Les progrès réalisés dans la surveillance de la grossesse, les soins obstétricaux et néonataux ont amené à une baisse de la mortalité périnatale et à la survie d’enfants très petits, augmentant le nombre d’enfants à haut risque de troubles du développement.
Les techniques employées pour apprécier le fonctionnement cérébral dans la toute petite enfance sont diverses, elles vont des différentes formes d’évaluation neurologique clinique à l’imagerie cérébrale et aux tests neurophysiologiques (EEG, potentiels évoqués somesthésiques, visuels, auditifs). Leur sensibilité et leur validité s’avèrent très variables, justifiant le recours à des analyses cliniques plus précises, non invasives d’observation des comportements de l’enfant. C’est le cas ici de l’évaluation de la motricité spontanée du bébé dans les premiers mois.
Cette analyse repose sur l’évaluation qualitative de la motricité globale spontanée du bébé, que nous appelons « mouvements généraux » (GM). Ces mouvements intéressent le corps dans sa globalité et précèdent les mouvements volontaires. C’est à Prechtl que revient le mérite de cette description, développée dès les années 80-90 à Groningen et poursuivie par M. Hadders-Algra, G. Cioni, F. Ferrari, C. Einspieler et al.
Les mouvements généraux apparaissent très tôt, ce sont les premiers mouvements à apparaître in utero.
Ils apparaissent dès la huitième/neuvième semaine d’âge post-menstruel jusque 4-4,5 mois post-terme. Ils précèdent les mouvements volontaires. Ils sont donc observables chez le fœtus, le prématuré, le nouveau-né à terme et le très jeune enfant. « Ils intéressent le corps entier en séquences variables à travers les bras, les jambes, le cou, le tronc. Ils augmentent et diminuent graduellement en intensité, force et vitesse, ont un commencement et une fin graduels. Des rotations le long de l’axe principal des membres et de petits changements de direction rendent les mouvements fluides, élégants et créent une impression de variabilité et de complexité » (Prechtl, 1986).
Pour de nombreux auteurs, cette motricité spontanée du fœtus et du jeune nourrisson joue un rôle important dans la survie et l’adaptation au milieu (Oppenheim, 1981; Prechtl, 1981). De plus, dès 1990, Prechtl montre que la qualité de ces mouvements généraux est un bon indice de la qualité du fonctionnement cérébral.
Caractéristiques des mouvements généraux
Ces mouvements intéressent toutes les parties du corps et sont appréciés non par leur quantité, mais par leur qualité sur 3 critères : la fluidité (début et fin graduels des séquences de mouvements), la variabilité, c’est-à-dire la production sans cesse de mouvements nouveaux les rendant imprévisibles, et la complexité, c’est-à-dire leur déploiement dans les 3 plans de l’espace (Hadders-Algra, 2010).
En fonction de l’âge, on distingue trois types de GM :
Les mouvements prétermes :
• jusque 36-38 semaines d’âge postmenstruel.
- Ils sont très variables, caractérisés par une participation importante du tronc et du bassin.
Les mouvements writhing :
• jusque 6-8 semaines postterme.
- Ce sont des mouvements de contorsion vigoureux, plus puissants, plus lents que les précédents.
- Avec une participation moins importante du tronc et du bassin.
Les mouvements fidgety :
• jusque 20 semaines post-terme.
- Ce sont de petits mouvements circulaires, en flux continu, parcourant le corps entier. C’est la danse « fidgety ». Maximum entre 9 et 13 semaines. Des mouvements amples et rapides peuvent se superposer à ces petits mouvements.
- À partir de 12-13 semaines, les mouvements intentionnels commencent à apparaître, se mêlant aux mouvements généraux dont ils prennent complètement la place à 20 semaines environ.
Place des mouvements généraux dans le développement du bébé
Ces mouvements généraux occupent tout le premier trimestre et se prolongent jusque 4-4,5 mois post-terme. Le premier trimestre est la période où s’exercent à plein les dimensions archaïques des systèmes sensoriels qui sont très en lien avec les émotions, assurent un recrutement tonique et la mise en forme posturale avec orientation (Bullinger, 2004). Ces dimensions archaïques sont le support du dialogue tonique (Ajuriaguerra, 1970). Par ailleurs, le premier trimestre est une période sensible (Vasseur, Delion, 2010) pour l’harmonisation tonique qui se construit par une contenance régulière et une lecture de son état émotionnel sur le visage de sa mère, à travers le regard, les mimiques, la mélodie des gestes et des mots. Pris dans l’attention et la contenance maternelle, le bébé intègre ainsi son unité.
Évaluation des mouvements généraux
L’état comportemental est important. Chez le prématuré, ces mouvements sont observés soit pendant le sommeil actif, soit en phase de veille active, en évitant les phases de pleurs, d’agitation et de succion (pouce ou tétine). Autour du terme et ensuite, ils sont examinés uniquement en veille active (Prechtl, 1981).
La position est importante. L’enfant est couché sur le dos, sur un plan ferme, en sous-vêtement, dans une pièce sans bruit ni lumière excessive et à température moyenne.
