Relactation, lactation induite : quel accompagnement ?

Journées régionales de l’allaitement Auvergne-Rhône-Alpes – octobre 2021 – Retranscription de l’intervention orale - Dre Clémence Boulkeroua, médecin généraliste, consultante IBCLC, Lille

L’autrice déclare n’avoir aucun lien avec des entreprises ou établissements produisant ou exploitant des produits de santé. Elle ne déclare aucun conflit d’intérêts susceptible d’influencer son propos sur le thème de l’allaitement.

La retranscription de l’intervention orale a été réalisée par la rédaction.

La lactation induite est le fait de stimuler la production de lait chez une femme qui n’a jamais connu d’allaitement. La relactation consiste à stimuler ou à augmenter la production lactée chez une femme dont la production s’est tarie. La relactation ou l’initiation de la lactation peuvent être proposées en cas de mauvais accompagnement de l’allaitement au démarrage en post-partum, en cas d’hospitalisation de la mère ou de l’enfant, en situation d’urgence, en cas d’adoption, chez les femmes trans, au sein d’un couple homoparental ou pour un enfant issu d’une GPA. Ces pratiques ne sont pas nouvelles. Les contrats de mise en nourrice suite à un décès maternel sont retrouvés dans l’Égypte antique et le Talmud évoque même un père veuf allaitant. Mais ces pratiques sont peu connues, à la fois du grand public et des professionnels de santé. 

I. RAPPELS PHYSIOLOGIQUES [1, 2, 3]

Pendant la grossesse, un climat hormonal particulier s’installe. Quatre hormones sont impliquées durant la phase de lactogénèse I, favorisant la croissance des glandes mammaires et la production de colostrum : les œstrogènes, la progestérone, l’hormone lactogène placentaire et la prolactine. Elles sont retrouvées à un niveau très élevé, alors que les œstrogènes et la progestérone ont une action bloquante sur l’effet de la prolactine.

À l’accouchement, après la délivrance, les taux d’œstrogènes et de progestérone chutent et l’hormone lactogène placentaire disparaît, dans un climat où la prolactine reste très élevée dans le sang. Cette phase est dite de lactogénèse II, permettant la synthèse du lait mature. Elle est automatique et ne dépend pas de facteurs mécaniques. La montée de lait se produit qu’un nourrisson tète ou non.

Le versant mécanique dépend de stimuli maintenant la lactation. Il s’agit à la fois de stimuli tactiles, comme le massage ou la succion, ou de stimuli externes, comme les odeurs, la lumière. Au niveau hypothalamique, ces stimuli vont entrainer la sécrétion d’ocytocine, sur un rythme pulsatile court et rapide par rapport à la succion, et de prolactine, sur un rythme pulsatile un peu plus lent. Un cercle vertueux s’installe, la sécrétion d’ocytocine favorisant la sécrétion de prolactine. Ce processus permet une diminution de la sécrétion des hormones du stress, comme l’ACTH, le cortisol et la dopamine intracérébrale, inhibitrice de la sécrétion de prolactine.

Ces rappels physiologiques permettent de comprendre comment établir une relactation ou induire une lactation. Avant l’arrivée de l’enfant, il est nécessaire de recréer le climat hormonal de la grossesse, avec des concentrations d’hormones élevées. Des stimulations mécaniques importantes seront aussi nécessaires au niveau aréolo-mammelonnaire. Il faudra veiller à maintenir un contexte où la prolactinémie reste élevée, surtout en début d’allaitement. Maintenir un cadre rassurant favorisera le maintient à des taux faibles des hormones du stress. Tels sont les principes des protocoles de relactation et de lactation induite existants, à adapter à chaque situation particulière.

II. L’ACCOMPAGNEMENT NON MÉDICAMENTEUX

Que des médicaments soient ou non proposés, l’accompagnement non médicamenteux est, lui, systématique.

1. Les préalables à l’accompagnement

Informer, déterminer les objectifs, interroger et examiner la patiente sont des étapes fondamentales.

Il est d’abord nécessaire d’informer le plus largement possible les femmes de la possibilité de la relactation, souvent méconnue des femmes. Ensuite, il est judicieux d’exposer la façon dont la relactation se déroule, car, à la lumière des explications, certaines femmes ne souhaiteront pas tenter le processus.

