Le ton était donné dès la mise en place des groupes de travail, en avril 2021. La Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP) a accepté de rassembler les sociétés savantes et associations concernées autour de la question des accouchements à domicile (AAD) en prévenant « qu’il ne s’agit en aucune manière de cautionner ou promouvoir cette pratique, mais de la prendre en considération dans un objectif de gestion des risques ».
DIALOGUE TENDU
Au départ, les groupes de travail thématiques devaient traiter des risques liés aux patientes, aux professionnels, au recours aux Smur, des risques médicolégaux des AAD et des indicateurs de santé et de prise en charge pertinents pour l’évaluation de l’AAD. Il s’agissait aussi de parvenir à coordonner les acteurs impliqués dans les prises en charge des femmes, qu’ils soient en accord ou non avec la pratique des AAD, notamment pour fluidifier la communication entre eux lors de transferts.
Après de nombreuses séances de travail parfois houleuses et le départ d’une coprésidente du Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane) des groupes de travail, les parties prenantes se sont mises d’accord pour ne publier que trois documents d’information autour de l’AAD. En effet, tout au long des échanges, les sociétés savantes dirigées par des médecins et la FFRSP ont maintenu leur refus de cautionner l’AAD.
Malgré tout, les représentantes des associations de sages-femmes – Collège national des sages-femmes de France (CNSF), Conseil national de l’Ordre des sages-femmes (CNOSF), Association nationale des sages-femmes libérales (ANSFL), Association professionnelle de l’accouchement accompagné à domicile (Apaad) – et le Collectif de défense de l’AAD, une organisation d’usagères membres du Ciane, ont accepté de signer des textes intégrant les informations qu’elles souhaitaient voir publier. De leur côté, le Club des -anesthésistes-réanimateurs en obstétrique (Caro), Samu Urgences de France, le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), la Société française d’anesthésie-réanimation (Sfar), la Société française de médecine d’urgence (SFMU), la Société française de médecine périnatale (SFMP) et la Société française de néonatalogie (SFN) ont souligné dans les textes qu’ils ne font pas la promotion de l’AAD.
INFORMER SANS JUGER
Les deux ans de travaux ont donc accouché de trois documents, rendus publics le 21 novembre. Deux sont à destination des parents. Le premier apporte des informations générales sur l’AAD, mentionnant par exemple l’absence d’assurance professionnelle des sages-femmes qui le pratiquent, mais aussi des données rassurantes de la littérature internationale et de l’Apaad sur la sécurité des AAD. Le texte est complété de l’avis particulier de plusieurs sociétés savantes. Le deuxième porte sur les dépistages néonataux conseillés et leur organisation. Enfin, le troisième document est à destination des professionnels susceptibles de recevoir en consultation des patientes désirant un AAD. Il insiste notamment sur la nécessité d’adopter une posture de « non-jugement et de bienveillance » face à une femme souhaitant accoucher chez elle, pour respecter son libre choix.
Les textes tentaient donc une position d’équilibriste. Reste que le décès d’une femme et de son bébé à l’hôpital de Fougères, suite à un transfert dans le cadre d’un accouchement prévu à domicile, le 17 novembre, quelques jours avant la publication des textes de la FFRSP, a ravivé les dissensions entre médecins et sages-femmes. Dans la presse, alors que les circonstances du drame demeuraient inconnues, plusieurs obstétriciens ont redit leur opposition à l’AAD, qu’ils ne jugent pas sûr. De leur côté, l’Apaad et l’ANSFL ont publié un communiqué réaffirmant leur demande d’un parcours de soins dédié à l’AAD, avec une organisation anticipée des transferts à l’instar de ce qui a été mis en place en Île-de-France. « Les femmes souhaitant accoucher chez elles ne peuvent plus longtemps souffrir de discrimination, du fait d’un refus d’organisation tant local que national », écrivent les deux associations. De son côté, le Collectif de défense de l’accouchement à domicile (CDAAD) s’est dit aussi peiné par le double décès de Fougères, espérant qu’il ne « serve pas de prétexte à charge contre l’AAD ». Le CDAAD réclame lui aussi un cadre national pour sécuriser les parcours des patientes qui choisissent l’AAD.
■ Nour Richard-Guerroudj