« La première priorité est de garder un contact régulier avec la femme quel que soit le motif de consultation. » Telle est la ligne directrice à retenir du guide publié le mercredi 6 mai au soir par le Collège national des sages-femmes de France (CNSF). Le Conseil national de l’Ordre (CNOSF) a aussi publié le sien, à visée plus hygiéniste, de même que des affiches d’information à destination des patientes.
Alors que les professionnelles de terrain souhaitent anticiper et organiser leurs plannings de rendez-vous en vue du 11 mai, les deux instances n’ont pas souhaité attendre l’intervention du Premier ministre du jeudi 7 mai, ni les recommandations de la Haute Autorité de santé sur les modalités du déconfinement, en discussion depuis quinze jours.
De son côté, l’Union nationale des syndicats de sages-femmes (UNSSF) estime que les libérales connaissent les préconisations de la Direction générale de la santé et de la HAS qui sont amenées à évoluer et en appelle à leur « libre arbitre » pour adapter leurs pratiques, dans le respect des règles sanitaires actualisées.
« Nous nous refusons à « édicter » des conduites à tenir ou des protocoles de travail, écrit le syndicat dans un communiqué du 7 mai. Nous savons que les sages-femmes sont capables d’adapter leur activité en fonction de ces recommandations, des conditions différentes selon les territoires, des besoins de leurs patientes et des conditions propres liées à leurs activités, spécificités et conditions de travail. » Il n’empêche, certaines sages-femmes pourraient être confortées ou inspirées par ces guides.
« Nous avons tenté d’émettre des préconisations adaptables par toutes les sages-femmes en attendant les textes de la HAS sur le sujet, qui ne seront pas prêts le 11 mai, témoigne Chloé Barasinski, sage-femme de recherche au CHU de Clermont-Ferrand et membre du comité scientifique du CNSF dédié à la crise du Covid-19. Nous ignorons encore si les modalités de reprise d’activité seront différentes selon les départements. Ces préconisations doivent être modulées en fonction des recommandations des autorités locales de santé, de l’organisation de chaque cabinet et de l’activité des sages-femmes, très hétérogènes. »
REPRISE DES ACTIVITÉS
Tous les professionnels de santé en ont conscience : « il ne s’agit pas d’un retour à la situation pré-épidémique », comme le note le guide de l’Ordre. Dans un communiqué en date du 4 mai, la cellule de crise des sages-femmes soulignait déjà que la reprise des consultations et séances reportées depuis le confinement ne pouvait s’envisager que progressivement. Au Collège national des gynécologues-obstétriciens, Olivier Picone estime que « les femmes enceintes doivent rester à l’abri ». Si les sages-femmes sont appelées à reprendre l’ensemble de leurs activités cliniques, reste à savoir lesquelles privilégier en présentiel et lesquelles assurer en téléconsultation.
Le Collège estime que les consultations de fin de grossesse, le suivi des grossesses pathologiques, l’entretien prénatal précoce et la consultation post-natale restent à privilégier en présentiel. Le CNSF plaide aussi pour que tout premier contact avec une patiente, qu’il s’agisse d’un suivi gynécologique, de grossesse ou du post-partum, ait lieu en présentiel, afin d’être en mesure d’évaluer les vulnérabilités et les risques psycho-sociaux et de violence intrafamiliale des femmes. Ces facteurs doivent aussi « être évalués à chaque contact ».
Ces préoccupations avaient d’ailleurs conduit à la révision des réponses rapides de la HAS sur la continuité du suivi des femmes enceintes, mises-à-jour le 24 avril dernier. Le Collège insiste : « La première priorité est de garder un contact régulier avec la femme quel que soit le motif de consultation. »
L’Ordre déconseille d’assurer la préparation à la naissance de façon collective en présentiel. « Elle ne peut être envisagée que si et seulement si la distanciation sociale peut être observée strictement », écrit le CNOSF. De son côté, le Collège conseille de limiter le nombre de femmes en fonction de la taille de la pièce.
Dans ce contexte, la téléconsultation conservera une place importante, y compris pour la prise en charge de l’IVG médicamenteuse, possible désormais jusqu’à 9 SA, comme l’a autorisé un arrêté du 14 avril. Le remboursement des actes de télémédecine effectués par une sage-femme n’est pour l’instant acté que jusqu’au 11 mai. Ce vendredi 8 mai, le Conseil national de l’Ordre a confirmé que cette dérogation sera étendue jusqu’au 24 juillet, date jusqu’à laquelle l’état d’urgence sanitaire a été prolongé. Un arrêté devrait être adopté dans la prochains jours.
VIVRE AVEC LE SARS-COV2
Pour adapter les consultations et les rendez-vous, il reste nécessaire de dépister par téléphone les signes cliniques évocateurs du Covid-19, avant la venue de la patiente au cabinet. Les deux guides rappellent les principaux symptômes : une fièvre supérieure à 38°C, une gêne respiratoire ou une toux.
Parmi les autres signes décrits, le CNOSF liste les diarrhées ou vomissements, un essoufflement, une douleur pharyngée, une anosmie ou une agueusie, des douleurs thoraciques ou un état fébrile qui oscille entre hyperthermie et hypothermie. Le Collège y ajoute une fatigue inexpliquée, des myalgies ou des céphalées en dehors d’une pathologie migraineuse connue.
