« Quand j’ai postulé à la maternité en 1986, le directeur de l’hôpital m’a appelée pour me prévenir que le service allait fermer, raconte Agnès Juvin, qui fait désormais office de sage-femme coordinatrice au Centre périnatal de proximité (CPP) de Die. J’étais jeune, j’avais envie de bouger, même si ce n’était que pour deux mois. Alors je suis venue. J’ai pris mon poste en novembre 1986. »
La maternité a fermé ses portes le 29 décembre 2017, plus de 33 ans après cette première annonce. Aujourd’hui, la sage-femme compte parmi les anciennes de l’équipe. Elle a mené l’essentiel de sa carrière dans la plus petite maternité de France métropolitaine.
En 2016, 117 bébés y sont nés. Pour les habitants, fortement mobilisés, la fermeture de la maternité jouait donc l’arlésienne depuis plus de trois décennies. Si bien que la confirmation de l’événement a fait l’effet d’un coup de massue, la décision de non certification de l’hôpital, rendue par la HAS en octobre 2017, ayant peu été médiatisée.
Sur place, l’équipe apprend la nouvelle par voie de presse. « Fin novembre 2017, nous savions qu’il y avait une réunion à l’ARS avec plusieurs élus et qu’une conférence de presse était prévue ensuite, raconte l’auxiliaire de puériculture Élodie Borel. En début d’après-midi, j’ai cherché l’info sur France Bleu et j’ai vu que le couperet était tombé. Ça m’a fait un choc. J’ai prévenu le reste de l’équipe. Ensuite, ça a été le silence radio. Personne. Le désert. Pas un seul cadre n’est venu. Aucune nouvelle de l’administration. Puis, nous avons reçu un appel téléphonique de la sage-femme coordonnatrice de Valence. » L’équipe n’a qu’un gros mois pour transformer la maternité en CPP.
EXCEPTION GÉOGRAPHIQUE ?
L’exception géographique qui a contribué à maintenir cette petite maternité si longtemps n’a donc pas suffi. Pourtant, la ville de Die se situe à une grosse heure de la maternité de Valence (2500 accouchements par an) et à peine plus de celle de Montélimar (1800 accouchements par an), les deux établissements les plus proches (lire ici).
« Sauf qu’entre l’hiver, les vendanges et l’été avec les touristes, on ne circule pas bien pendant neuf mois de l’année », modère Ludivine Sgandurra, ancienne sage-femme de la maternité de Die, aujourd’hui installée en libéral.
Quant aux femmes du Haut-Diois, elles sont à plus de 1 heure 30 de route, lorsque tout va bien. Sans aller si loin, en février dernier, Yonola Viguerie et son compagnon, qui habitent à Die, ont mis 1 heure 40 pour rejoindre la maternité de Montélimar. Une durée un peu longue qui peut s’expliquer par une mauvaise météo et la sinuosité des routes de cette zone de moyenne montagne.
Ces longs parcours avaient conduit l’ARS de la région Auvergne-Rhône-Alpes à renouveler à de multiples reprises l’autorisation d’activité de la maternité. Ces dérogations, qui couraient depuis 2006, n’ont cependant jamais duré plus de deux ans, bien moins le plus souvent.
La dernière, décidée en juin 2016, a été accordée pour 18 mois, jusqu’à fin 2017. Habituellement, ce type d’autorisation est délivré pour cinq ans, ce qui facilite les recrutements.
Selon René-Charles Rudigoz, qui dirigeait le réseau Aurore jusqu’en avril 2017, « à Die, les dérogations étaient obtenues grâce à des interventions politiques. Du strict point de vue médical, la maternité n’était pas en conformité depuis longtemps. Il y a eu des difficultés. »
Il avait d’ailleurs alerté l’ARS à ce sujet dès 2012. Si la fermeture a finalement eu lieu en 2017, c’est que les politiques locaux auraient cédé devant la promesse d’un nouvel hôpital à douze millions d’euros, à en croire Philippe Leeuwenberg, militant actif et président du Collectif pour la défense de l’hôpital et de la maternité de Die.
