Les restructurations des maternités à venir

La France métropolitaine comptait 470 maternités au 11 mars 2019. Ce volume pourrait encore diminuer. Entre la loi de santé et la mise en place des GHT, bon nombre de services seraient menacés, quel que soit leur niveau d’activité. Sur quelles logiques reposent les restructurations annoncées et ont-elles atteint leurs limites ? Éléments de réponse.

Agnès Buzyn, en visite à Bernay le 18 février 2019, confirme la fermeture de la maternité de la ville. Depuis le 11 mars 2019, il n'y a plus d'accouchement sur place. © DR

La loi de Santé en discussion au Parlement promet de recentrer 300 établissements sur la médecine. En clair : ils devront se délester de leurs services de chirurgie et d’obstétrique. Combien de maternités sont menacées ? Le chiffrage est difficile, des établissements ayant déjà fusionné ou fermé à travers la mise en place des groupements hospitaliers de territoire (GHT). Et le Gouvernement se garde bien de donner des détails, tant le sujet des services de proximité est explosif. D’un autre côté, les décrets de périnatalité sont en cours de révision à la Direction générale de l’offre de soins (DGOS). Le groupe de travail relèvera-t-il le seuil d’accouchements pour autoriser les activités d’obstétrique, comme le demande la Cour de compte depuis 2014 ? Les restructurations vont-elles créer plus de grosses maternités ? Tout semble y concourir, comme l’idée que le nombre d’actes est lié à la qualité des soins.

BIG IS BEAUTIFUL

Le lien entre le volume d’actes réalisés et la supposée qualité des soins remonte au rapport de Guy Valencien, rendu public en 2006. Centré sur les actes chirurgicaux, il affirme que « plus le volume d’activité est faible et plus le risque de mortalité et de complication est élevé », préambule à la fixation de seuils en chirurgie.

En obstétrique, les études sont rares. Concernant les femmes à bas risques, Bénédicte Coulm a montré que grandes et petites maternités réalisaient autant de césariennes et de déclenchements en 2010. Une autre étude de l’Inserm menée auprès de 106 maternités et publiée en 2012 a montré que la prise en charge des hémorragies graves du post-partum était moins conforme aux recommandations dans les plus petits établissements.

D’après l’Enquête nationale périnatale de 2010, l’oxytocine pendant le travail était administrée plus largement dans les plus petites maternités. Mais pour définir un petit établissement, ces trois études retiennent le seuil de 1000 accouchements. On est bien loin de celui de 300 accouchements retenu par les décrets de 1998. En outre, les plus récentes recommandations de pratiques professionnelles ont peut-être changé la donne.

En réalité, les maternités de type 1 seraient considérées plus à risque parce qu’elles ont été plus souvent contrôlées par les ARS. C’est ce que sous-entend un rapport de l’Igas de 2012, qui invite à auditer davantage les plus grosses maternités.

D’ailleurs, selon plusieurs sources, les événements indésirables graves seraient sous-déclarés partout et la participation aux revues de morbimortalité inégale, quel que soit le type de maternité. Alors qu’un accident en type 3 est mis sur le compte des pathologies prises en charge, les maternités de type 1 n’auraient pas le droit à l’erreur.

La maternité de Decazeville (Aveyron), où une mère et son nouveau-né sont décédés en octobre 2016, a fermé quelques mois plus tard sur décision de l’ARS Occitanie. La justice suit son cours, mais les premiers rapports d’experts ont dédouané la maternité courant 2017, la prise en charge de l’embolie amniotique imprévisible ayant été conforme aux normes de bonnes pratiques.

Les études à l’étranger n’éclairent pas plus le débat. Selon qu’elles comparent les accouchements à haut ou à bas risque, et en fonction des complications étudiées ou des critères de jugements retenus, elles ne permettent pas de conclure aux États-Unis.

Toutes n’indiquent pas non plus les mêmes références bibliographiques, signe d’un manque criant de méta-analyse dans ce domaine. Dans un éditorial de juillet 2016 de l’American Journal of obstetrics and gynecology, l’obstétricien Aaron Caughey relevait bien des effets liés au volume d’activité en obstétrique, sans pour autant conclure à la pertinence de seuils minimaux à établir par médecin ou par établissement.

En 1998, le seuil de 300 accouchements par an en dessous du quel une maternité ne serait pas autorisée à exercer n’avait été établi sur la base d’aucune étude scientifique. Il a été fixé arbitrairement, selon l’idée qu’une maternité pratiquant moins d’un accouche- ment par jour ne serait pas sûre. Or la DGOS et la Haute autorité de santé envisageaient il y a plusieurs mois de rehausser encore ce seuil, selon plusieurs sources.