Il est nécessaire aussi de comprendre l’environnement de l’enfant et le contexte : l’allaitement sera-t-il proposé par une seule personne ou dans le cadre d’un co-allaitement ? L’entourage est-il étayant ? La personne volontaire dispose-t-elle de temps ou s’agit-il d’une situation d’urgence ?

Il s’agit ensuite de déterminer les objectifs avec chaque patiente : 

    • Le but est-il d’obtenir un allaitement au sein exclusif ?

    • L’objectif est-il de mettre l’enfant au sein sans objectif quantitatif ?

    • S’agit-il de le mettre au sein dans un but relationnel ?

    • Est-ce une reprise d’allaitement après un sevrage à contrecœur ?

    • S’agit-il de partager les tâches et la relation d’allaitement à plusieurs mères ?

Un interrogatoire et un examen classique permettront de recueillir tous les éléments nécessaires pour favoriser la lactation :

    • antécédents médicaux, gynéco-obstétricaux, chirurgicaux, traitements, allergies,

    • en cas de relactation, recueillir les éléments précis pour comprendre les raisons de l’arrêt.

L’examen des seins n’est pas toujours nécessaire ni systématique. Il peut être utile en cas de suspicion d’agénésie de la glande mammaire ou suite à une chirurgie.

À la lumière de ces informations, la professionnelle de l’allaitement va proposer plusieurs options, tout en laissant le choix aux femmes. Elle assure ensuite le suivi et accompagne la femme dans sa démarche, évalue la tolérance et l’efficacité des mesures mises en place.

2. Les propositions non médicamenteuses

Pour induire ou relancer une lactation, un des piliers consiste à favoriser la proximité mère-enfant. Il est pertinent de multiplier les peau-à-peau, les bains partagés, le portage, etc.  

Les tétées doivent être les plus nombreuses possible et l’usage d’un tire-lait peut favoriser la lactation. L’expression manuelle du lait et les massages peuvent compléter ce dispositif.

L’utilisation d’un dispositif d’aide à la lactation (DAL) est pertinente dans ce contexte pour ne pas décourager l’enfant, lui assurer les apports nécessaires et entretenir la stimulation aréolo-mammelonaire. 

Ces mesures demandent un investissement fort de la femme et de son entourage et une grande disponibilité. L’accompagnement va aider à établir un cadre propice à la détente et à la confiance, à travers des encouragements et du soutien.

3. Les cas particuliers de l’urgence

Concernant les situations d’urgence, si le stress est un obstacle au bon déroulement de l’établissement de la lactation, il n’est pas une excuse suffisante pour prétendre que la femme ne pourra pas allaiter. Ce fut hélas l’un des arguments prônés par certains gouvernements ou certaines ONG, dans des camps de réfugiés, pour distribuer larga manu des préparations pour nourrisson. Le stress est un frein, mais n’est pas un obstacle insurmontable.

Les situations d’urgence représentent des cas particuliers, car seuls les moyens mécaniques non médicamenteux sont alors accessibles. L’Organisation mondiale de la santé a produit un guide, démontrant l’intérêt sanitaire de l’allaitement maternel en cas de crise humanitaire. Un exemple de situation d’urgence a été décrit chez réfugiés rohingyas, au Bangladesh, en 2019. Une étude de 2019 s’est penchée sur l’état nutritionnel des enfants de 0 à 23 mois dans cette population et a montré que plusieurs nourrissons ont été sauvés par la pratique de la relactation [4]. Elle a aussi souligné que plus les femmes étaient accompagnées dans leur démarche, plus le succès était au rendez-vous.

Un autre exemple concerne le Canada : d’importants feux de forêt en Alberta en 2016 ont entrainé des déplacements massifs de population. Une étude s’est penchée sur l’impact de ces événements sur l’alimentation des enfants de 0 à 3 ans [4]. Elle a montré une diminution globale de l’allaitement maternel et une difficulté à apporter une alimentation appropriée aux enfants suite au drame. En revanche, concernant les femmes allaitantes, l’étude note une nette augmentation de leur confiance en elles et de leur « agentivation » (traduction d’empowerment). 

® D.R.

Journées régionales de l’allaitement Auvergne-Rhône-Alpes – octobre 2021 – Retranscription de l’intervention orale

Relactation, lactation induite :
quel accompagnement ?

Dre Clémence Boulkeroua, médecin généraliste, consultante IBCLC, Lille

L’autrice déclare n’avoir aucun lien avec des entreprises ou établissements produisant ou exploitant des produits de santé. Elle ne déclare aucun conflit d’intérêts susceptible d’influencer son propos sur le thème de l’allaitement.

