L’étude Aladdin sur la qualité de vie et les conditions de travail des hospitaliers exerçant la nuit se concentre sur l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Elle n’a récolté les réponses que de 58 sages-femmes. « L’échantillon n’est pas représentatif et l’effectif restreint ne permet pas d’extrapoler les résultats à toutes les sages-femmes de France », souligne ainsi Lorraine Cousin, doctorante en santé publique à l’Unité de recherche clinique en économie de la santé de l’AP-HP. Malgré cette précaution et alors que peu d’études se sont intéressées au travail de nuit des sages-femmes hospitalières, les résultats d’Aladdin, publiés dans le Bulletin épidémiologique hospitalier du 19 septembre, représentent une première.
De façon générale, alors que la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) dans les établissements de santé fait l’objet d’une stratégie nationale depuis 2016, ce sujet reste peu investigué concernant les personnels hospitaliers de nuit. L’étude Aladdin, menée du 15 juin au 15 septembre 2020 dans les 39 sites de l’AP-HP, montre notamment que les sages-femmes sont plus nombreuses que les autres professionnels de santé à trouver leurs horaires de travail inadaptés à leur situation personnelle. Pour autant, est-ce lié au travail de nuit ?

SAGES-FEMMES : UNE QVCT PLUS DÉGRADÉE
Les participants ont été invités à répondre à un questionnaire en ligne permettant d’évaluer la QVCT à l’aide de l’échelle Work-related Quality of Life Scale (WRQOL). Ses 24 items passent en revue le bien-être général, le sentiment d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, la satisfaction au travail et vis-à-vis de la carrière professionnelle et la satisfaction par rapport à la qualité générale de la vie professionnelle. Ne s’adressant pas aux médecins, cette enquête concernait tous les autres personnels opérant soit uniquement de nuit, soit en alternance jour/nuit. Les infirmières représentent ainsi 52,3 % du panel des 1387 réponses analysées, les aides-soignantes ou techniciens 38,2 %, les sages-femmes 4,2 % et les cadres 0,8 %. Et plus des trois quarts des répondants étaient des femmes.
Les réponses des sages-femmes les distinguent des autres professionnels de santé dans cette enquête. Elles sont plus nombreuses à se déclarer satisfaites de leur niveau de formation (70,1 % contre 46,7 % à 55,2 % dans les autres catégories). Elles se sentent aussi davantage impliquées dans les décisions qui les concernent ou qui touchent leurs patients : 75 % des sages-femmes se sentent impliquées contre 38,2 % à 43,8 % des autres catégories de travailleurs hospitaliers de nuit. Et 82 % des sages-femmes déclarent avoir des objectifs clairs à atteindre dans le cadre de leur travail, contre 57,6 % à 74 % dans les autres catégories professionnelles.
En revanche, elles ne sont que 13 % à estimer bénéficier d’une infrastructure adaptée et d’une flexibilité adéquate pour accorder travail et vie de famille, alors que ce pourcentage varie entre 27,5 et 39,9 % dans les autres catégories professionnelles. De la même façon, 38,4 % des sages-femmes trouvent leurs horaires de travail actuels adaptés à leur situation personnelle, le taux le plus bas parmi les autres travailleurs de nuit hospitaliers. « Ceci peut en partie s’expliquer par la prédominance du travail en alternance jour/nuit chez les sages-femmes dans Aladdin (95,1 % des sages-femmes concernées, contre 8 % à 16,7 % des travailleurs hospitaliers de nuit dans les autres catégories) », notent les auteurs. Mais, justement, cette alternance de travail et l’absence de comparaison de la QVCT avec des travailleurs hospitaliers uniquement en poste de jour ne permettent pas de discriminer le travail de nuit comme un facteur prépondérant de la qualité de vie des sages-femmes. Les sages-femmes totalisent aussi les pourcentages les plus bas en matière de reconnaissance par leur supérieur hiérarchique (10 %, contre 21 % pour les aides-soignantes) ou quand il s’agit de disposer des moyens nécessaires pour effectuer leur travail efficacement (15,9 % contre 27,3 % des infirmiers). Et elles ne sont que 6,8 % à juger leurs conditions de travail satisfaisantes, contre 24,6 % des infirmiers par exemple. Elles sont aussi 73 % à se dire souvent sous pression au travail et 50,2 % à ressentir un niveau de stress excessif au travail. Là encore, ces taux sont les plus importants parmi les autres professionnels de santé étudiés.
CONFLIT VIE PRO/VIE PERSO
Pour les auteurs, « ces résultats confirment également le caractère aigu des problématiques liées à la QVCT auxquelles font face aujourd’hui les sages-femmes » et « peuvent être également mis en parallèle avec les données du récent rapport du Collège national des sages-femmes sur l’évaluation de la santé au travail des sages-femmes en France, qui identifient le conflit entre vie professionnelle et vie privée et le manque de reconnaissance comme deux facteurs de risque d’épuisement émotionnel dans cette catégorie de personnel ». L’enquête s’étant déroulée durant les premiers mois de la pandémie de Covid-19, ce contexte pourrait toutefois modifier les perceptions des soignants de leur QVCT. « Nous avions mené des entretiens semi-directifs avant la période de la pandémie, nous donnant le sentiment que les problématiques évoquées étaient sous-jacentes et qu’elles ont sans doute été amplifiées par la crise », nuance cependant Lorraine Cousin.
À l’AP-HP, le message semble avoir été entendu. En 2022, après trois mois d’écoute et de concertation avec les professionnels, Nicolas Revel, directeur général de l’AP-HP, a proposé un plan d’action pour attirer et fidéliser les professionnels de santé. Les « trente leviers pour agir ensemble » annoncés le 13 décembre 2022 sont en cours de déploiement.
Quant à l’impact du travail de nuit des sages-femmes, dont l’originalité par rapport à d’autres professionnels de santé est de se situer dans une alternance jour/nuit, il gagnerait à être davantage étudié.
■ Nour Richard-Guerroudj
Pour en savoir plus :
Duracinsky M, Cousin Cabrolier L, Rousset Torrente O, Di Beo V, Mahé V, Carrieri P, et al. Qualité de vie au travail du personnel hospitalier de nuit : des enjeux spécifiques pour les infirmiers et sages-femmes, enquête AP-HP Aladdin, 15 juin – 15 septembre 2020. Bull Épidémiol Hebd. 2023;(18):360-9. http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2023/18/2023_18_2.html