Après un mouvement de protestations et de grèves régulières de plusieurs mois et un lobbying auprès des parlementaires, les sages-femmes ont découvert la proposition de loi (PPL) d’Annie Chapelier le 1er juin. Pour la première fois, un tel texte est entièrement consacré à la profession. Il suscite cependant des réactions mitigées et des désaccords, y compris entre les organisations.
L’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF) décerne un satisfécit au texte. « C’est une PPL formidable, signée de façon inédite par de très nombreux députés, qui reprend les problématiques de la profession et ce que nous soulignons depuis des années, estime Camille Dumortier, la présidente. Cela fait des années que nous dénonçons le fait d’être gérées comme des professionnelles paramédicales à l’hôpital, ce qui
participe de la désaffection pour le métier. »
Vincent Porteous, représentant de l’Ufmict-CGT est plus critique : « Nous sommes d’accord sur le diagnostic, mais plusieurs remèdes ne conviennent pas sur le fond et la forme. Par ailleurs, que signifie sortir une telle proposition de la part d’une députée proche de LREM alors que le Gouvernement a missionné l’Igas et que nous attendons toujours son rapport ? Nous demandons une concertation avec le Gouvernement ; nous craignons de n’obtenir que ce texte. Concernant l’hôpital, la négociation doit être menée par les centrales, or nous n’avons pas été auditionnés. » En outre, le représentant de la CGT ne comprend pas que, pour remplir la condition de neutralité financière, la PPL Chapelier propose de financer les surcoûts envisagés par les mesures en faveur des sages-femmes par une augmentation de la taxe sur les tabacs.
« Qu’il y ait une volonté parlementaire de faire évoluer la profession correspond à une demande des sages-femmes », estime pour sa part Henny Jonkers, de l’Union nationale des syndicats de sages-femmes (UNSSF). Pour autant, le syndicat ne donne pas un blanc seing au texte d’Annie Chapelier. Il lui reproche des dispositions relevant davantage de la négociation conventionnelle avec l’Assurance Maladie – en cours actuellement – et un article incongru sur les doulas, entre autres. Mais c’est surtout sur trois sujets phares de la PPL que les différentes organisations expriment des désaccords, la suppression de la liste de prescription étant plébiscitée par toutes.
ALLONGER LA FORMATION
L’intégration universitaire totale de la formation initiale des sages-femmes et la création d’un troisième cycle d’études, soit une année supplémentaire, font l’unanimité. La PPL Chapelier n’a fait que reprendre les revendications de la profession en la matière. Mais toutes les organisations alertent sur des détails capitaux de mise en œuvre. Il ne s’agit pas de « renforcer les compétences en néonatologie » ou « la capacité de discernement des sages-femmes entre la physiologie et la pathologie », ce que propose pourtant la députée Annie Chapelier. L’Association nationale des étudiants sages-femmes (Anesf) estime les compétences acquises en néonatologie suffisantes. « La gynécologie ou l’échographie pourraient être approfondies, mais c’est surtout dans le domaine de la physiologie que les compétences devraient être renforcées », estime Fanny Toussaint, présidente de l’Anesf jusqu’à fin juin dernier. L’ONSSF comme l’UNSSF vont dans le même sens.
Aucune organisation ne plaide pour des compétences supplémentaires, à l’exception de l’IVG médicamenteuse. Toutes estiment qu’une année supplémentaire d’études permettrait de revoir les maquettes de formation pour mieux répartir les enseignements. L’Anesf a en effet comparé le volume horaire des formations de maïeutique, odontologie et pharmacie des premiers et seconds cycles : de façon nette, les études de sages-femmes sont bien plus denses.
Quant à la proposition d’Annie Chapelier d’octroyer un diplôme d’État de docteur en maïeutique à l’issue de cette sixième année d’études, les réactions sont mitigées. « Aucune précision n’est apportée à ce sujet, estime Henny Jonkers, de l’UNSSF. Il ne faudrait pas que l’accès au doctorat ne soit réservé qu’à certaines sages-femmes, créant une profession à deux vitesses. L’universitarisation reste la priorité, avant l’obtention d’une sixième année d’études. » De son côté, Vincent Porteous met en garde : « L’universitarisation ne doit pas signifier le fait de fusionner les études de sages-femmes avec d’autres formations, même si certains enseignements peuvent être mutualisés, comme l’anglais. L’enjeu est de savoir qui va dispenser les enseignements. Il faut rester vigilant pour que la formation soit assurée par des sages-femmes. » L’Anesf propose pour sa part un diplôme d’État spécialisé (DES), à l’instar du troisième cycle des filières médecine, pharmacie et odontologie. Il serait obtenu après la soutenance d’une thèse d’exercice, à ne pas confondre avec une thèse doctorale permettant d’accéder à la recherche. L’association propose plusieurs spécialisations possibles, comme des DES en pratique hospitalière, pratique libérale, accompagnement global (maison de naissance, accouchement à domicile) ou en échographie.