La retranscription de l’intervention orale a été réalisée par la rédaction.

La lactation induite est le fait de stimuler la production de lait chez une femme qui n’a jamais connu d’allaitement. La relactation consiste à stimuler ou à augmenter la production lactée chez une femme dont la production s’est tarie. La relactation ou l’initiation de la lactation peuvent être proposées en cas de mauvais accompagnement de l’allaitement au démarrage en post-partum, en cas d’hospitalisation de la mère ou de l’enfant, en situation d’urgence, en cas d’adoption, chez les femmes trans, au sein d’un couple homoparental ou pour un enfant issu d’une GPA. Ces pratiques ne sont pas nouvelles. Les contrats de mise en nourrice suite à un décès maternel sont retrouvés dans l’Égypte antique et le Talmud évoque même un père veuf allaitant. Mais ces pratiques sont peu connues, à la fois du grand public et des professionnels de santé. 

I. RAPPELS PHYSIOLOGIQUES [1, 2, 3]

Pendant la grossesse, un climat hormonal particulier s’installe. Quatre hormones sont impliquées durant la phase de lactogénèse I, favorisant la croissance des glandes mammaires et la production de colostrum : les œstrogènes, la progestérone, l’hormone lactogène placentaire et la prolactine. Elles sont retrouvées à un niveau très élevé, alors que les œstrogènes et la progestérone ont une action bloquante sur l’effet de la prolactine.

À l’accouchement, après la délivrance, les taux d’œstrogènes et de progestérone chutent et l’hormone lactogène placentaire disparaît, dans un climat où la prolactine reste très élevée dans le sang. Cette phase est dite de lactogénèse II, permettant la synthèse du lait mature. Elle est automatique et ne dépend pas de facteurs mécaniques. La montée de lait se produit qu’un nourrisson tète ou non.

Le versant mécanique dépend de stimuli maintenant la lactation. Il s’agit à la fois de stimuli tactiles, comme le massage ou la succion, ou de stimuli externes, comme les odeurs, la lumière. Au niveau hypothalamique, ces stimuli vont entrainer la sécrétion d’ocytocine, sur un rythme pulsatile court et rapide par rapport à la succion, et de prolactine, sur un rythme pulsatile un peu plus lent. Un cercle vertueux s’installe, la sécrétion d’ocytocine favorisant la sécrétion de prolactine. Ce processus permet une diminution de la sécrétion des hormones du stress, comme l’ACTH, le cortisol et la dopamine intracérébrale, inhibitrice de la sécrétion de prolactine.

Ces rappels physiologiques permettent de comprendre comment établir une relactation ou induire une lactation. Avant l’arrivée de l’enfant, il est nécessaire de recréer le climat hormonal de la grossesse, avec des concentrations d’hormones élevées. Des stimulations mécaniques importantes seront aussi nécessaires au niveau aréolo-mammelonnaire. Il faudra veiller à maintenir un contexte où la prolactinémie reste élevée, surtout en début d’allaitement. Maintenir un cadre rassurant favorisera le maintient à des taux faibles des hormones du stress. Tels sont les principes des protocoles de relactation et de lactation induite existants, à adapter à chaque situation particulière.

II. L’ACCOMPAGNEMENT NON MÉDICAMENTEUX

Que des médicaments soient ou non proposés, l’accompagnement non médicamenteux est, lui, systématique.

1. Les préalables à l’accompagnement

Informer, déterminer les objectifs, interroger et examiner la patiente sont des étapes fondamentales.

Il est d’abord nécessaire d’informer le plus largement possible les femmes de la possibilité de la relactation, souvent méconnue des femmes. Ensuite, il est judicieux d’exposer la façon dont la relactation se déroule, car, à la lumière des explications, certaines femmes ne souhaiteront pas tenter le processus.

Il est nécessaire aussi de comprendre l’environnement de l’enfant et le contexte : l’allaitement sera-t-il proposé par une seule personne ou dans le cadre d’un co-allaitement ? L’entourage est-il étayant ? La personne volontaire dispose-t-elle de temps ou s’agit-il d’une situation d’urgence ?

Il s’agit ensuite de déterminer les objectifs avec chaque patiente : 

    • Le but est-il d’obtenir un allaitement au sein exclusif ?

