Code rouge pour les sages-femmes

Le 26 janvier, un peu partout en France, des sages-femmes ont fait grève et interpellé les autorités pour alerter sur leurs conditions d’exercice. Çà et là, devant leurs ARS respectives, des petits rassemblements étaient organisés. Le début d’une plus forte mobilisation ?

Au plus fort de la mobilisation, une petite centaine de sages-femmes étaient réunies à proximité du ministère des Solidarités et de de la Santé dans l’après-midi de ce mardi 26 janvier, à Paris. De nombreuses autres étaient en grève et assignées dans leurs établissements. Elles étaient venues clamer leur colère et faire connaître leurs revendications. Une petite délégation des principaux représentants de la profession (ONSSF, UNSSF, Ufmict CGT et Anesf) a été reçue par trois membres du cabinet du ministre. « C’est l’étage politique qui nous a rencontré, celui qui décide, et pas l’étage techniquecelui qui applique les décisions, analyse Vincent Porteous, de l’Ufmict CGT. C’est une bonne nouvelle. Ils nous prennent au sérieux. »

ÉCOUTE ET ATTENTE

La rencontre a duré près de deux heures. La délégation a eu le temps d’exposer toutes ses revendications et s’est sentie écoutée. « De leur côté, il y avait une vraie connaissance des dossiers, poursuit Vincent Porteous. De notre côté, nous avons beaucoup insisté sur la rémunération, les effectifs et la formation. Sur ce dernier point, ils ont un peu botté en touche, nous renvoyant vers le ministère de l’Éducation nationale. Ils ont aussi évoqué « beaucoup de choses transversales », « des contraintes budgétaires ». J’ai senti qu’ils cherchaient à nous orienter vers de solutions d’attente. » 

Hausse des rémunérations pour toutes, y compris pour les libérales, augmentation des effectifs, formation, accompagnement physiologique, arrêt des fermetures des maternités, arrêt des fermetures de lits, revalorisation des compétences en PMI,… Tout ou presque a été balayé.

LA GIFLE DU SÉGUR

Dans le froid de la rue, les sages-femmes essayaient de rester positives malgré leur faible nombre et leur lassitude. Beaucoup de jeunes étaient présentes. « On veut que notre métier soit reconnu comme un vrai métier médical, demandent deux sages-femmes hospitalières parisiennes qui ont souhaité rester anonymes. Nous voulons ne plus être maltraitantes contre notre gré parce qu’on n’a pas le temps et qu’on n’est pas assez nombreuses. »

Deux autres jeunes de la maternité de Port-Royal, diplômées depuis un an et demi, étaient tristes : « C’est dur de se dire qu’après un temps d’exercice aussi court, on se sent déjà si fatiguées et usées. » Toutes mentionnent le Ségur de la Santé comme une gifle faite à leur profession.  

« Après le Ségur de la santé, je me suis vraiment demandé pourquoi je faisais ce métier, pourquoi j’avais autant de responsabilité pour une si faible reconnaissance, ajoute une des jeunes sages-femmes. Je le savais quand j’ai commencé mes études mais être oubliées à ce point, ça fait mal. Ce Ségur de la santé a été une grosse déception. Notre salaire a été revalorisé au même titre que celui des secrétaires médicales. Sans remettre en question leur rôle primordial au sein de l’hôpital, nous avons quand même des responsabilités qui nécessitent une revalorisation plus importante. J’adore mon métier, je ne voudrais pas faire autre chose, mais le mépris de notre profession et de notre implication auprès des femmes est difficile à vivre. »

MALTRAITANCE DES PATIENTES

Fait nouveau depuis quelques mois, plusieurs sages-femmes évoquent la maltraitance à laquelle les forceraient leurs conditions d’exercice. À titre personnel, elles sont plus rares à l’assumer complètement. « Je ne suis pas aussi bientraitante que je voudrais, nuance l’une d’entre elles. Quand on est pressée, en sous-effectif, y compris en suites de couches alors qu’on n’est pas en urgence, on peut être maltraitantes. On ne prend pas assez temps dans plein de choses, dans l’accompagnement de l’allaitement par exemple, dans un tas de petites choses qui, mises bout à bout, font que certaines femmes vivent mal leur accouchement. »

Dans le rassemblement parisien, les sages-femmes ayant requis l’anonymat étaient très nombreuses, ce qui témoigne du climat de défiance dans lequel elles évoluent.

