité de Béziers où on n’était pas confrontées à des pathologies hors du commun. Mon diplôme était déjà un peu loin, j’étais impressionnée et j’ai eu peur. Quand j’ai passé mon entretien d’embauche, j’ai eu l’impression de redevenir étudiante sage-femme. Bref, j’ai préféré accepter l’autre proposition que j’avais : l’Hôpital américain de Paris, à Neuilly-sur-Seine. J’y suis restée un an. Sacrée expérience ! C’est très différent d’ailleurs. D’abord, les hospitalisations coûtent cher, mal prises en charge, excepté peut-être par certaines assurances ou mutuelles. C’est le lieu de naissance de la haute bourgeoisie, des reines des pays d’Afrique, des princesses syriennes, mais aussi des femmes de joueurs du PSG. Des mamans venaient accoucher vêtues de marques de luxe, alors qu’on crevait la dalle dans leur pays… Hem ! L’Hôpital américain avait mis en place un parcours césarienne sur demande maternelle. Quand je suis arrivée, je crois qu’il y avait 48 % de césariennes. Beaucoup de médecins ne voulaient pas s’embêter. Un grand bébé ? Un bébé en siège ? Des jumeaux ? Hop, on ouvre ! Quelques patientes trouvaient cela plus pratique. Certaines avaient de gros métiers et travaillaient jusqu’à la veille de l’accouchement. Cette année passée à Neuilly-sur-Seine a été une expérience intéressante, niveau salaire notamment et j’ai rencontré de super collègues. Et puis, j’ai amélioré mon anglais médical. Ensuite, j’ai été embauchée aux Lilas. Le jour et la nuit !

Comment es-tu arrivée à la maternité des Lilas ?
J’avais aussi postulé aux Lilas en arrivant à Paris. La responsable des plannings de l’époque m’avait dit : « Écoute, je ne peux pas te proposer de poste, on n’en a pas. Mais si tu veux, on veut bien te proposer des vacations ». En même temps que je bossais à l’Hôpital américain, je faisais déjà quelques vacations aux Lilas. Et là, je me suis sentie tout de suite très bien. L’accompagnement y était nettement plus « physiologique ». Par exemple, à Neuilly, il fallait examiner les patientes toutes les heures pour voir l’évolution, quelle que soit la dilatation. Aux Lilas, on m’a dit d’emblée : « Elle est à trois centimètres, ce n’est pas la peine de la réexaminer avant quatre heures de temps ». J’étais un peu surprise : « Ah bon ? » Et on m’a répondu : « Mais oui, regarde les recommandations du Collège ! » Très bien ! Excellent ! Au fond, c’est vrai, pourquoi examiner une patiente toutes les heures ? C’est assez intrusif, à chaque fois. L’équipe était hyper chouette et j’ai fini par y prendre un CDI en 2020. Aujourd’hui, je suis à temps plein et à 90 % en salle de naissance. Je m’occupe aussi des plannings et je suis représentante du personnel.
Peux-tu résumer ce qui fait la spécificité de la maternité des Lilas par rapport à une autre maternité ?
L’esprit des Lilas ne convient pas à tout le monde, que l’on soit professionnel ou patient. Pour commencer, chez nous, on tutoie, après avoir demandé au patient son accord, bien sûr. L’idée, c’est d’instaurer une relation d’égal à égal entre le patient et le praticien. Le vouvoiement garde un petit côté hiérarchique, tu gardes l’ascendant. Le tutoiement, en revanche, te rapproche du patient, qui aura plus de facilité à dire les choses. Au début, ça m’a paru très bizarre !
Aux Lilas, le patient — et je dis « le patient » parce qu’on accompagne aussi des hommes transgenres — est partie intégrante de la décision. Ce n’est pas « moi, la sage-femme » ou « moi, le médecin » qui vais décider de la conduite à tenir à sa place. On décide ensemble, sauf urgence, bien sûr.