    • L’objectif est-il de mettre l’enfant au sein sans objectif quantitatif ?

    • S’agit-il de le mettre au sein dans un but relationnel ?

    • Est-ce une reprise d’allaitement après un sevrage à contrecœur ?

    • S’agit-il de partager les tâches et la relation d’allaitement à plusieurs mères ?

Un interrogatoire et un examen classique permettront de recueillir tous les éléments nécessaires pour favoriser la lactation :

    • antécédents médicaux, gynéco-obstétricaux, chirurgicaux, traitements, allergies,

    • en cas de relactation, recueillir les éléments précis pour comprendre les raisons de l’arrêt.

L’examen des seins n’est pas toujours nécessaire ni systématique. Il peut être utile en cas de suspicion d’agénésie de la glande mammaire ou suite à une chirurgie.

À la lumière de ces informations, la professionnelle de l’allaitement va proposer plusieurs options, tout en laissant le choix aux femmes. Elle assure ensuite le suivi et accompagne la femme dans sa démarche, évalue la tolérance et l’efficacité des mesures mises en place.

2. Les propositions non médicamenteuses

Pour induire ou relancer une lactation, un des piliers consiste à favoriser la proximité mère-enfant. Il est pertinent de multiplier les peau-à-peau, les bains partagés, le portage, etc.  

Les tétées doivent être les plus nombreuses possible et l’usage d’un tire-lait peut favoriser la lactation. L’expression manuelle du lait et les massages peuvent compléter ce dispositif.

L’utilisation d’un dispositif d’aide à la lactation (DAL) est pertinente dans ce contexte pour ne pas décourager l’enfant, lui assurer les apports nécessaires et entretenir la stimulation aréolo-mammelonaire. 

Ces mesures demandent un investissement fort de la femme et de son entourage et une grande disponibilité. L’accompagnement va aider à établir un cadre propice à la détente et à la confiance, à travers des encouragements et du soutien.

3. Les cas particuliers de l’urgence

Concernant les situations d’urgence, si le stress est un obstacle au bon déroulement de l’établissement de la lactation, il n’est pas une excuse suffisante pour prétendre que la femme ne pourra pas allaiter. Ce fut hélas l’un des arguments prônés par certains gouvernements ou certaines ONG, dans des camps de réfugiés, pour distribuer larga manu des préparations pour nourrisson. Le stress est un frein, mais n’est pas un obstacle insurmontable.

Les situations d’urgence représentent des cas particuliers, car seuls les moyens mécaniques non médicamenteux sont alors accessibles. L’Organisation mondiale de la santé a produit un guide, démontrant l’intérêt sanitaire de l’allaitement maternel en cas de crise humanitaire. Un exemple de situation d’urgence a été décrit chez réfugiés rohingyas, au Bangladesh, en 2019. Une étude de 2019 s’est penchée sur l’état nutritionnel des enfants de 0 à 23 mois dans cette population et a montré que plusieurs nourrissons ont été sauvés par la pratique de la relactation [4]. Elle a aussi souligné que plus les femmes étaient accompagnées dans leur démarche, plus le succès était au rendez-vous.

Un autre exemple concerne le Canada : d’importants feux de forêt en Alberta en 2016 ont entrainé des déplacements massifs de population. Une étude s’est penchée sur l’impact de ces événements sur l’alimentation des enfants de 0 à 3 ans [4]. Elle a montré une diminution globale de l’allaitement maternel et une difficulté à apporter une alimentation appropriée aux enfants suite au drame. En revanche, concernant les femmes allaitantes, l’étude note une nette augmentation de leur confiance en elles et de leur « agentivation » (traduction d’empowerment). 

III. L’ACCOMPAGNEMENT MÉDICAMENTEUX

1. Le protocole Newman-Goldfarb [6]

Il s’agit d’un protocole destiné à l’induction de la lactation et à la relactation tardive pour une femme non gestante.

Le protocole se déroule en deux étapes :

    • dans un premier temps, il consiste à mimer un état de grossesse par une prescription d’œstroprogestatifs en continu pendant six mois (pilule de lévonorgestrel 150 µg + éthynylestradiol 30 µg monophasique) et de dompéridone à forte posologie. Cela implique de connaître la date de l’arrivée de l’enfant ;

    • dans un second temps, il s’agit de mimer un accouchement en arrêtant les contraceptifs tout en poursuivant la prise de dompéridone, qui augmente la prolactinémie. La femme va également stimuler ses seins par des massages et des expressions de lait, toutes les trois heures en journée. Dès l’obtention du lait, des galactogènes sont conseillés. Un mois après l’arrivée de l’enfant, au moins un tirage de nuit est conseillé.