NOUVEAUX SEUILS ?

« Si le seuil d’autorisation d’activité était fixé à 500 accouchements par an, cela signifierait la fermeture d’une cinquantaine de maternités dans les trois années à venir, estime Philippe Deruelle, du Collège national des gynécologues-obstétriciens (CNGOF), qui participe au groupe de travail de la DGOS sur le sujet. Nous avons fait savoir que les autres établissements ne pourraient absorber une telle hausse du nombre d’accouchements sans tension. Toutes les structures, même les types 3, sont en insécurité au niveau des effectifs. On risque de craquer. Sans compter que la natalité, en baisse depuis quelques années, pourrait repartir. »

Pour l’instant, le CNGOF comme le Collège national des sages-femmes de France espèrent surtout une augmentation des effectifs dans toutes les maternités.

Les décrets de 1998 ont aussi été bâtis essentiellement en fonction des risques pédiatriques, en particulier pour les prématurés. Ils spécifiaient tout de même que les établissements accueillant les « grossesses à hauts risques maternels identifiés » devaient disposer d’une unité de réanimation d’adultes en plus de la réanimation néonatale.

La nouvelle révision des décrets pourrait aboutir à clarifier la gradation des types de maternités en fonction des risques maternels. « Nous devons veiller à ne pas trop codifier les choses, car les normes créent des contraintes supplémentaires pour les établissements », précise Philippe Deruelle.

Selon Évelyne Combier, médecin de santé publique, sur la période 2012-2014, 22 % des accouchements en type 3 ont eu lieu dans des établissements sans service de réanimation pour adultes. « C’est le cas de tous les hôpitaux mère-enfant séparés de l’hôpital général, comme Jeanne-de-Flandre à Lille ou celui des Hospices civils de Lyon à Bron, précise-t-elle. En cas de besoin, les mères doivent être transférées sur un autre site. » À l’inverse, 12 % des accouchements en type 1 ont eu lieu dans des établissement très sécurisés pour les mères, bien qu’ils soient destinés aux grossesses à bas risque.

Alors que les maternités de type 3 accueillent de nombreuses grossesses à bas risque, faisant office de maternité de proximité, le système périnatal apparaît bancal. Et la notion de territoire, impliquée dans les GHT, reste en réalité souvent absente.

« Les diagnostiques de planification sanitaire, tenant compte des besoins et des distances d’accès pour définir l’offre de santé, sont réalisés le plus souvent à l’échelle des découpages administratifs. Pourtant, les flux de patients franchissent ces frontières, témoigne le géographe Adrien Roussot. L’ARS de Bretagne est l’une des rare à avoir établi son découpage en fonction des flux de patients. Le centre de la région est à cheval entre trois départements du Finistère, mais est considéré comme un territoire de santé à part entière. Cette réflexion est loin d’être appliquée partout. »

Jeanne-Marie Amat-Roze, géographe de la santé confirme : « Le terme territoire est largement employé dans les politiques de santé, de façon incantatoire, sans que cela ne corresponde à la réalité des bassin de santé ».

Autre incompréhension dans ce système : l’obstétrique restera soumise à la tarification à l’activité, alors que les futurs hôpitaux de proximité verront leur mode de financement repensé. Pourtant, les tarifs actuels ne correspondent pas aux coûts réels, contribuant à creuser les défi- cits des maternités de façon artificielle.

POLITIQUES ILLISIBLES

À cela s’ajoute la cacophonie politique, les maternités représentant des enjeux électoraux forts pour les élus. C’est ainsi que, durant l’été 2018, la maternité de Guingamp en Bretagne, qui a réalisé 495 accouchements en 2017, a obtenu un sursis de deux ans par la grâce présidentielle.

En pleine Coupe du monde, Noël Le Graët, patron de la Fédération française de football et proche du maire de la ville, est parvenu à convaincre Emmanuel Macron de faire capoter le projet de l’ARS de Bretagne et du GHT de St-Brieux/ Lannion/Guingamp qui prévoyait de fermer la maternité en février 2019. Le député LREM de la circonscription, Yannick Kerlogot, d’abord rallié à la décision de l’ARS, en a profité pour redorer son image.

De la même façon, le dossier de la maternité de Creil, dans l’Oise, fermée au profit de Senlis fin janvier 2019, sera réexaminé par le Préfet, à la demande d’Emmanuel Macron. L’établissement avait réalisé 1405 accouchements en 2017.

À Die aussi, les enjeux électoraux ont pesé pendant plus de trente ans sur les décisions de maintien ou de fermeture de la maternité (lire aussi ici). Quand l’arbitraire politique pollue des décisions sanitaires, tous les scénarios semblent possibles concernant l’avenir du maillage territoriale en périnatalité.