CONTRE LES PROTOCOLES DE COOPÉRATION
Les protocoles de coopération sanitaire ont à l’origine été pensés dans le cadre d’une délégation de tâche d’un professionnel médical à un professionnel non médical. Alors que les sages-femmes affirment leur statut médical, la proposition d’Annie Chapelier de les rendre obligatoires fait l’unanimité contre elle. « Les protocoles de coopération ne doivent pas consister à faire le travail des autres à leur place, estime Camille Dumortier. La période de la cornette et du bénévolat est révolue ! Les sages-femmes travaillent déjà en collaboration avec les médecins en libéral et ont surtout des difficultés à trouver des médecins pour orienter leurs patientes en cas de besoin. L’accès au second recours reste à travailler. »
« Pourquoi pas réfléchir à un recadrage des compétences entre profession, mais pas s’il s’agit de mettre les sages-femmes sous la coupe des médecins ! », prévient Fanny Toussaint. « Nous sommes bien sûr en faveur de la coopération entre les professionnels de santé, explique Marie-Anne Poumaer, présidente de l’UNSSF. Le cadre légal existe déjà pour cela, mais nous savons tous que cela reste personne-dépendant. A-t-on réellement besoin d’une loi ? » Pour Vincent Porteous, les protocoles de coopérations suivent aussi une logique territoriale, créant potentiellement des inégalités. « Nous souhaitons que ce que les sages-femmes font sur le terrain soit inscrit dans le référentiel d’exercice ou dans la loi, en évitant les pinaillages sans fin sur les partages de compétences », estime-t-il.
UN STATUT QUI DIVISE TOUJOURS
Concernant le futur statut des sages-femmes, la PPL Chapelier propose celui de praticien hospitalier, tel que souhaité par l’Anesf, L’ONSSF, le Conseil national de l’Ordre et le Collège national des sages-femmes. Ces instances estiment depuis plusieurs années que c’est le seul statut permettant aux sages-femmes de conjuguer enseignement, clinique et recherche. Sans surprise, c’est sur ce sujet que les divergences entre organisations de sages-femmes s’expriment.
« Nous attendons encore le rapport de l’Igas qui permettra au ministère de se positionner, précise avec prudence Camille Dumortier, de l’ONSSF. Plusieurs centrales syndicales porteront ce changement sans difficulté. Notre but n’est d’évincer personne, mais de regarder quelles organisations sont les plus représentatives en termes de nombre d’adhérents. De nombreuses organisations et associations se sont positionnées en faveur du statut PH. Un droit d’option et au remord devra être ouvert aux sages-femmes de la fonction publique hospitalière pour celles qui ne souhaitent pas rejoindre ce statut. »
De son côté, l’UNSSF reste sur sa proposition de créer une filière médicale au sein de la fonction publique hospitalière. « Les sages-femmes hospitalières de terrain ont-elles réellement été consultées, étant donné que les syndicats professionnels comptent peu d’adhérentes salariées des hôpitaux ? s’interroge Henny Jonkers. Il est possible de conjuguer enseignement et recherche sans être pour autant praticien hospitalier. Nous pourrions tout à fait bénéficier des mêmes dispositions que les psychologues, qui disposent d’un temps de Formation Information Recherche. »
Pour sa part, Vincent Porteous reconnaît que le statut actuel n’est pas satisfaisant, estimant qu’en 2014 les négociations n’avaient pas parfaitement abouti. « Il risque d’y avoir des désillusions sur les aspects techniques du statut PH, par méconnaissance, avertit-il cependant. Côté médecins, les dispositions font 500 pages. Cela ne se discute pas en cinq minutes, alors que la PPL, par divers abus de langage créant de la confusion, tend à le présenter comme un statut magique ! Il faut savoir qu’il existe plus de huit statuts pour les médecins à l’hôpital. Tous ne sont pas PH, ce qui implique d’avoir effectué des années d’études en plus. On peut imaginer la colère des médecins en CDI si des sages-femmes obtiennent ce statut qu’ils n’ont pas. Et ce serait un statut à haut risque pour notre profession, car il ne faut pas imaginer que toutes les sages-femmes l’obtiendraient. Quant aux libérales, il ne leur apportera rien. On peut douter que la reconnaissance demandée ait lieu par vases communicants. Nous proposons plutôt de défendre le deuxième grade et de supprimer le grade de coordinatrice, pour n’avoir qu’un grade unique. »
Malgré ces divergences, Vincent Porteous affirme que l’Ufmict-CGT accompagnera les sages-femmes jusqu’au bout, quelle que soit la solution retenue, tout en faisant de la pédagogie en amont sur le statut PH. Le syndicat aurait souhaité en priorité l’ouverture de négociations pour des revalorisations salariales, promises après le Ségur de la santé pour le premier semestre 2021, sans suite.
Pour l’instant, les organisations ne parient pas de la même façon sur l’avenir de la PPL Chapelier. Le calendrier parlementaire et électoral de 2021 et 2022 laisse en effet peu de marge pour qu’elle puisse être discutée. C’est davantage la remise du rapport de l’Igas, initialement prévue pour fin juin, et les annonces ministérielles qui restent attendues. Il y a urgence à rendre la profession de nouveau attractive, comme le souligne la pénurie de sages-femmes dans les hôpitaux.