Ce protocole connaît plusieurs variantes et adaptations. Lorsque le temps de préparation est réduit ou en cas de contre-indication aux œstroprogestatifs, il est possible de débuter directement par des stimulations, associées à la prise de dompéridone. La stimulation physique seule est aussi une option. Elle ne garantit pas un allaitement complet et exclusif, mais peut correspondre à la demande de certaines femmes.

Les femmes trans prennent généralement un bloqueur androgénique (spironolactone – 100 mg par jour). Ce dernier est compatible avec le protocole de Newman-Goldfarb, car le passage est très faible dans le lait maternel.

2. Les galactogènes

Une étude australienne a évalué l’efficacité des galactogènes [7]. Elle relève d’abord que les femmes utilisent des « lactation cookies » (biscuits d’allaitement comparables à nos tisanes d’allaitement). Trois autres produits sont employés : le fenugrec, la levure de bière et la dompéridone.

L’étude précise que 60 % des femmes ont eu recours à un moment de leur allaitement à un galactogène. De plus, 50 % des femmes ont rapporté avoir ressenti un manque de lait. Dans l’étude, le début de la consommation de galactogène avait lieu en post-partum précoce (quatre semaines après l’accouchement). Les chercheurs ont aussi relevé que ces femmes avaient peu ou pas bénéficié d’un suivi en matière d’allaitement. Au final, les lactation cookies, le fenugrec et la levure de bière ont été évalués comme pas du tout à très peu efficaces, tandis que la dompéridone a été évaluée comme moyennement ou très efficace par les femmes concernées. Cette étude révèle d’abord un manque d’accompagnement précoce des femmes. Elle souligne ensuite l’effet placebo des galactogènes. Cet effet peut masquer les véritables problèmes rencontrés lors de l’allaitement.

Les galactogènes pharmacologiques les plus cités dans les études récentes sont la dompéridone, le métoclopramide et la chlorpromazine (Largactil®) [8]. Du fait d’effets secondaires neuroleptiques, cette dernière n’est plus utilisée. 

3. LA DOMPÉRIDONE CONTROVERSÉE

Les effets secondaires de la dompéridone sont de type digestifs : nausées ou sensation de bouche sèche. Il est donc préférable de prévenir les patientes. La dompéridone a une demi-vie courte de 7 heures : l’organisme l’élimine ainsi en 35 heures.

L’efficacité de la dompéridone en matière de lactation a été démontrée dans de nombreuses études de bonne qualité, représentant des situations variées (prématurés, mauvais départ, mère trans, césarienne, etc).

La méta-analyse d’Osadchy de 2011 inclut des essais randomisés contrôlés et montre que la dompéridone augmente la production lactée de 74 % en moyenne par rapport à un placebo, avec une très bonne sensibilité [9].

Cependant, la controverse demeure concernant la prise de dompéridone pour induire ou augmenter la lactation. Elle n’a pas d’autorisation de mise sur le marché en tant que galactogène. En effet, elle est associée à un allongement de l’espace QT, à l’origine de troubles du rythme cardiaque [10]. En 2010, deux études cas témoins importantes ont abouti à la mise en garde de l’Agence européenne du médicament et de la Food and Drug Administration aux États-Unis [11, 12]. La dompéridone a été retirée du marché aux États-Unis.

L’étude de Van Noord a comparé les effets de la prise de dompéridone dans une population souffrant de troubles du rythme et d’arrêts cardiaques et dans une population non malade [11]. L’objectif était d’évaluer si la dompéridone à elle seule constituait un facteur de risque supplémentaire. Avant ajustement des facteurs de confusion entre les deux populations, la prise de dompéridone apparaît comme un facteur de risque de façon significative. Après ajustement, les chercheurs ont estimé que l’association entre la prise de dompéridone et la majoration des troubles du rythme est peu significative. 

Pour sa part, après ajustement des facteurs de confusion, l’étude de Johannes retrouve une association significative entre la mort subite et la prise de dompéridone [12]. Mais l’étude ne retrouve pas d’association significative chez les personnes de moins de 60 ans et chez les femmes.

