Accoucher à la maison n’est-il pas la solution la plus sûre, étant donné le risque de contagion dans les hôpitaux ? Les demandes augmentent-elles ? Les sages-femmes doivent-elles les accepter au débotté, sans bien connaître les couples ? Les équipes du Samu seront-elles disponibles en cas de besoin de transfert en urgence ? Comment accompagner un accouchement à domicile (AAD) alors que les aînés sont présents et confinés sur place ?
Dès le 16 mars, veille du confinement national, des sages-femmes pratiquant l’accouchement à domicile (AAD) s’interrogent sur un forum de discussion privé.
INQUIÉTUDES
Contactée le 19 mars, Stéphanie Quéval, installée en libéral à Lasalle, dans le Gard (30), et membre du conseil d’administration de l’Association professionnelle pour l’accouchement accompagné à domicile (Apaad), raconte : « Dès le confinement, j’ai reçu quelques appels de femmes enceintes craignant de se rendre à l’hôpital pour leur accouchement, prévu en avril. Elles redoutaient aussi que leur compagnon ne soit pas autorisé en salle de naissance. Je leur ai répondu qu’un tel choix ne pouvait s’improviser. Et j’ai souhaité en débattre avec d’autres sages-femmes pratiquant les accouchements à domicile. »
Floriane Stauffer-Obrecht, sage-femme en Meurthe-et-Moselle (54) et aussi membre du CA de l’Apaad, a de son côté reçu plus de dix demandes d’AAD en un seul jour au début du confinement. « De nombreuses femmes souhaitaient accoucher en présence de leur conjoint, note-t-elle, le 19 mars. Une femme m’a dit avoir été traitée d’égoïste en maternité, car elle souhaitait la présence de son compagnon. Pour d’autres, la balance bénéfice/risque penchait du côté de l’AAD pour éviter une infection nosocomiale à Sars-Cov-2. Enfin, certaines hésitaient de longue date pour un AAD et l’épidémie les a convaincues de franchir le cap. » Depuis, les demandes auraient diminué, car des maternités ont revu leur protocole, autorisant à nouveau les accompagnants en salle de naissance (lire ici).
Durant la première semaine de confinement, la majorité des sages-femmes décide de ne pas accepter les demandes tardives d’AAD. Les délais courts ne leur laissent pas le temps de bien connaître les couples ni de les préparer ou de les accompagner sereinement. Les professionnelles estiment aussi que la peur de l’hôpital n’est pas un motif suffisant et ne permet pas de garantir la sécurité de l’accouchement à la maison.
En région parisienne, autant concernée que le Grand-Est par une activité accrue des pompiers et du Samu, un groupe de sages-femmes invite les parents à réfléchir à leur choix, de façon éclairée. Sidonie Petit, installée à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis (93), nous a communiqué le document élaboré à leur attention.
Il rappelle les rares situations de transfert, l’organisation des secours en Île-de-France et la situation tendue du fait de l’épidémie. Le document expose aussi la nouvelle organisation du groupe de sages-femmes : deux d’entre elles seront présentes dès le début du travail et les transferts seront décidés « peut-être avec plus d’empressement que d’habitude ». « Nous pouvons aussi envisager de procéder systématiquement à une délivrance dirigée », ajoute le document. Ce mode de délivrance, recommandé pour réduire les hémorragies du post-partum, est d’ordinaire refusé par les parents souhaitant un AAD. À eux, donc, de décider.
DÉCOURAGER LES AAD
Rapidement, certaines instances s’en mêlent. Le 18 mars, l’Agence régionale de santé du Grand-Est communique une note (voir ci-dessous) décourageant les AAD dans la région, relayée par le réseau périnatal et l’Union régionale des professionnels de santé (URPS). Elle estime que « l’accouchement à domicile n’est pas organisé en France » et que les équipes du Samu sont déjà « très sollicitées ».
Floriane Stauffer-Obrecht fait ainsi face aux injonctions de son ARS, du réseau périnatal, du conseil départemental de l’Ordre de Meurthe-et-Moselle et de son URPS pour cesser totalement les AAD, sans discussion sur les alternatives ou solutions à mettre en place.
« Alors que je commençais, comme en Île-de-France, à informer les couples qui envisageaient un AAD de longue date, leur proposant de revenir vers l’option du plateau technique ou de signer un document d’information-consentement concernant la situation sanitaire et les difficultés potentielles de transport urgents, je me suis vue contrainte de téléphoner à tous les couples pour mettre un terme à leur projet. Ce fut très dur pour eux, certains menaçant d’accoucher seuls à domicile », témoigne la sage-femme. Une de ses collègues alsaciennes tombe aussi sous le coup de l’interdiction.
Le 25 mars, sur France Info, le Conseil national de l’Ordre dissuade également toute velléité d’AAD et indique sur son site que « l’accouchement à domicile n’est pas une alternative sécurisée dans les conditions actuelles et présente un risque majoré pour la parturiente, pour le nouveau-né et pour les professionnels ».
Le 30 mars, c’est au tour du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens français (Syngof) de mettre en garde les femmes. « En cas de problème, les Samu débordés pourraient ne pas arriver à temps et la réactivité des services d’urgence pour la prise en charge des hémorragies de la délivrance à domicile ne sera pas la même dans la crise sanitaire que nous vivons », dit son communiqué. Un texte repris tel quel, le 2 avril, sur Info-Châlon par Josiane Bérard, présidente de l’Ordre des sages-femmes de Saône-et-Loire (voir ci-dessous).
DISPARITÉS TERRITORIALES…
De leur côté, le 25 mars, l’Apaad et l’Association nationale des sages-femmes libérales (ANSFL) ont publié une note à l’intention des parents et des professionnels. Elles rappellent que « la sécurité de l’AAD est basée en grande partie sur le suivi global, la sélection anténatale rigoureuse des patientes, la connaissance fine des besoins émotionnels de chaque femme ». De ce fait, les sages-femmes ne peuvent répondre « de façon sécuritaire à toutes les demandes ».
La note insiste auprès des femmes : « Si vous trouviez que l’hôpital était l’endroit le plus sécuritaire pour accoucher avant l’épidémie, cela devrait toujours être le cas maintenant. » S’adressant aux sages-femmes, les deux associations invitent chacune à « s’informer sur la disponibilité des équipes de secours mobiles et sur le positionnement des autorités locales (…) pour prendre les décisions les plus appropriées quant au maintien ou non de son activité d’AAD programmée durant le pic épidémique ». Elles encouragent aussi les libérales à se mettre en lien avec les pompiers de leur secteur afin de pouvoir se déplacer avec eux pour des accouchements inopinés.
Aujourd’hui, tous les établissements et les régions ne connaissent pas les mêmes tensions que le Grand-Est ou l’Île-de-France, l’épidémie restant concentrée autour de premiers clusters importants. Des sages-femmes continuent d’accompagner les AAD prévus, ignorant le statut viral des patientes asymptomatiques, faute d’une politique de test systématique. L’Apaad conseille d’orienter les patientes paucisymptomatiques ou Covid+ en maternité pour accoucher.
… ET INTERNATIONALES
Pour orienter sa réflexion, l’Apaad a observé le positionnement d’autres pays. Au Royaume-Uni, le Royal College of Midwives (RCM) n’a pas contre-indiqué les AAD déjà prévus. Mais, courant mars, avec le Royal College of Obstetricians and Gynaecologists, le RCM estime que toutes les femmes symptomatiques ou suspectées doivent être transférées pour accoucher à l’hôpital, où le monitoring continu du rythme cardiaque fœtal de l’enfant et un contrôle régulier de la saturation maternelle peuvent être menés, pour anticiper le risque de complications sévères liées au Covid-19.
Le 30 mars, le National Health Service britannique a annoncé la suspension de tous les accouchements à domicile, du fait de tensions concernant les effectifs de sages-femmes en maternité. Car au Royaume-Uni, ce sont les sages-femmes hospitalières salariées qui assurent d’ordinaire cette offre.
La Fédération suisse des sages-femmes s’est positionnée le 7 mars, estimant que « les accouchements à domicile sont en principe toujours possibles, car c’est dans l’environnement familial que le risque d’infection par le Covid-19 est le plus bas ».
Au Québec, les AAD ont d’abord été suspendus et les femmes invitées à se rendre en maison de naissance ou à l’hôpital, dès le 17 mars. Le 24 mars, le service d’accouchement à domicile était de nouveau considéré comme une « solution adéquate », si les effectifs de sages-femmes sont suffisants et à certaines conditions. La femme et un seul accompagnant autorisé doivent être asymptomatiques et sans critère d’exposition au virus en début de travail. Ils doivent également n’avoir jamais été testés positifs et avoir respecté un « isolement volontaire pour une période minimale de quatorze jours avant la naissance ». Bien sûr, des mesures de désinfection supplémentaires doivent être prises à l’accouchement.
En Nouvelle-Zélande, l’accouchement à domicile est totalement intégré à l’offre de soins depuis les années 1990. Durant l’épidémie, les recommandations du Collège des sages-femmes ont évolué en fonction des différents stades de l’épidémie. Au 7 avril, elles préconisaient de ne pas modifier les AAD déjà planifiés et d’accepter un changement de lieu de naissance en faveur de l’AAD, pour les femmes à bas risque confinées n’ayant pas été en contact avec des personnes infectées par le virus. Pour les femmes positives ou cas-contact, l’accouchement à l’hôpital est recommandé.
De son côté, le 29 mars la Confédération internationale des sages-femmes a adopté une position nette. Elle considère que, « dans les pays où les systèmes de santé peuvent prendre en charge l’accouchement à domicile, les femmes en bonne santé, qui vivent une grossesse normale et avec le soutien de sages-femmes qualifiées bénéficiant d’un équipement d’urgence approprié, peuvent accoucher en toute sécurité à domicile (…) plutôt que dans un hôpital, où il peut y avoir de nombreux patients avec le Covid-19 ».
Ainsi, selon les organisations sanitaires nationales et le degré d’intégration de l’AAD dans l’offre de soins, la place de cette pratique varie aujourd’hui d’un pays à l’autre. L’épidémie ne fait que le révéler un peu plus.