Une confrontation brutale avec la mort L’analyse de huit études qualitatives a permis de faire émerger une métaphore globale résumant l’expérience vécue : « Être touchée par la mort tout en donnant naissance à la vie ». Trois grands thèmes ont été identifiés, à commencer par « Quand la mort rôde », qui relate le basculement soudain d’un moment de vie vers une lutte pour la survie. L’HPP est décrite comme une expérience sensorielle et psychique extrême : une peur aiguë de mourir, une douleur insoutenable et un sentiment de déconnexion du corps. Une femme témoigne : « J’avais perdu tellement de sang si rapidement que j’étais, en fait, en train de mourir et je pouvais me sentir mourir et m’éloigner en quelque sorte. » Certaines ont comparé la douleur à celle d’un acharnement physique : « Je me souviens que beaucoup de personnes se sont relayées pour me frapper l’estomac… J’essayais de les repousser. » Les gestes médicaux d’urgence – compression utérine, manœuvres manuelles – bien que nécessaires, sont vécus comme traumatiques et marquent durablement la mémoire corporelle. À cette souffrance s’ajoute la peur de laisser derrière soi un nouveau-né et un partenaire : « À la suite de ce que j’ai ressenti comme un frôlement de la mort, je suis plus anxieuse à l’idée de perdre mon partenaire ou mon bébé… » © istockphoto-1307751887 Une cicatrice émotionnelle durable Le second thème, « Vivre avec une cicatrice émotionnelle », décrit les répercussions post-traumatiques de l’HPP : fatigue persistante, difficultés à s’occuper du bébé, cauchemars, évitement d’une nouvelle grossesse. L’épreuve laisse un sentiment d’échec, de culpabilité et de solitude : « Je dois admettre que l’idée d’accoucher à nouveau me fait peur. J’ai presque l’impression d’avoir trompé la mort une fois et je ne veux pas tenter le sort. » Certaines femmes évoquent une forme de dissociation pendant l’hémorragie, avec un sentiment de vide ou d’absence. Pour d’autres, l’allaitement devient un…
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Comment expliquer que les violences augmentent pendant la grossesse ? Décryptage
Avez-vous déjà imaginé un homme asséner des coups dans le ventre rond de sa compagne ? Image perturbante, n’est-ce pas ? Elle ne colle pas avec celle que l’on se fait d’une grossesse. Pourtant, une femme sur dix déclare subir des violences pendant cette période (les chiffres varient entre 2 et 20 % selon les études internationales). Pour 40 % d’entre elles, ces violences débutent avec la grossesse. La réalité est encore plus complexe. « La grossesse n’est pas un déclencheur de la violence », assure Mathilde Delespine, sage-femme spécialisée dans la santé des femmes vulnérables et co-responsable des unités de soins à la maison des femmes Gisèle-Halimi de Rennes. La violence est déjà là avant, mais elle peut s’intensifier ou de nouvelles formes peuvent apparaître. « Par exemple, des violences physiques peuvent surgir pour la première fois lors de la grossesse, sur un terrain préparé en amont. Il y avait des violences psychologiques telles que de la dévalorisation, des attaques narcissiques, de l’isolement, etc. », -détaille-t-elle. Une domination perturbée, du point de vue de l’agresseur « L’agresseur peut ressentir une sorte de concurrence avec le bébé, explique Mathilde Delespine. Il a mis en place plusieurs processus de domination et l’arrivée du tiers peut être difficile à supporter parce qu’il n’est plus mis au premier rang. » Les personnes violentes présentent « beaucoup d’immaturité psychique avec une grande intolérance à la frustration », selon la sage-femme. Il arrive que leur partenaire, une fois enceinte, « ait envie d’être de nouveau plus en lien avec ses proches ou bien qu’elle se fixe de nouvelles limites ». Elle va peut-être se reposer davantage, réaliser moins de tâches, ce qui va perturber son agresseur et peut déclencher les violences. L’agresseur peut s’en prendre à ce qui représente l’arrivée prochaine du bébé, par exemple « avec des coups sur le ventre ou en s’attaquant à la matrice : il inflige...