CRISE DE LA PROFESSION

Un peu partout en France, en métropole mais aussi en Guyane, à La Réunion ou à Mayotte, les sages-femmes ont crié leur colère. À Évry, le matin même, elles étaient une trentaine devant l’ARS locale. « Nous avons été reçues gentiment à l’ARS avec 8 sages-femmes représentatives des maternités du secteur, raconte une sage-femme cadre d’un établissement privé d’Essonne.  Le délégué territorial et son assistant nous ont accordé une bonne heure. Ils connaissaient nos revendications. Nous avons pu exposer notre mal-être et nos difficultés quotidiennes. Nous avons parlé de nos difficultés de recrutement, qui sont très problématiques. Les sages-femmes en poste doivent faire des heures supplémentaires pour combler les plannings. C’est un problème très partagé en Ile de France. Le système ne pourra pas tenir éternellement comme ça en tirant sur la corde. La rémunération et les conditions de travail ne sont pas attractives et expliquent nos difficultés de recrutement. De mon côté, j’essaie de recruter en permanence depuis cet été et je n’ai eu aucune réponse ! J’ai seulement eu 2 contacts par d’autres biais mais les sages-femmes ne veulent plus travailler en salle d’accouchement. Elles acceptent seulement les suites de couches. Nous allons avoir un gros problème. Les sages-femmes partent en libéral, faire de l’échographie, partent en Suisse, se reconvertissent… Le problème n’est pas tant pour les sages-femmes que pour les femmes ! Nos revendications auront un impact rapide sur les usagères. » 

UN BLOC SOUDÉ ?

Même si la mobilisation sur le terrain a été quelque peu désorganisée, la colère est bien présente. Dans les rassemblements, les sages-femmes sont nombreuses à penser que cette journée n’est qu’un premier acte. « Ce n’est que le premier jour d’une forte mobilisation, annonce Anthony Bouvier, de l’ONSSF, sage-femme dans les Hauts-de-France, descendu à Paris pour l’occasion.  Une autre journée sera prévue en mars. L’ONSSF travaille dessus. On travaille aussi à d’autres formes de mobilisation, à mettre en place si le gouvernement ne comprend pas la manière douce. »

Les sages-femmes sauront-elles dépasser leurs divergences ? Tous les acteurs veulent le croire. Et il le faut. « Pendant notre rendez-vous au Ministère, j’ai senti que les membres du cabinet du Ministre craignaient notre mouvement, raconte Vincent Porteous. Mais j’ai aussi senti qu’ils cherchaient les failles dans notre bloc. On leur a assuré que nous resterons soudésDe ce côté, j’ai l’impression qu’il y a eu une prise de conscience des sages-femmes. » Le spectre des divisions de 2013-2014 sur le statut de la profession n’est pas loin. Les deux syndicats de sages-femmes, encore opposés sur ce point, affichent pour l’heure une volonté d’apaisement, craignant que les sages-femmes soient rangées dans les professions médicales intermédiaires, nouveau corps que le Gouvernement tente de créer dans le cadre de la proposition de loi Rist. Issue du Ségur, elle est censée améliorer le système de santé.

MOUVEMENT À VENIR

En attendant, un nouveau rendez-vous devrait être pris dans 15 jours avec le cabinet du Ministère de la santé. Les syndicats doivent quant à eux se retrouver bien plus tôt. D’ici là, ils invitent chacune à solliciter les élus, députés et sénateurs, ainsi que la presse, sans oublier… les collègues ! Les sages-femmes s’emparent aussi des réseaux sociaux. Le prochain acte aura-t-il lieu le 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes ?