Une petite révolution serait-elle en cours dans l’univers des méthodes de préparation à la naissance et à la parentalité ? « Sincèrement, oui », répond Céline Puill, sage-femme libérale à Fontenay-sous-Bois, en région parisienne. Comme quelques-unes de ses consœurs, elle est en passe de terminer son diplôme universitaire (DU) de MBCP, acronyme de Mindfulness Based Childbirth and Parenting, autrement dit « naissance et parentalité basées sur la pleine conscience ».
Il s’agit de cet état d’attention extrême portée sans jugement au moment présent, sans fantasmer le futur ni ruminer le passé. Pour y parvenir, on s’y entraîne le plus souvent par la méditation. Céline Puill, qui fait partie de la première promotion de professionnels de la périnatalité formés en France insiste : « Je ne connais aucune autre méthode de préparation aussi bien organisée, avec des résultats prouvés scientifiquement, soutenue par Santé publique France. » Elle s’est pourtant déjà formée à la préparation à la mode De Gasquet, à la sophrologie, à la méthode Bonapace, aux enseignements de Jacqueline Lavillonière, sans compter toute la littérature venue nourrir sa pratique. À Santé publique France (SPF), Thierry Cardoso, responsable de l’unité Périnatalité et Petite Enfance à la direction de la prévention et de la promotion de la santé, reconnait « la rigueur, le sérieux et l’évaluation scientifique de ce programme ». Il y participe via l’enseignement. Mais lui parle plutôt d’une « intervention de prévention précoce en périnatalité ».
« C’est rarissime de trouver des interventions de prévention précoce avec autant de publications scientifiques et une dynamique de recherche internationale aussi riche, appuie le médecin de SPF. Dans le domaine de la périnatalité, les effectifs restent petits. On n’est pas encore au stade de la méta-analyse. Mais la recherche sur les effets de la pleine conscience et de la méditation existe depuis une quarantaine d’années. Aujourd’hui, on comptabilise plus de 20 000 papiers scientifiques ! C’est assez extraordinaire. Par exemple, la pratique de la pleine conscience a des effets épigénétiques. Elle entraîne des changements sur la réaction inflammatoire, sur la perception de la douleur chronique. D’ailleurs, elle est de plus en plus utilisée par des cancérologues. La méditation permet aussi de gérer le stress toxique au quotidien. Dans les plus grandes universités du monde, comme à Oxford, Harvard ou Yale, des départements entiers de recherche ont été créés. Dans le domaine de la naissance, cela reste encore assez nouveau. »
Prouvé scientifiquement
Plusieurs résultats sont tout de même là, principalement dans la réduction du stress et de l’anxiété pendant la grossesse, de la peur de l’accouchement et de la gestion de la douleur. « Les premiers essais contrôlés randomisés, certes menés sur un petit nombre de participantes, mais confirmés depuis par d’autres études, ont aussi montré une réduction des traits dépressifs en post-partum. Le programme est donc très prometteur en vue de la réduction des facteurs de risques de la dépression du post-partum et de la dépression du post-partum elle-même. Il permet de travailler sur les anticipations anxieuses, notamment pour les antécédents de grossesse difficile, de fausse couche antérieure, de deuil périnatal et autres traumas passés », résume Thierry Cardoso.
En 2017, l’équipe de Larissa Duncan, aux États-Unis, dans le Wisconsin, montre sur une petite cohorte très diversifiée de nullipares à bas risque obstétrical qu’un programme -intensif conduit sur deux jours et demi en fin de grossesse atténue les symptômes de dépression du post-partum, avec une tendance à un moindre recours aux opioïdes pendant le travail. En 2020, les mêmes chercheurs montrent que la réduction du stress perdure jusqu’à un an au moins après l’accouchement. En 2022, une équipe néerlandaise travaille avec une plus large cohorte : 141 femmes enceintes présentant une forte peur de l’accouchement, ainsi que leurs partenaires. Comparées au groupe ayant suivi une préparation classique, les femmes du groupe MBCP ont vu leur anxiété diminuer, tout comme les scénarios catastrophes auparavant élaborés à propos de la douleur liée au travail, qu’elles ont mieux acceptée. Le recours à la péridurale a diminué de 36 % et celui des césariennes sur demande maternelle a chuté de 51 %. Les femmes entraînées à la pleine conscience étaient deux fois plus nombreuses à choisir un accouchement non médicalisé. Le score d’Apgar de leur nouveau-né, mesuré à une minute, était également meilleur que celui des femmes ayant suivi la préparation classique, même si la tendance doit encore être confirmée. Début 2023, la même équipe publie une autre étude sur la même cohorte : les femmes ayant suivi le programme MBCP ont mieux vécu leur accouchement, leurs partenaires également, spécialement ceux qui présentaient des facteurs de risque psychologiques avant l’événement. D’ailleurs, en 2021, une autre équipe américaine a montré que les pères formés à la MBCP étaient très satisfaits, louant spécialement la force du groupe. Ces derniers s’engageaient davantage lorsqu’ils avaient eux-mêmes entendu parler du programme plutôt que par l’intermédiaire de leur femme. Côté enfants, une étude suédoise publiée en 2021, menée auprès de dyades dont les femmes présentaient des facteurs de risques de dépression périnatale, a montré que ceux dont les mères ont été formées à la MBCP présentaient un meilleur développement social et émotionnel à l’âge de 3 mois, par rapport à ceux des mères formées à l’accouchement sans douleur selon la méthode Lamaze. Les femmes du groupe MBCP présentaient également un meilleur état psychologique.