Dans beaucoup d’hôpitaux, on dira par exemple : « Madame, votre bébé est trop gros, vous avez un diabète, donc on vous déclenchera à telle date ! Est-ce que la date vous convient ? » Le patient a le choix sur la date, et encore ! Aux Lilas, on va plutôt dire : « Tu as un diabète gestationnel, on observe une macrosomie, voilà quels sont les risques. On te propose d’être déclenchée, qu’est-ce que tu en penses ? Tu n’as pas envie ? On comprend, on va continuer la surveillance, et puis voilà. » En l’occurrence, beaucoup de macrosomies décelées à l’échographie n’en sont pas réellement à l’arrivée. Et ça fout les boules quand une maman a été déclenchée et que son bébé pèse finalement 3,2 kg. Si la patiente refuse d’être déclenchée et qu’une complication se déclare, on ne lui fera pas de reproches non plus après. Du genre : « Tu vois, on te l’avait bien dit ». Beaucoup des patients qui accouchent aux Lilas sont très informés. Ils sont acteurs, savent où ils en sont et ce qu’ils veulent. On veille à leur laisser une part importante dans la décision. Souvent, ils arrivent avec des projets de naissance conséquents, pour expliquer ce qu’ils attendent de l’accouchement. Mais même s’ils n’en ont pas, je leur dis : « Ne vous inquiétez pas, l’accouchement, on va le faire ensemble ».
À la maternité des Lilas, on demande l’autorisation au patient pour tout. Je me souviens, dans mes vies antérieures, lors de la délivrance, j’injectais systématiquement une dose d’ocytocine pour prévenir les risques hémorragiques graves. C’est ce qu’on appelle la délivrance dirigée. Je ne demandais jamais l’autorisation aux patients. Eh bien aux Lilas, je la demande à chaque fois. N’est-ce pas bizarre, en effet, d’injecter des médicaments à quelqu’un sans lui demander la permission ? Bref, aux Lilas, le patient est responsabilisé du début à la fin, c’est un état d’esprit particulier.

Tu as d’autres exemples en la matière ?
Je me souviens d’un accouchement qui m’a marquée. J’avais dit plusieurs fois à la patiente : « Il faudrait te faire une délivrance dirigée ». C’était un premier enfant et elle n’avait pas de péridurale. Elle souhaitait accoucher physiologiquement, ce qu’elle a très bien fait d’ailleurs. Je lui ai dit : « Après la délivrance, les recommandations pour éviter les hémorragies graves, c’est de faire une injection d’ocytocine à la naissance du bébé ». Elle m’a répondu : « Non, je ne veux pas ». Après l’accouchement, je lui ai proposé à nouveau : « Il s’est passé telle et telle chose qui font que c’est un facteur de risque supplémentaire ». Rien à faire, elle n’a pas voulu. J’ai insisté, mais elle a campé sur son refus… Et elle a fait une hémorragie de la délivrance. Eh bien, on a pris en charge l’hémorragie et puis voilà ! Elle allait très bien ensuite. Évidemment, ce n’est pas bon pour les chiffres. Sauf que chez nous, on implique le patient, on lui demande son autorisation, alors ce n’est pas pareil.
Et puis il y a le facteur temps. Aux Lilas, sous réserve qu’il n’y ait pas d’urgence, on laisse du temps à la future maman. Chez nous, on est à 66,4 % de péridurales : 77 % pour les primipares (pour une moyenne de 92,8 % en France) et 55,2 % chez les multipares (contre 82 % de moyenne). La différence est énorme. Dans les grosses structures de niveaux 3, ce n’est pas que les sages-femmes n’ont pas envie d’accompagner les patients, c’est qu’elles n’en ont matériellement pas le temps.