Face à ces symptômes ou en cas de patientes diagnostiquées Covid+, il est conseillé de reporter la consultation, de recourir à la téléconsultation ou à l’accueil en présentiel sur une plage horaire adaptée, mais aussi d’orienter la patiente vers son médecin traitant, le numéro national d’information sur le Covid-19 ou le 15.
OUVRIR LES CONSULTATIONS AUX ACCOMPAGNANTS
Pour le Collège, le déconfinement implique d’assouplir, comme en maternité, les conditions d’accès du deuxième parent ou d’un accompagnement au cabinet. Le CNSF recommande « que la femme puisse être accompagnée par la personne de son choix », dans la mesure ou le duo respecte les mesures barrières et ne présente pas de signe clinique. Le port du masque est recommandé durant toute la durée de la consultation, pour la patiente et son accompagnant, qu’il s’agisse d’un masque personnel en tissu ou d’un masque fourni par la sage-femme.
La période qui s’ouvre est donc plus souple, mais toujours assortie des précautions d’hygiène et de protection en vigueur depuis le début du confinement, comme la désinfection après chaque passage de patiente. Le guide de l’Ordre se veut très précis, détaillant jusqu’au type de tissu nettoyant et de virucide à employer. Concernant l’organisation du cabinet, l’Ordre recommande d’espacer les chaises dans la salle d’attente pour respecter la distance physique d’un mètre entre les patientes, et de disposer un mobilier facilement nettoyable. Il déconseille aussi les règlements en espèces et préconise les transmissions numériques pour les prescriptions ou comptes rendus.
DES ACTES PLUS À RISQUE QUE D’AUTRES
Les deux guides reviennent sur les équipements de protection personnels à adopter. Le CNSF retient plusieurs actes à risques de contamination : en cas d’échographie, de pose ou de retrait d’implant contraceptif, de préparation collective à la naissance, du suivi du travail et de l’accouchement, de visite du post-partum immédiat, de suivi d’allaitement et de rééducation périnéale. « Nous avons estimé que les situations où la sage-femme doit être proche de la patiente durant un long moment, notamment de son visage, sont à risque, explique Chloé Barasinski. De plus, dans les situations où un travail respiratoire est demandé à la patiente, comme à l’accouchement ou lors de la rééducation périnéale, des projections sont possibles. » Dans ces situations, le CNSF recommande le port d’une charlotte (qui peut être en tissu), de lunettes de protection, d’un masque chirurgical et d’une surblouse jetable ou lavable.
Pour la première fois de la part de telles instances, le port d’un masque de type FFP2 est recommandé dans certaines situations. Pour l’Ordre, « le port d’un masque FFP2, d’une surblouse, de gants, d’une charlotte, de surchaussures, de sur-lunettes et/ou d’une visière est recommandée en cas de prise en charge de patientes Covid+ ». Pour le CNSF, cet équipement complet de protection est à porter en cas de patientes suspectes également. Pour les deux instances, la stratégie du double masque chirurgical, pour le soignant et le patient, serait donc insuffisante dans ces cas de figure.
« Pourquoi est-ce que les médecins généralistes ont accès aux FFP2 alors qu’ils n’effectuent pas de soins respiratoires à risque d’aérosolisation ? C’est bien que les FFP2 ont une utilité en ville, estime Chloé Barasinski. Face au virus, la principale barrière reste la distanciation physique. Le masque chirurgical est protecteur, mais pas autant que le FFP2 lors de soins rapprochés. Lorsque les sages-femmes ne disposent pas d’équipement de protection adéquat, il est possible de décaler les soins de 15 jours, s’ils ne sont pas urgents. »
Pour l’instant, l’État ne prévoit toujours aucune dotation en FFP2 pour les sages-femmes, ni de dotation qui permettrait d’équiper les patientes de masques chirurgicaux. La dotation est de 24 masques chirurgicaux par semaine aujourd’hui et l’Ordre dit poursuivre son action pour l’obtention de FFP2. « Selon les régions, des sages-femmes connaissent toujours des difficultés à s’approvisionner en masque chirurgicaux, alors que la grande distribution a annoncé en vendre, et les blouses jetables manquent partout », note Isabelle Fournier, présidente de l’Association des sages-femmes libérales. Le système D risque donc de perdurer.
ENCORE DES INCONNUES
Les deux guides ne mentionnent aucune extension du champ de compétences des sages-femmes, à titre dérogatoire, en raison de la crise. Et pour cause : la prescription de tests de dépistage du Covid-19 aux femmes enceintes et à leur entourage ou la vaccination des nourrissons ne sont pas actés, malgré la demande du CNOSF du 28 avril. Les sages-femmes libérales ne devraient pas non plus être impliquées dans le repérage des patients et de leurs contacts, dévolu aux médecins.
Si la sécurité et la continuité des soins sont au cœur des préoccupations, l’enjeu de la période qui arrive est aussi celui d’une reprise de l’activité des sages-femmes libérales, fragilisées économiquement par la crise.