MÉDECINS MANQUANTS
L’Agence met en avant d’autres arguments. La baisse du nombre de naissances était constante, passant de 158 en 2007 à 137 en 2013, puis 117 en 2016. « Les dernières années, spécialement en 2017, les femmes qui venaient d’ailleurs [la maternité rayonnait au-delà de son bassin de population, ndlr] ne venaient plus et nous transférions de plus en plus de patientes, explique la sage-femme Agnès Juvin. En tant que petite maternité, nous n’avions aucun droit à l’erreur. Nous avons donc arrêté de suivre plein de femmes et nos statistiques se sont écroulées. En 2017, de nombreuses dames ont été mécontentes suite à des décisions de transfert de dernière minute, même pour de tout petits risques. Je me souviens d’une dame qui avait un antécédent d’HPP. Le risque était très faible. Son dossier avait été plusieurs fois discuté en réunion. Il avait été décidé qu’elle accouche- rait à Die. Le jour J, le médecin intérimaire l’a transférée. »
Autre argument invoqué : le problème de démographie médicale, crucial à Die. « Pendant la dernière année de fonctionnement, le pédiatre n’était présent que 8 à 10 jours par mois, souligne l’obstétricienne Marie- Pierre Fernandez, qui dirige la maternité de référence de Valence, seul établissement de type 2b des départements de la Drôme et de l’Ardèche. Pendant un mois, il n’y a même plus eu de pédiatre du tout. »
Après le départ à la retraite de l’obstétricien chef de service à Die, en avril 2017, les médecins intérimaires, coutumiers dans la petite maternité, se sont multipliés. « Les risques médicaux étaient les mêmes que par le passé, rapporte Agnès Juvin. C’était l’équipe qui était devenue à risque ! Depuis très longtemps, l’établissement fonctionnait avec des intérimaires, obstétriciens, pédiatres et anesthésistes. La dernière année, il y a même eu des médecins de la réserve sanitaire. Si certains intérimaires avaient un côté mercenaire, du fait de la forte rémunération et de l’absence d’investissement dans l’établisse- ment, ce n’était pas vrai pour tous. D’autres venaient à Die se reposer. En tout cas, pour nous les sages-femmes, le médecin présent était un élément qui entrait dans notre évaluation du risque global. Nous ne travaillions pas de la même façon selon le médecin, en qui nous avions plus ou moins confiance. »
Marie-Pierre Fernandez renchérit : « Avec l’intérim, on ne sait jamais sur qui on va tomber. Certaines personnes ne sont pas au niveau. De plus, il n’y avait aucune relève entre ces médecins qui ne se parlaient pas. Personnellement, je ne pouvais pas prendre la responsabilité d’une maternité complète- ment illégale. Encore moins en n’étant pas sur place. Et les obstétriciens de Valence refusaient de venir travailler à Die, où ils se sentaient en insécurité. »
UNE ÉQUIPE FRAGILISÉE
L’équipe était donc en grande souffrance. Les trois sages-femmes et l’auxiliaire de puériculture qui travaillent encore au CPP l’ont toutes souligné. « Nous espérions que la maternité allait fermer, témoigne Agnès Juvin. Les femmes étaient en danger. Je venais travailler avec la boule au ventre. Parfois, le matin, quand je posais le pied par terre, je me mettais à pleurer. Nous appréhendions de voir les patientes arriver. Je commençais ma journée en me disant “j’espère qu’il n’y aura pas d’accouchement aujourd’hui.” Quand on est sage-femme, c’est terrible. Nous avons toutes fait des burnout. La population qui manifestait contre la fermeture de la maternité ne se rendait pas compte. Entre nous, on s’était dit : “si la maternité continue, nous nous mettrons toutes en arrêt maladie”. Car nous étions en train d’y laisser notre santé. »
Le 24 novembre 2017, l’ARS publie donc un communiqué de presse annonçant la fermeture du service. Presque immédiatement, les militants, réunis au sein du Collectif de défense de l’hôpital de Die, saisissent la justice contre cette décision. Ils seront déboutés, sur un motif simple : il n’y a pas eu de décision administrative.
En effet, la direction de l’hôpital de Die, assurée à l’époque par le directeur du centre hospitalier de Valence, par intérim, n’a pas demandé le renouvellement d’autorisation pour les services de maternité et de chirurgie. Le collectif militant a intenté un recours. Le jugement n’a pas encore été prononcé, mais les mémoires en défense rédigés pour la direction de l’hôpital de Die et pour l’ARS, remis début 2019 au Collectif, fournissent quelques éléments de réponse.
La direction de l’hôpital a alerté l’ARS sur la fermeture de la maternité courant 2017, soulignant qu’une période de six mois serait nécessaire à la mise en place de solutions de substitution. Ces mémoires insistent sur le problème de démographie médicale, les offres de postes étant, selon eux, restées sans réponse.
« J’étais d’accord pour un poste à Die, déclare pourtant Adonis Béchara, gynécologue-obstétricien bien connu de l’équipe, car il effectuait déjà de nombreuses gardes en intérim. J’ai postulé officiellement. Mais le directeur de Valence m’a contacté, me disant que ça ne valait pas le coup puisque la maternité allait fermer. J’ai le statut de praticien hospitalier. Je suis fonctionnaire. S’ils avaient accepté ma candidature, après, ils ne pouvaient plus me bouger. »
NOUVELLE ORGANISATION
De son côté, Marie-Pierre Fernandez, qui dirige la maternité de Valence, avait réfléchi à diverses solutions avec le chef de service de la maternité de Die depuis de nombreuses années.