Autre souvenir marquant, celui d’une patiente que j’avais suivie pendant sa grossesse et que j’ai retrouvée en salle de naissance le jour de son accouchement. C’était son deuxième enfant. J’étais en confiance, je savais que la naissance allait se passer vite et bien. Examiner la patiente à ce moment-là pouvait rompre le charme, faire éclater la bulle dans laquelle elle se trouvait avec son conjoint. J’ai choisi de ne pas l’examiner Je savais que l’enfant allait bien, j’avais le contrôle du monitoring. Pour moi, il n’y avait aucun doute. Le travail était lancé de toute façon, je savais qu’elle allait accoucher vite parce que je voyais son état de conscience se modifier au fil des minutes. C’est la première fois que je prenais une telle décision. Elle s’était étonnée, d’ailleurs : « Marie, tu ne m’examines pas ? » Je lui avais répondu : « Tu sais très bien que, peu importe la dilatation que tu as maintenant, tu peux accoucher dans cinq minutes ». La dilatation peut se faire tellement vite parfois. Quelquefois, tu peux être à une dilatation hyper avancée et accoucher cinq heures après, et quelquefois, tu peux avoir une dilatation peu avancée et accoucher cinq minutes après. Elle m’a fait confiance, je lui ai fait confiance, on s’est fait confiance. Elle a accouché dans l’eau, tout s’est bien passé. Après, elle m’a remerciée de ne pas l’avoir examinée et d’avoir permis que cet enfant arrive tranquille. J’étais arrivée à 20h, elle a accouché à 21h30. C’est l’expérience qui rend possible ce genre de choses. Je suis encore en contact avec elle, elle est super sympa.

Qu’est-ce qui pour toi fait qu’un accouchement est réussi ?
Si les patients sont heureux et partent avec un bon souvenir de leur accouchement, alors c’est réussi ! J’ai une de mes collègues, Aude, qui dirait qu’un accouchement est réussi si les patients ne se souviennent pas de la sage-femme. Si la patiente a l’impression d’avoir accouché toute seule, c’est que c’est bon ! Aux Lilas, on œuvre en ce sens en impliquant le patient au maximum.
La HAS n’a pas renouvelé la certification de la maternité des Lilas, peux-tu nous en parler ?
En fait, il y a des dysfonctionnements au niveau administratif et dans la gestion. L’ARS (agence Régionale de Santé) doit régulièrement renflouer les caisses de la maternité des Lilas et forcément, ils se disent : « On va mettre fin à ce gouffre financier ». Sauf que la maternité des Lilas, c’est un peu un symbole féministe, ce n’est pas qu’une simple maternité. Elle accueille aussi un centre d’orthogénie et de planification familiale, où l’on réalise à peu près 600 IVG par an. C’est beaucoup, surtout sur un secteur du 93 où l’offre en la matière est limitée. On accompagne aussi des personnes transgenres dans leur accouchement. Les Lilas, c’est un lieu où, quel que soit ton type de parentalité, tu peux venir et tu seras accueilli de façon bienveillante par des professionnels à l’écoute. C’est vraiment important.
De façon générale, les maternités de type 1 ne sont pas rentables, à plus forte raison lorsque ce sont des structures isolées, comme la nôtre. Si nous étions adossés à un hôpital immense, avec plein de secteurs différents, des secteurs qui gagnent, des secteurs qui perdent, ça s’équilibrerait à peu près à la fin. Mais nous sommes seuls et nous accumulons les déficits année après année. L’ARS voudrait que cette structure disparaisse, mais en même temps, ne veut pas apparaître comme responsable de la fermeture des Lilas, parce que ce serait politiquement compliqué.

Beaucoup d’hommes trans accouchent aux Lilas ?
Pas beaucoup, non. Mais peu importe que tu sois un homme ou une femme, tu peux accoucher à la maternité des Lilas. On a tous été formés pour ça. Une personne de l’association Out Trans est même venue nous prodiguer des conseils, histoire de mieux accompagner ces personnes. Par exemple, il faut faire attention à ne pas les « mégenrer » en utilisant le mauvais pronom. Sinon, ça peut engendrer des réactions difficiles. Ils considèrent qu’ils n’ont pas été attribués au bon corps à la naissance. À leurs yeux, toutes leurs parties sexuelles — leur vulve, leur vagin, leurs seins — sont des choses qui ne devraient pas être là. Lorsque tu vas toucher une partie de leur corps qui, pour eux, est émotionnellement hyper chargée, ils peuvent faire une crise de dysphorie. La première chose, c’est de les traiter comme des personnes tout à fait normales. Même si, certes, ils sont là pour une naissance… Il faut aussi avoir conscience que tout leur parcours de soins a été compliqué. Certains ont une carte Vitale d’homme, ce qui pose plein de problèmes. Comment aller faire une échographie obstétrique si tu es un homme ? Comment demander un bilan de dépistage de grossesse si tu es un homme ? Ce n’est spécifié nulle part dans les papiers que tu as changé de sexe. À chaque étape, la personne a dû tout réexpliquer… Donc, nous faisons en sorte de leur faciliter la vie. Un homme trans ayant accouché chez nous a été interviewé par la suite par plusieurs chroniqueurs, Radio France, La Matrescence, Bliss. Il est assez impliqué dans la communauté LGBTQIA+ et il avait rebaptisé Les Lilas en « Transernité ».