En pratique courante, une étude australienne a mené un audit sur la prescription de dompéridone dans les cas de lactation insuffisante au sein d’une maternité [13]. Les médecins avaient le droit de prescrire la dompéridone selon un protocole défini : faible posologie, de courte durée. La crainte du personnel était que le protocole soit surutilisé, ce qui n’a pas été le cas. L’utilisation de ce protocole était limitée à 5 % des naissances.

Concernant les risques de la prise de dompéridone chez les femmes en post-partum, une étude de 2016 a suivi pendant six mois en post-partum près de 225 000 femmes [15]. Les chercheurs n’ont pas retrouvé davantage de troubles du rythme chez les femmes traitées par rapport au groupe cas-témoin. En revanche, dans le sous-groupe des femmes ayant un antécédent d’arythmie cardiaque, la prise de dompéridone majorait les risques.

« Les femmes meurent-elles réellement d’allaiter ? » C’est la question provocatrice que s’est posée le professeur australien Luke Grzeskowiak [14]. Ayant mené de nombreuses études sur la question, il invite à bien évaluer la balance bénéfices/risques de la prescription de dompéridone. Il estime que, d’un côté, il y a bien un surrisque théorique lié à la domperidone, et ce au sein d’une population et dans des conditions spécifiques (homme de plus de 60 ans, avec posologie élevée de plus de 30 mg/jour). Il suggère de mettre en balance ce surrisque avec les bénéfices démontrés de l’allaitement maternel pour la mère et pour l’enfant en termes de morbimortalité. Il estime les études de cohortes rassurantes et conclut que restreindre l’accès des femmes à l’usage de la dompéridone reviendrait à leur conférer un statut d’orphelines thérapeutiques.

4. Précaution d’utilisation de la dompéridone

La prescription de la dompéridone nécessite l’orientation auprès d’un médecin. Elle doit toujours être établie au cas par cas. Elle ne doit pas masquer les problèmes éventuels d’allaitement, ni se substituer à une prise en charge globale. Un interrogatoire rigoureux permettra d’identifier les antécédents à risque de la patiente et de respecter les contre-indications à la prescription de dompéridone. Dans tous les cas, la patiente devra être informée des risques associés à la prise de dompéridone.

La patiente devra être informée du syndrome de sevrage rapporté suite à l’arrêt de la dompéridone (insomnie, agitation, anxiété et troubles de l’humeur). Ces symptômes ont été relevés dans le cas de patiente traitée sur de longues durées et/ou à des posologies élevées [16]. Sur le plan pédiatrique, la dompéridone passe dans de très faibles proportions dans le lait maternel et moins de 0,1 % de la dose maternelle est reçue par l’enfant. La base de données LactMed ne rapporte aucun effet indésirable chez l’enfant [17].  

Il n’y a pas de consensus concernant la posologie et la durée du traitement. Une faible posologie de 10 mg, 3 fois par jour, doit suffire. En effet, des études ont montré qu’en l’absence de réponse à faible posologie, la réponse restera mauvaise même après majoration du traitement. La durée du traitement dépendra de la situation et sera à ajuster en fonction de la clinique (réaction au traitement, durée de l’allaitement, etc.).

CONCLUSION

La possibilité d’induire une lactation ou de la relancer reste une option méconnue des parents et des professionnels de santé. Diffuser l’information demeure donc capital. Il est nécessaire de personnaliser au maximum le projet en fonction de l’état de santé de la patiente, de ses objectifs et de son bébé. Les solutions non médicamenteuses sont systématiques et utiles tandis que l’aide médicamenteuse est à adapter au cas par cas. Présenter la balance bénéfices/risques de chaque option à la patiente lui permettra d’éclairer sa décision. Une induction ou une relactation demandent un suivi et des réévaluations pour soutenir au mieux un allaitement qui paraissait impossible.

Sources :

[1] Ruth A. Lawrence and Robert M. Lawrence. Brestfeeding : a guide for the medical profession, 8th edition. Elsevier, Saunders, Mosby, Churchill, 2016. 