Une formation universitaire
Lancé en 2019 grâce à un partenariat entre l’Université de Lorraine, l’ANPCC et Santé publique France, le DU « Périnatalité, Pleine Conscience, Prévention », qui s’adresse aux professionnels de la périnatalité, dure deux ans. Il exige un important travail personnel. Les inscriptions à la troisième promotion, qui débutera en octobre 2023, sont ouvertes à partir de mi-mars. « Dans le dossier, la lettre de motivation est un élément fondamental », souffle Marie-Paule Nousse. Il faut aussi avoir suivi un programme MBSR complet sur huit semaines. « La première année décrit le protocole MBCP défini par Nancy Bardacke, avec l’acquisition de tous les exercices et méditations proposés aux parents, détaille Marie-Paule Nousse. La seconde année est focalisée sur les fondements scientifiques et les pratiques. Les versants intellectuel et expérientiel se complètent. » Au cours d’un séminaire de six jours, pendant lequel interviennent des spécialistes en neurosciences, épigénétique, compétences psychosociales, psychologie du trauma…, les étudiants sont immergés au cœur de la pleine conscience par les pratiques psychocorporelles. Au cours de cette deuxième année, les apprenants commencent à pratiquer auprès de quelques futurs parents. La formation se termine par une supervision de groupe où chaque étudiant est amené à conduire une méditation ou présenter un élément plus théorique du programme. À terme, les futurs instructeurs incarnent eux-mêmes le processus de pleine conscience. Pour les professionnels qui se lancent, une troisième année est ouverte à une supervision individuelle. Les étudiants sont environ 25 par promotion. Les plus nombreuses sont des sages-femmes de tous âges, libérales ou hospitalières. Plus rares, des obstétriciens, pédiatres, psychologues et puéricultrices suivent aussi le cursus. « Il s’agit d’un DU opérationnel, précise Morgane Gottschalk. Les étudiants peuvent pratiquer dès la sortie. »
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Une histoire récente
Si la pratique arrive à peine en France, aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne ou aux Pays-Bas, les sages-femmes formées accompagnent déjà des grands groupes d’une dizaine de couples. « Le programme a été créée en 2007 par la sage-femme américaine Nancy Bardacke, raconte Thierry Cardoso. Elle l’a adapté à partir du programme source de réduction du stress basée sur la pleine conscience (MBSR en anglais), lui-même créé en 1979 et sur lequel continuent d’être publiés de très nombreux travaux scientifiques. Nancy Bardacke s’est basée sur les connaissances scientifiquement prouvées de la pleine conscience. À l’époque, cette sage-femme travaillait au centre médical de l’hôpital universitaire de San Francisco. Dès 2007, elle a adossé au programme MBCP un partenariat en recherche clinique avec la chercheuse Larissa Duncan, qui travaille aujourd’hui au centre de recherche Healthy Mind auprès de Richard Davidson, un grand chercheur en neurosciences. » En 2012, Nancy Bardacke publie la première version de son livre, traduit en français en 2014 et mis à jour courant 2022. En 2013, elle met en place la première formation professionnelle internationale pour les sages-femmes. En 2017, plus de 1500 professionnelles sont formées. Elles enseignent désormais aux futurs parents. En France, l’ANPCC, pour « Association Naissance et Parentalité en pleine conscience » est créée en 2015 par Morgane Gottschalk, enseignante de pleine conscience. Avec Marie-Paule Nousse, cardiologue et instructrice MBSR, elles fondent en 2019 le premier DU dédié à la MBCP, accueilli au centre Pierre-Janet, de l’Université de Lorraine, à Metz (voir ci-dessous). Thierry Cardoso, de SPF, en est le conseiller scientifique.