Des rapprochements avec d’autres structures ont été envisagés ?
Oui, il y a bel et bien eu un projet avec Montreuil. Mais quand on a commencé les discussions, on s’est vite rendu compte qu’ils n’avaient pas vraiment envie qu’on partage les locaux. En fait, ils voulaient surtout récupérer le personnel pour qu’il ne reste plus qu’une seule structure à la fin, une seule maternité. On a laissé tomber, ça n’aurait pas eu de sens. L’année dernière, un nouveau rapprochement avec la maternité de Tenon a été envisagé. Au départ, nous devions avoir deux salles de naissance, dix lits en post-partum, un espace bien distinct. Surtout, on voulait garder un effectif de deux sages-femmes par 24 heures en salle de naissance — ce qui, en effet, peut sembler beaucoup comparé à d’autres structures qui, pour le nombre d’accouchements, en ont moins. À l’arrivée, ce n’était plus ça. Cela signifiait l’absorption à brève échéance.
Continuer la maternité des Lilas n’a de sens que si elle reste ce qu’elle est. On ne veut pas mentir sur la marchandise, marcher dans la combine et faire croire aux patientes qu’elles auront un accompagnement Lilas, alors qu’en fait pas du tout. Nous préférons sortir de cette histoire la tête haute, sans renier ce qui a fait notre ADN. C’est vraiment dommage, mais si la politique de santé ne permet pas de maintenir des structures comme la nôtre, que pouvons-nous y faire ?

Est-ce sans espoir ? (L’interview a été réalisée juste avant l’annonce surprise du moratoire de trois ans sur la fermeture des maternités et avant deux mois avant l’annonce de la fermeture de la maternité…)
Il y a toujours de l’espoir. Les établissements de santé sont soumis à une certification de façon régulière et en septembre dernier nous ne l’avons pas obtenue. À vrai dire, on ne s’y est pas bien préparés Une certification, ça se prépare un an à l’avance, et nous, on n’a pas eu le temps parce que la direction espérait un énième report. Quand finalement ils ont compris que la certification aurait bien lieu, ils nous ont annoncé juste avant l’été qu’on serait certifiés en septembre. En gros : « Démerdez-vous ! » On a fait le maximum pour être au clair sur la plupart des choses, mais on ne peut pas faire des miracles en deux mois. La non-certification ne signifie pas la mort immédiate, ça veut dire que nous devons mettre en œuvre les moyens nécessaires pour corriger nos faiblesses avant la contre-expertise. Les experts ont demandé à la maternité des Lilas de renforcer la gestion des urgences vitales par des modifications structurelles, la mise en place d’un numéro d’appel unique en cas d’urgence, l’achat de matériel, l’amélioration de l’évaluation des pratiques et de la qualité des soins, etc. Mais où trouver l’énergie et la foi nécessaire ? On nous répète depuis mille ans que la maternité va fermer. Comment entreprendre les mutations nécessaires dans ces conditions ? Il y a un an environ, on a eu un article de presse assez défavorable disant que la fermeture était inéluctable à court terme. Une sorte de prophétie autoréalisatrice… Suite à cela, nous avons eu une baisse drastique du nombre d’inscriptions. Et l’ARS n’a pas voulu faire de démenti… Pardi, à la fin, ce sera plus facile de nous dire : « Vous voyez bien que vous n’avez plus assez de naissances ». Je peux comprendre les patientes qui renoncent à venir chez nous. Je ne suis pas sûre que j’apprécierais qu’à six mois de grossesse, on me dise : « Euh, tu ne vas plus pouvoir accoucher aux Lilas, tu vas être obligée d’aller ailleurs. » Tout le processus aurait dû rester confidentiel. Quand je suis arrivée, on faisait 1 200 ou 1 300 naissances par an. On est tombés à 800 en 2024.
