Pendant des années, on n’avait aucun projet, sauf attendre une éventuelle fermeture, raconte l’auxiliaire de puériculture Élodie Borel. Ouvrir le CPP [Centre périnatal de proximité, ndlr] a été angoissant, mais aussi très stimulant. »
Globalement, après les affres des dernières années de fonctionnement et le deuil de la maternité (Lire ici), l’équipe semble épanouie. Rapide, la transition a été difficile, mais très accompagnée par l’équipe de Valence.
Après plus d’un an de recul, les plâtres ont été essuyés. Un bilan a même été dressé. Avec des surprises : si le fonctionnement global de la structure et les différents risques liés au déplacement de l’accouchement dans une maternité plus éloignée ont été anticipés, les femmes ne suivent pas toutes la voie tracée par les professionnels.
UN AUTRE LIEN AUX PATIENTES
« L’information que la maternité avait fermé a très bien circulé. Mais ça n’a pas été de même pour l’ouverture du CPP », regrette la sage-femme Nadine Billy. La fréquentation du centre est restée faible pendant le premier trimestre 2018. Au total, sur l’année 2018, « il y a eu 3042 consultations, pour une file active de 1125 personnes, dit Sabrina Bottet. C’est beaucoup. »
Sage-femme coordonnatrice de la maternité de Valence, 20 % de son temps de travail est dédié au CPP de Die. « Pas mal de choses ont été mises en place au niveau du suivi des grossesses, explique la sage-femme Agnès Juvin. L’offre du CPP est supérieure à celle de notre ancienne maternité. Nous assurons aussi des consultations de gynécologie, ce que nous ne faisions pas avant. Aujourd’hui, je vois la femme dans toute sa problématique. Cela favorise le lien. »
Un sentiment partagé par l’auxiliaire de puériculture Élodie Borel : « À la maternité, on créait des liens très forts, mais on ne voyait pas les patientes longtemps. Au CPP, je vois les dames dès le retrait de leur DIU puis pendant toute leur grossesse. Elles partent accoucher ailleurs, mais reviennent pour l’allaitement, le pédiatre, en consultation post-partum… Nous les suivons un an contre cinq jours auparavant. »
Réparties sur 2,3 équivalents temps-plein, les trois sages-femmes ont bénéficié d’une formation au suivi gynécologique. Rééducation du périnée, haptonomie, hypnose, soutien à l’allaitement, toute l’équipe est engagée dans des formations parallèles. Les sages-femmes réalisent aussi les IVG médicamenteuses de moins de 7 SA et viennent d’ouvrir un groupe de parole postnatal.
Pédiatres et gynécologues se relaient plusieurs fois par semaine. « C’est le top du soin gradué, commente Marie-Pierre Fernandez. On fait tout ce qu’on peut en soins de proximité et, quand il y a besoin d’un plateau technique, on transfère à Valence. À Die, nous travaillons beaucoup sur l’information à donner aux patientes. Nous l’adaptons au cas par cas, en fonction de la parité, de l’examen clinique et de la distance.»
Ouvert à des horaires de bureau, y compris le samedi et certains jours fériés, le CPP ne ferme jamais plus de 48 heures. Pour les sages-femmes, c’est un nouveau confort de vie.
ACCOUCHER À DISTANCE
Tout a été organisé pour que les patientes accouchent à Valence, la maternité de référence, à une grosse heure de route. Quand le temps d’accès à la maternité est supérieur à 45 minutes, les dossiers des patientes sont repérés. Concrètement, ce risque géographique concerne toutes les femmes de Die et au-delà, avec une alerte particulière pour celles très éloignées.
« On a le même logiciel qu’à Valence, explique Agnès Juvin. C’est comme si on travaillait dans le bureau d’à côté. » Sauf que les patientes font parfois des choix différents. « En 2018, sur 76 dossiers de patientes suivies par le CPP, 51 ont accouché à Valence, 13 à Montélimar, 5 à domicile, 4 à Gap [dans les Hautes-Alpes, à 1 heure 30 environ des villages du Haut-Diois quand il n’y a pas de neige, ndlr], 1 à Pertuis, 1 à Romans, 1 à Grenoble [ces deux dernières villes étant plus proches, quoiqu’à une très grosse heure de distance en bonnes conditions, pour les femmes du Vercors, ndlr] », détaille Sabina Bottet.
Au premier trimestre 2019, davantage de femmes se sont orientées vers Montélimar, un établissement plus petit (1800 naissances par an, contre 2500 à Valence), qui n’avait apparemment pas anticipé l’arrivée de ces patientes éloignées.
Amélie Gamonnet y a accouché en février dernier : « Nous avons pris la route dès les premières contractions. Quand nous sommes arrivés, la sage-femme m’a demandé de rentrer chez moi. Une fois à la maison, les contractions étaient très proches et très douloureuses. Nous sommes immédiate- ment repartis et avons roulé très très vite. »
Quels que soient les choix, la route angoisse les familles. Au huitième mois de sa quatrième grossesse, une patiente vivant à 1 heure 20 de Valence s’inquiète : « J’aimerais déclencher l’accouchement. Les trois premiers sont venus naturellement, mais cette fois, j’ai peur d’accoucher sur la route. »
En consultation ce jour à Die, la cheffe de service de Valence pourrait accepter. « Pour l’instant, seules deux patientes me l’ont demandé. Je suis d’accord, mais seulement après 39 SA et sur un col favorable, et exclusivement à la demande de la patiente. »
Les chiffres de 2018 témoignent de la rareté de l’acte. Pour les Dioises, seuls trois déclenchements ont eu lieu, tous sur indication médicale. « Les femmes qui habitent au-delà d’une heure de distance et celles qui présentent des critères d’accouchement rapide nous préoccupent, ajoute l’obstétricienne. Nous avons mis en place un hôtel hospitalier, remboursé sur prescription médicale. Nous avons eu plusieurs demandes, mais les familles se sont peu servies de cette possibilité. »
Le Campanile voisin de l’hôpital n’a guère de succès. Les familles peuvent cependant bénéficier d’un gîte de leur choix, quand le rapprochement est nécessaire. Récemment, les demandes ont augmenté.