Pour les parents, la formation MBCP dure 9 semaines, avec 9 séances hebdomadaires de 3 heures dont une journée complète de pratique en pleine conscience. La présence du coparent est indispensable. Au quotidien, les deux parents doivent effectuer un travail à la maison 6 jours sur 7, pendant environ 30 minutes. L’entraînement à la pleine conscience prend du temps. « On n’est pas dans l’acquisition de connaissances, mais dans quelque chose qui s’expérimente avec des outils basés sur la capacité consciente à revenir au moment présent sans jugement de valeur, explique Morgane Gottschalk. Au cours de l’accouchement, on ne peut pas aller plus vite que la musique. Il faut vivre chaque moment, y compris ceux qui ne sont pas agréables, contraction après contraction. Les outils de la pleine conscience permettent de reconnaitre les sensations physiques et les émotions. Ils ramènent la conscience au corps, qui, lui, est toujours dans le moment présent. Aujourd’hui, pour leur accouchement, les femmes ont deux solutions : soit elles font face à la souffrance et se tournent vers la médicalisation, soit elles s’arment de courage et choisissent un accouchement physiologique. Mais les outils qui permettent d’accepter le changement sont peu développés. Grâce aux outils de la pleine conscience, on peut accepter une césarienne alors qu’on avait prévu un accompagnement physiologique, sans pour autant la vivre comme un échec décevant qui restera en mémoire pendant des années. » Il est en effet difficile d’accepter réellement un événement que l’on vit comme une obligation. « Or, si on ne l’accepte pas, on se retrouve dans un système de réactivité qui surajoute de la souffrance à un phénomène physiologique déjà douloureux, dit Marie-Paule Nousse. Certes, ce n’est pas agréable, mais la douleur dure finalement peu de temps, sauf dans de rares positions obstétricales. La pleine conscience permet d’accepter la douleur sans rajouter une couche supplémentaire avec la peur. » Ainsi, les outils de la pleine conscience apprennent à découpler la douleur, physique, de la souffrance, émotionnelle. Ils aident également à prendre conscience de la souffrance générée par certains schémas, souvent transmis par l’entourage. Les apprentis méditants conscientisent davantage leurs propres ressources et capacités malgré des conditions de vie parfois difficiles.
Des outils pour la vie
Très utile pendant la grossesse et l’accouchement, la pratique de la pleine conscience prépare aussi à la parentalité. Elle aide à mieux se connecter à son bébé et à l’expression de ses besoins. « La vie de famille n’est pas simple. On passe du rêve d’un bébé idéal à l’extrême difficulté qui surgit avec l’arrivée du bébé réel, ajoute Morgane Gottschalk. Ces outils permettent de reconnaître le stress puis de réajuster sa posture, en gardant une ouverture d’esprit. Ils évitent d’être dans la seule réactivité. Le protocole permet aux parents de trouver leur propre conscience, leur propre façon d’être et de faire, leur propre flexibilité. Voilà pourquoi il ne s’agit pas d’une technique. Ce programme ne donne pas de solutions. C’est aux parents de trouver leurs propres réponses. » « On ne va pas apprendre à changer une couche dans le programme MBCP ! témoigne la sage-femme Céline Puill. On peut évidemment en discuter, mais les recettes et les conseils tous faits ne font pas partie des objectifs. Cela peut effectivement manquer aux personnes qui recherchent des recettes clés en main ou des conseils très pratiques de puériculture. Aucune méthode ne convient à tout le monde, c’est aussi le cas de la MBCP. Mais dans les séances individuelles de suivi de grossesse, on peut revenir sur des éléments si besoin. »
La sage-femme, qui pratique l’accompagnement global en plateau technique, suit en effet la grossesse de la quasi-totalité des personnes qu’elle prépare à la naissance avec la MBCP. « Mais je pense que les personnes qui accouchent à l’hôpital en auraient encore plus besoin ! L’accompagnement global permet une certaine maîtrise de l’environnement, contrairement à l’hôpital où l’on ne sait même pas qui sera présent. Donc il faut encore plus utiliser ses propres ressources face à l’imprévu. » Une partie du programme est d’ailleurs dédiée au dialogue avec les équipes soignantes.