Quel est ton sentiment personnel ?
Je pense hélas que la maternité des Lilas, à un moment donné, va cesser d’exister. Financièrement, d’abord, je ne vois pas comment nous pourrions nous en sortir. Pour être à l’équilibre financier, 4 000 naissances par an ne suffiraient même pas. Ça n’en prend pas le chemin. Et puis, comment attirer les médecins dans ce climat d’incertitude ? Nous fonctionnons déjà avec pas mal de médecins vacataires, parfois super, parfois moins. Et ils coûtent cher, plus cher qu’un poste, excessivement cher. Ça ne peut pas durer éternellement. De mon point de vue, on ne peut pas continuer éternellement à mettre des rustines sur un pneu crevé, ça va finir par devenir dangereux. On n’a pas envie de n’avoir que des intérimaires cet été, des gens qui ne connaissent pas la structure. Alors peut-être qu’il vaut mieux anticiper et fermer avant. La direction penche plutôt pour fermer cet automne, enfin, je crois. Bref, on n’est pas forcément d’accord sur les modalités…
Alors, la messe est dite pour les Lilas ?
Non, là c’était mon côté pessimiste. Sinon, nous sommes quand même une équipe unique et très soudée, une équipe qui aime son travail et qui n’a pas envie de lâcher l’affaire comme ça. Nous voulons accompagner les patients jusqu’au bout, même si c’est difficile d’y croire dans ce contexte. Il y a des collègues qui prennent les devants et partent, qui saisissent une opportunité ici ou là. On est toutes et tous très préoccupés, écartelées entre le kiff de s’occuper de patients comme on aime le faire et le fait de se demander combien de temps ça va pouvoir durer.
Comme je le disais, ce n’est pas si simple de fermer les Lilas. D’abord, ça signifierait répartir 800 naissances sur l’Île-de-France. Bon, à la rigueur ça peut se faire. Mais qui va faire les 600 IVG ? Là, c’est beaucoup plus compliqué. Et puis ce que n’ont pas compris les ministères de la Santé, c’est que si tu mets de l’argent avant, tu le récupères après. Une patiente qui accouche dans de mauvaises conditions a plus de chances de faire une dépression du post-partum. Ça aussi ça coûte beaucoup d’argent, en arrêts de travail, en médicaments, en consultations psychiatres, etc. Toutes ces choses pourraient être évitées par des prises en charge adéquates, ce que nous offrons aux Lilas.
Si c’était toi qui décidais, que faudrait-il faire pour sauver les Lilas ?
Il faudrait des locaux neufs, parce que, honnêtement, restructurer les locaux actuels coûterait bien trop cher. L’idéal, ce serait de construire une structure indépendante, mais adossée à un hôpital. Par exemple, comme la maternité des Bluets qui est accolée à l’hôpital Trousseau, on pourrait faire la même chose avec Robert Debré, par exemple. Pour conserver l’ADN des Lilas, il faut que nous puissions exercer de la même façon avec toute notre équipe : nos médecins, nos auxiliaires, nos sages-femmes, nos secrétaires, nos psychologues, le centre de planification… que nous soyons transplantés tous ensemble sur un autre emplacement. Ce serait possible, mais il faudrait deux ou trois ans de travaux.
Peux-tu résumer ton engagement en quelques mots ?
Il faut nous battre pour que les sages-femmes puissent pratiquer et pour que les patientes puissent accoucher dans des structures respectueuses de leurs souhaits et de la physiologie.
Interview réalisée par Stéphane Cadé