[2] Organisation mondiale de la santé. La relactation – Connaissances acquises et recommandations relatives à cette pratique. 1998

[3] La Leche League France. Induction d’une lactation. Dossiers de l’allaitement n° 54, Janvier-Février-Mars 2003

[4] Azad F, Rifat MA, Manir MZ, Biva NA. Breastfeeding support through wet nursing during nutritional emergency : A cross sectional study from Rohingya refugee camps in Bangladesh. PLoS ONE, 2019. 14(10): e0222980. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0222980

[5] Sarah E DeYoung , Jodine Chase , Michelle Pensa Branco , Benjamin Park . The Effect of Mass Evacuation on Infant Feeding: The Case of the 2016 Fort McMurray Wildfire. Matern Child Health J . 2018 Dec;22(12):1826-1833

[6] Newman-Goldfarb Protocols. © Jack Newman, MD FRCPC and Lenore Goldfarb, Ph.D., IBCLC. The Protocols for Inducing Lactation and Maximizing Milk Production. November 2002, disponible en ligne : https://www.canadianbreastfeedingfoundation.org/induced/regular_protocol.shtml

[7] Grace M McBride, Robyn Stevenson , Gabriella Zizzo , Alice R Rumbold , Lisa H Amir , Amy K Keir , Luke E Grzeskowiak .Use and experiences of galactogogues while breastfeading among Australian women. PLoS One. 2021 Jul 1;16(7):e0254049

[8] Siew Cheng Foong, May Loong Tan , Wai Cheng Foong , Lisa A Marasco , Jacqueline J Ho , Joo Howe Ong . Oral galactagogues (natural therapies or drugs) for inceasing breast milk production in mothers of non-hospitalized term infants. Cochrane Database Syst Rev. 2020 May 18;5(5):CD011505. 

[9] Alla Osadchy, Myla E. Moretti, and Gideon Koren. Effect of Domperidone on Insufficient Lactation in Puerperal Women: A Systematic Review and Meta-Analysis of Randomized Controlled Trials. Obstet Gynecol Int. 2012; 2012: 642893.

[10] Marco Rossi, Giorgio Giorgi. Domperidone and long QT syndrome. Curr Drug Saf . 2010 Jul 2;5(3):257-62

[11] Charlotte Van Noord, Jeanne Dieleman, Gerard van Herpen G, Katia M C Verhamme, Miriam Marino. Domperidone and ventricular arrhythmia or sudden cardiac death : a population-based case-control study in the Netherlands. Drug Saf. 2010 Nov 1 ;33(11) :1003-14

[12] Catherine B Johannes, Cristina Varas-Lorenzo, Lisa J McQuay, Kirk D Midkiff, Daniel Fife . Risk of serious ventricular arrhythmia and sudden cardiac death in a cohort of users of domperidone : a nested case-control study. Pharmacoepidemiol Drug Saf. 2010 Sep;19(9):881-8. 

[13] Luke E Grzeskowiak, Sze Wen Lim, Alicia E Thomas, Usha Ritchie, Andrea L Gordon . Audit of domperidone use as a galactagogue at an Australien tertiary teaching hospital. J Hum Lact. 2013 Feb;29(1):32-7

[14] Luke Grzeskowiak. Use of Domperidone to Increase Breast Milk Supply: Are Women Really Dying to Breastfeed? Journal of Human Lactation, October 15, 2014 

[15] Kate Smolina, Barbara Mintzes ,Gillian E Hanley , Tim F Oberlander , Steven G Morgan. The association between domperidone and ventricular arrhythmia in the postpartum period. Pharmacoepidemiol Drug Saf . 2016 Oct;25(10):1210-1214. 

[16] Marley Doyle, Mila Grossman. Case report : domperidone use as a galactogogue resulting in withdrwal symptoms upon discontinuation. Arch Womens Ment Health. 2018 Aug;21(4):461-463

[17] Base de données LactMed

[18] Azar Mehrabadi, Pauline Reynier, Robet W Platt, Kristian B Filion. Domperidone for insufficient lactation in England 2002-2015: A drug utilization study with interrupted time series analysis. Pharmacoepidemiol Drug Saf. 2018 Dec;27(12):1316-1324

[19] Lia Moran, Jacob Gilad. From Folklore to Scientific Evidence: Breast-Feeding and Wet-Nursing in Islam and the Case of Non-Puerperal Lactation. Int J Biomed Sci. 2007 Dec; 3(4): 251–257.

[20] J A Amico, B E Finley. Breast stimulation in cycling women, pregnant women and a woman with induced lactation: pattern of release of oxytocin, prolactin and luteinizing hormone. Clin Endocrinol (Oxf). 1986 Aug;25(2):97-106