URGENCES DÉFAILLANTES ?
« Pour une urgence vraie, comme un accouchement imminent, le Samu, qui part de Valence, vient jusqu’à la patiente, poursuit Marie-Pierre Fernandez. Pour les urgences moindres, on fait une jonction. Le couple et le Samu se rejoignent en chemin. Le véhicule médicalisé arrive avec du matériel et peut avoir une sage-femme à bord. Un grand hélicoptère est aussi à disposition, avec trois places, pour une sage-femme, un obstétricien et un pédiatre si nécessaire. Il peut voler de nuit et par mauvais temps. Toute dame doit pouvoir arriver à sa maternité en une heure. Et plus vite encore s’il y a un problème. Quand la maternité de Die fonctionnait, il fallait environ trente minutes entre le moment où la dame réalisait qu’elle allait mal et celui où elle arrivait. Il fallait encore 30 à 40 minutes supplémentaires pour pratiquer une césarienne en code rouge, les médecins n’étant pas tous sur place. Je considère que les patientes ne doivent pas mettre plus de temps pour rejoindre un établissement aujourd’hui. À Valence, le Samu dépose la patiente directement en salle d’accouchement ou au bloc pour une césarienne. Jusqu’à l’accident de février dernier, tout s’était très bien passé. »
Enceinte de huit mois, une patiente a perdu son bébé suite à un décollement placentaire. Quelques années plus tôt, son enfant précédent avait pu être sauvé par une césarienne pratiquée en urgence à Die, sur le même motif. L’ARS, qui a lancé une enquête, a tardé à remettre sa copie.
Selon les professionnels qui connaissent le dossier, le bébé n’aurait probablement pas pu être sauvé, « mais on aurait dû éviter à la mère ces trois heures d’horreur entre l’appel aux secours et l’arrivée à la maternité », rumine Marie-Pierre Fernandez.
L’hélicoptère, dédié à toutes les urgences de la Drôme et de l’Ardèche, était occupé ailleurs. Globalement, les accouchements inopinés extra-hospitaliers n’apparaissent pas plus nombreux qu’à l’époque de la maternité.
Y aurait-il un manque de coordination ? « Pour moi, c’est plus facile de suivre un parcours à risque entre Die et Valence que de voir partir les femmes à Montélimar, répond Marie-Pierre Fernandez. Plus on multiplie les intervenants, plus c’est compliqué. Quand une femme est suivie au CPP, ainsi qu’à son hôpital de référence, un autre hôpital de son choix et une sage-femme libérale, on ne sait plus qui fait quoi. »
C’est pourtant le droit des patientes, et un choix courant dans le Diois. Ici, la demande d’accouchement à domicile (AAD) était très forte. Le taux national des AAD ne dépasse pas 1 %, mais à Die, il grimperait entre 20 % et 30 %, selon les informations des sages- femmes hospitalières de Die et des libérales de Crest (à quarante minutes de route) qui pratiquent l’accompagnement global.
Depuis la fermeture de la maternité, les Dioises ont perdu ce choix. « Pour accompagner la physiologie, il faut des limites, explique la libérale Sybille Berresheim. Nous sommes très vigilantes et essayons de ne pas dépasser trente minutes de distance d’une maternité. Depuis la fermeture à Die, les demandes des femmes du Diois ont chuté. Pour se rapprocher d’un établissement, certaines se font prêter une mai- son, un couple a installé une caravane et un autre souhaite monter une yourte. »
Certaines ont opté pour un accouchement non accompagné, un choix radical et redouté par tous les professionnels. À l’étroit dans les locaux de la maternité de Valence, Marie-Pierre Fernandez a accepté une « exception dioise » : ouvrir un plateau technique réservé aux sages-femmes accompagnant les femmes du Diois. Face aux obstacles financiers, les libérales ne s’en sont pas encore saisies.
UNE POPULATION REBELLE ?
Pour de nombreux observateurs, la population du Diois serait particulièrement « antisystème », à tendance « écolo-nature ». Le taux plus élevé d’IVG s’expliquerait par un refus de la contraception hormonale. Le pédiatre signale ses batailles pour la vaccination.
Ancienne de la maternité de Die, la sage-femme Ludivine Sgandurra, seule libérale de la ville, nuance le propos : « J’ai une patientèle en méfiance des institutions. Mais les personnes ne sont pas forcément adeptes des thérapies alternatives. Presque une patiente sur deux a vécu des violences. Un bon tiers a subi des violences gynéco- logiques et obstétricales. Ces femmes se sentent plus en confiance avec une sage-femme libérale. À part pour ce point, ma patientèle est assez classique. »
Mais pour leur accouchement, ses patientes se sont tout de même éloignées du chemin tracé par les professionnels. Sur les quinze mois qui ont suivi la fermeture de la maternité de Die, seuls 42 % d’entre elles ont accouché à Valence. « 35 % de mes patientes sont allées à Montélimar, ajoute-t-elle. 7 % à Romans, 6 % à Gap, 2 % dans une clinique privée près de Valence, et quelques-unes dans la région de Grenoble, où se trouve une maison de naissance. »
La fermeture de la plus petite maternité de France a donc grandement élargi le territoire local de la périnatalité.