Totalement convaincue par les apports de la pleine conscience à la périnatalité, Céline Puill ne s’imagine plus exercer sans. Dès le début de sa formation, elle a intégré des éléments MBCP dans sa préparation plus classique : « Certaines méditations visant à expliquer ce qu’est la pleine conscience, les liens entre la pleine conscience et les changements que les parents vont vivre, les éléments théoriques qui sont extrêmement bien ciblés, donc plus courts, à propos de la douleur, des contractions, du déroulé de l’accouchement, du rythme du bébé, de l’allaitement. Les parents qui vont suivre cette prépa plus classique sont prévenus en amont. En général, ils le reçoivent très bien. Les liens entre la pleine conscience et le fait de se préparer à tous les changements dus à la naissance et à la parentalité sont vraiment évidents ! Les parents y voient leur intérêt. » Concrètement, dans sa -patientèle, -hormis les couples qui optent pour l’accompagnement global, la plupart des parents choisissent la préparation plus classique. Le principal obstacle à la MBCP semble être le refus des partenaires de s’investir autant. « Imposer l’engagement des deux parents vise surtout à éviter de créer une trop grande distance dans le couple », explique Céline Puill.
Côté sage-femme, la posture de soignant change beaucoup. Face aux patientes, l’accompagnant MBCP adopte une posture horizontale. « En tant que facilitatrice, on se met soi-même sur le chemin de la vie et de l’apprentissage, constate Céline Puill. On n’est pas là en tant que sachant. On ne va pas donner des conseils mais accompagner les gens dans leur cheminement. » Pour autant, le programme MBCP ne déroutera pas totalement les sages-femmes. Elles connaissent et pratiquent déjà la force du groupe, les temps d’échange, l’intérêt des pratiques corporelles, le lien corps-esprit… « La vraie différence, c’est que ce programme est extrêmement bien orchestré, précise Céline Puill. Chaque séance a un but et des moyens pour obtenir une progression. La structure est solide tout en offrant beaucoup de liberté. Ce programme est aussi transmissible et reproductible tout en tenant compte des spécificités de chacun. C’est incroyable tout ce que la MBCP m’a apporté sur le plan personnel et professionnel, dans la relation aux patients, dans le sens profond de la préparation à la naissance. » Pour Thierry Cardoso, impliqué dans le DU, « tous les professionnels qui s’y sont engagés disent que c’est vraiment transformateur. Cet enseignement change complètement leur manière de travailler. Il permet de gérer ses émotions, travailler soi-même avec son stress, gérer l’inconnu, anticiper, faciliter la prise de décisions. Dans le difficile contexte actuel, la pratique de la pleine conscience les aide à se repositionner. »
Quel développement possible ?
Encore balbutiante en France, la naissance et la parentalité basées sur la pleine conscience semblent donc avoir un bel avenir. Mais leur développement à plus grande échelle n’est pas encore acquis. « Il faut attendre que les professionnels formés cheminent pour proposer la méthode à suffisamment de patients, projette Thierry Cardoso, de SPF. À l’été prochain, seule une quarantaine de personnes seront formées en France. Pour l’instant, nous allons seulement pouvoir monter une étude sur la faisabilité du protocole. Nous réfléchissons aussi aux techniques d’évaluation. Quand il y aura suffisamment de mères, nous pourrons récolter des données afin de chercher à reproduire en France les résultats connus ailleurs en termes d’efficacité. Cela va prendre beaucoup de temps. Aujourd’hui, on est encore dans l’innovation. Nous désirons aussi observer si ce programme est abordable à toutes les femmes. Aux États-Unis, Nancy Bardacke a offert le programme à des femmes vivant dans des quartiers complètement défavorisés. Sans l’obstacle économique, ça a très bien marché. À SPF, il n’est pas question d’aller creuser les inégalités. Donc comment, à partir d’une intervention dont on a pu mesurer une efficacité intéressante sur le stress toxique et la dépression, peut-on adapter ce programme-là ? Une fois qu’on aura des données françaises, tout en restant attentifs aux données acquises à l’international qui ne cessent de s’accumuler, nous pourrons peut-être envisager un remboursement par les autorités sanitaires. » En attendant, les quelques sages-femmes françaises qui encadrent des groupes pratiquent un dépassement d’honoraires d’environ 150 euros par couple sur l’ensemble de la préparation à la naissance et à la parentalité.
Référence absolue pour tous les professionnels de périnatalité en cours de formation, également recommandé aux parents, l’ouvrage de Nancy Bardacke a été traduit en français par Morgane Gottschalk, cofondatrice du diplôme universitaire de Metz. La dernière version est parue en mai 2022 aux éditions Trédaniel.
387 pages, 24,90 euros.
■ Géraldine Magnan