On évitera toute stimulation parentale pendant l’observation.
L’examen est facilité par la vidéo, la caméra étant placée en face de l’enfant, mais sans attirer son attention. En période préterme, une demi-heure à une heure d’enregistrement est nécessaire pour sélectionner quelques minutes de mouvements généraux complètes. Pour les autres périodes, quatre minutes suffisent.
L’évaluation est basée sur la perception Gestalt (Lorenz, 1971), fondée sur l’impression subjective d’un observateur expert formé à l’observation, analysant la qualité du répertoire des mouvements dans leur ensemble, sans accorder une importance particulière à une partie du corps.
On apprécie la qualité des mouvements sur les 3 critères cités plus haut : la fluidité, la variabilité dans leur déroulement temporel et leur complexité dans leur déroulement spatial, le mouvement normal s’exprimant dans les 3 plans de l’espace.
Les mouvements seront classés en quatre catégories :
- normal optimal avec fluidité présente, variabilité et complexité présentes et abondantes,
- normal suboptimal avec fluidité absente, variabilité et complexité présentes et suffisantes,
- légèrement anormal avec fluidité absente, variabilité et complexité insuffisantes,
- nettement anormale avec fluidité absente, variabilité et complexité absentes.
Dans notre pratique, cette observation « les mains dans le dos » (Touwen), telle qu’elle est décrite par les auteurs, est complétée par la recherche de facteurs pouvant modifier la qualité du répertoire et le comportement de l’enfant, en étudiant successivement et par ordre croissant les effets de :
- l’interaction par le regard, la voix, la mélodie des gestes et des mots, l’intensité de l’attention portée à l’enfant ;
- la contenance par le toucher pour apporter à l’enfant une sensation de limite corporelle sur les côtés et aux extrémités ;
- la contenance et la mise en forme en position légèrement regroupée au niveau de la nuque et du bassin, tronc aligné, membres dans l’axe du tronc et surélevés ;
- la main sur l’abdomen pour renforcer la proprioception du plan antérieur abdominal ;
- la combinaison de toutes ces manœuvres ;
- le portage de l’enfant, en position verticale ou légèrement inclinée en arrière, la tête et le dos contre l’examinateur dont les mains entourent complètement le corps du bébé. Le bassin est bien soutenu, les jambes sont libres de se mouvoir spontanément, la tête est libre également, reposant sur l’examinateur et le regard peut s’orienter en réponse aux sollicitations de la maman placée en face de lui à hauteur de ses yeux.
La réponse à ces différentes manœuvres nous donne des indications précieuses sur la nature des perturbations qualitatives des mouvements généraux. Ainsi, en cas de perturbations toniques en lien avec les conditions environnementales, la qualité des mouvements généraux sera modifiée assez rapidement.
Au contraire, en cas de perturbations neurologiques, les mouvements généraux pourront être améliorés, mais légèrement, et plus ou moins lentement, mais pas au point de changer de catégorie dans l’évaluation. Néanmoins, la poursuite de la stimulation sera susceptible d’améliorer l’organisation tonique globale et d’apporter à l’enfant une sensation d’unité améliorant grandement le pronostic fonctionnel ultérieur (Vasseur, 2009).
Qualité des mouvements généraux et devenir neurodéveloppemental
L’évaluation de la qualité des mouvements généraux est un outil sensible pour apprécier la qualité du développement cérébral du jeune enfant. Elle est complémentaire de l’examen neurologique classique. Si les mouvements restent nettement anormaux aux trois périodes, le risque de paralysie cérébrale (PC) est très important (70-85 %). C’est bien sûr la période fidgety qui est la plus fiable. Si les mouvements fidgety sont normaux, pas de PC, 10 % de troubles neurologiques mineurs. Si les mouvements fidgety sont légèrement anormaux, le risque de PC est faible (4 %), mais le risque de troubles neurologiques mineurs, THADA, troubles de la coordination ou du comportement (retrait, agressivité) est de 45 % environ. En cas de mouvements fidgety nettement anormaux retrouvés à plusieurs semaines, risque de PC estimé à 20 %, de troubles neurologiques mineurs, THADA, troubles de la coordination ou du comportement estimés à 75-80 % environ. Gravité particulière des mouvements « cramped synchronized » (CS), les mouvements apparaissant rigides, tous les muscles se contractant et se relâchant en bloc. De même l’absence de mouvements fidgety sur plusieurs semaines est un facteur de mauvais pronostic. Notons que ces données statistiques ne tiennent pas compte du type de prise en charge, de l’accompagnement familial, ni de la date de sa mise en place.
En conclusion
L’observation des mouvements généraux est un outil précieux qui nous permet d’apprécier la richesse de la motricité du bébé, véritable chorégraphie et sujet d’émerveillement.
C’est un outil d’observation qui nous donne une grille de lecture pour l’observation de l’activité motrice spontanée. Cette observation est déjà un outil thérapeutique.
C’est un outil d’évaluation, les mouvements généraux étant un marqueur du fonctionnement cérébral du bébé.
C’est un outil très utile pour adapter la prise en charge en fonction des facteurs de vulnérabilité du bébé.