« Nous ne sommes pas à l’origine de la fermeture, souligne-t-elle. Nous nous sommes seulement préoccupés de la sécurité des femmes. Maintien ou fermeture, tout était très compliqué et il y avait des risques dans les deux cas. Il fallait mettre en place un système de remplacement. Nous y avons réfléchi en 2008, avec, entre autres, des usagers. Nous avons repris ce travail en 2015 [ dates auxquelles la fermeture semblait actée, ndlr ]. Il fallait que le projet soit prêt si jamais cette maternité fermait. À l’ARS, nous nous sommes battus pour obtenir plusieurs choses : la mise en place d’un CPP avec des consultations, où l’on peut aussi assurer des semi-urgences ; un hôtel hospitalier si l’on a besoin de rapprocher une patiente et sa famille ; un hélicoptère avec une sage-femme à bord, qui peut établir un diagnostic. C’est fondamental pour être prêt en salle d’accouchement ou au bloc dès l’arrivée de la patiente. »
Reste que dans son communiqué de presse, l’ARS annonce des urgences renforcées, citant notamment « les médecins correspondants du Samu locaux, formés à la prise en charge des urgences des soins et à l’acte d’accouchement ».
Généraliste située à Luc-en-Diois, à 20 minutes de route de Die et 1 heure 20 de Valence, Myriam Bonjean est l’une d’entre eux. Elle ne décolère pas. « Nous avons appris la fermeture par la presse ! Nous avons aussi appris qu’il n’y aurait pas de problème parce que nous étions là ! Sauf que nous n’avons été ni concertés, ni informés, ni même formés ! Suite à nos demandes d’explication, nous n’avons obtenu aucune réponse de la direction de l’hôpital ou de l’ARS. Nous avons donc décidé d’arrêter les gardes pendant un mois. L’ARS nous a alors reçus très vite. Pendant cette réunion, ils étaient très à l’écoute. J’y ai cru et je suis bien naïve. Le docteur Fernandez, qui a fait ce qu’elle a pu, a proposé une formation aux urgences gynécologiques. La formation sur l’accouchement inopiné et les urgences obstétricales devait être traitée plus tard. Elle n’a jamais eu lieu. Du côté de l’ARS, c’est du foutage de gueule ! Il n’y a eu aucune considération, aucune écoute, aucun partage. Le dialogue est pourtant nécessaire à l’organisation des soins. »
DÉGRADATION ORGANISÉE ?
Dans un rapport de décembre 2014 sur la fermeture des maternités, la Cour des comptes dénonce le « positionnement attentiste » des ARS, soulignant un risque de « fermetures brutales et mal anticipées ». Malgré un très long délai de réflexion, la fermeture de la maternité de Die ne s’est pas déroulée sereinement.
Réalisé en 2013, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur cet établissement n’a été rendu public que cinq ans plus tard, en juillet 2018, grâce à la ténacité de Philippe Leeuwenberg, président du Collectif militant, qui a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada).
Si les experts de l’Igas rapportaient les difficultés de l’établissement, ils soulignaient aussi les « risques importants » associés à une fermeture. Pour les prévenir, ils recommandaient notamment l’organisation d’un départ de transports médicalisés depuis Die (et non pas Valence, comme c’est le cas) et insistaient sur les investissements importants nécessaires au maintien de la maternité.
La dégradation de la situation a-t-elle été organisée ? Certains observateurs le soupçonnent. « Il faut être réaliste, l’ARS nous a laissés crever », entend-on dans les murs du nouveau CPP. Fatiguée de renflouer l’établissement déficitaire à coup de millions d’euros, l’Agence aurait-elle joué le pourrissement ?
Difficile d’obtenir des réponses. Arrivée mi-décembre 2018, Ghislaine Bel-Goffart a pris le poste de directrice déléguée de l’hôpital de Die ainsi que de directrice des soins. Elle assure que la maternité n’a pas fermé pour des raisons financières, mais pour une question de sécurité. « La preuve : l’établissement est toujours un gouffre financier », avance-t-elle.
Sauf que de preuve, nous n’en obtiendrons pas. Malgré nos demandes patientes et répétées à la direction de l’hôpital de Die, à celle de Valence et à l’ARS d’Auvergne Rhône-Alpes, et malgré des engagements pris à l’oral, en face à face, aucun élément financier ne nous a été communiqué. Pire : au terme de multiples relances, nous n’avons obtenu qu’une réponse stéréotypée, à Valence comme à Die, où l’on avait probablement reçu les mêmes “éléments de langage”. Mais si les finances n’entrent pas en compte dans ce type de décision, pourquoi un tel manque de transparence ?
Géraldine Magnan