Construire la confiance, pas à pas : quand la sage-femme devient point d’ancrage
Dans les parcours cabossés par la précarité, les violences ou l’exil, les sages-femmes sont souvent les premières à briser l’isolement. « On entre dans leur intimité, on voit dans quel état est leur logement, on mesure leurs difficultés », raconte Julie Chateauneuf, sage-femme à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, qui accompagne également des femmes migrantes ou en situation de précarité. Elle insiste sur l’importance du lien humain : « Avant de pouvoir parler de contraception ou d’allaitement, il faut déjà qu’elles aient mangé, qu’elles se sentent en sécurité ». Pour ces femmes qui vivent dans l’errance administrative, la peur du rejet ou le traumatisme d’un parcours migratoire, la sage-femme est parfois la seule figure professionnelle qui ne les juge pas. Certaines patientes n’ont jamais eu de suivi médical ou n’osent plus consulter. Julie Chateauneuf précise : « Il faut expliquer qu’on n’est pas là pour dénoncer, qu’on est tenues au secret professionnel. » Un engagement de terrain au plus près des femmes Dans ces contextes de grande précarité, certaines sages-femmes exercent au sein de structures associatives comme l’ADSF (Agir pour la santé des femmes), qui intervient auprès de femmes sans logement ni couverture sociale. Les consultations ont lieu dans des camions aménagés, des foyers ou même l’espace public. L’objectif dépasse le soin : repérer les souffrances silencieuses et offrir une présence humaine continue. Pour Morgane Revel, sage-femme coordinatrice du staff médicopsychosocial à la maternité Paris Saint-Joseph, la première consultation est décisive. « C’est souvent là qu’elles posent leur histoire. On leur demande si elles ont vécu des violences, si elles ont un logement. Elles se livrent plus qu’on ne le croit. » Ces instants de partage permettent parfois de poser les jalons d’un nouveau départ. Une -parole confiée devient un fil d’Ariane. « Lors d’un premier rendez-vous, une patiente a éclaté en sanglots quand je lui ai simplement demandé comment elle allait. C’était la...

Comment dépister et accompagner les femmes victimes de violences ?
Assise sur la table de consultation, la patiente a une brûlure dans le dos. « J’ai lâché ma bouilloire », assure-t-elle à sa sage-femme. Cette sage-femme, c’est Claire Laval, plus jeune de quelques années. Ne sachant que dire, que faire, elle n’ose poser plus de questions. Elle sent bien pourtant que ce n’est pas cohérent. Aujourd’hui, Claire Laval ne réagirait plus de la même manière. Elle est désormais directrice de la Maison de soie à Brive et a intégré le réseau périnatalité Nouvelle-Aquitaine (RPNA) où elle intervient dans le champ des violences faites aux femmes. Avec Sabine Borel, sage-femme à l’hôpital de Bayonne, elles forment, mettent des outils à disposition et font du lien pour que tous les professionnels apprennent à mieux comprendre, repérer et orienter les victimes, y compris les sages-femmes et notamment pendant la grossesse. Poser la question Sabine Borel rappelle les trois notions clés pour une telle prise en charge : savoir, savoir-être et savoir quoi en faire. « Savoir, c’est se former pour comprendre pourquoi et comment on en arrive là. Dépasser la question qui vient d’emblée : “pourquoi elle reste ?”Ou “elle est déjà partie une fois, alors pourquoielle revient ?” », explique-t-elle.Elle ajoute : « Savoir, c’est comprendre les mécanismes d’emprise et les stratégies mis en place par l’auteur. » Claire Laval rappelle par exemple que les femmes font en moyenne sept allers–retours avant de quitter définitivement leur domicile.« Le savoir-être, reprend Sabine Borel, c’est savoir adopter la bonne posture : on n’est pas là pour être le grand sauveur, ni pour stigmatiser. » Enfin, le savoir quoi en faire consiste à réagir en adéquation avec la situation : faut-il appeler la police ? Faut-il l’orienter vers des associations ? Tout commence par le dépistage. Les recommandations — à commencer par celles de la Haute Autorité de santé (HAS) qui existent depuis 2020 – préconisent de poser la question systématiquement. Des outils existent...