Quel est l’objectif de votre site internet Grossesse imprévue ?
Je veux rendre le choix de l’issue de la grossesse à la personne enceinte elle-même. Il s’agit de fournir toutes les informations les plus fiables et les plus accessibles possibles à la personne directement concernée, autant sur l’IVG que sur le début d’une parentalité ou la remise du bébé à l’adoption, tout en étant la plus neutre et non jugeante possible. Chaque option peut être envisagée. On parle souvent de « grossesse non désirée », mais une grossesse peut être imprévue et acceptée, ou pas. Elle peut aussi être investie et appréciée. Lorsqu’on se découvre enceinte alors qu’on ne s’y attendait pas, toutes les possibilités sont ouvertes. Je n’ai pas voulu reprendre le terme « non désirée » pour ne pas orienter le choix des personnes. Le terme « imprévue » est plus neutre. Il décrit simplement un fait.
Je souhaite aussi m’adresser aux personnes dont des circonstances particulières peuvent entourer la grossesse, comme le handicap, le fait d’être mineure, le fait d’avoir vécu un déni de grossesse, le fait d’être dans un contexte de violence, etc. Ces circonstances peuvent rendre la prise en charge de la grossesse plus spécifique et les ressources un peu plus conventionnelles y pensent rarement. Il existe déjà des ressources, mais elles ne sont pas si connues. Le site Grossesse imprévue donne accès à beaucoup de ressources externes sur chaque sujet évoqué. Il s’agit d’aiguiller vers des professionnels qui ont des compétences dédiées, pour chaque choix, y compris avec un handicap, après un déni de grossesse, etc. Je souhaite vraiment qu’on rende leurs droits reproductifs aux personnes enceintes, quelles qu’elles soient, dans quelques circonstances qu’elles soient. Mon but est que l’accès à la santé, dans ce qu’il a de plus basique, devienne une norme et non pas une bataille.
Comment ce projet est-il né ?
Le site est né en 2020, après un long travail de préparation. Sa genèse vient de mon expérience de maman handicapée, une spécificité qui a grandement influencé la prise en charge de mes grossesses, et notamment le choix qu’on m’a laissé de vivre ces grossesses. Quand, toute jeune adulte, j’ai vécu ma première grossesse, on m’a automatiquement dirigée vers une IVG du fait de mon handicap. Ce n’était pas mon souhait, mais on m’a clairement signifié qu’on ne m’accompagnerait pas sur un autre projet. Ce discours émanait des militantes du Planning familial comme de personnes de centres de planification hors Planning familial, de médecins généralistes ou gynécologues. Je suis passée par plusieurs interlocuteurs et professionnels de santé, qui m’ont tous fait ce même retour. Cela m’a conduite à une IVG que je ne souhaitais pas et qui m’a été imposée par ce non-accompagnement. Cette expérience a eu lieu en 2005, en Île-de-France, donc dans un milieu où de nombreuses ressources étaient disponibles. Depuis cette date, j’ai vécu d’autres grossesses, la dernière datant de l’année 2017-2018. Les discours n’ont pas beaucoup évolué. De nombreux interlocuteurs m’ont même demandé comment j’avais fait pour avoir une grossesse ! C’est la première question qu’on me pose et ensuite, du fait de mon handicap, on me dit que je suis forcément là pour une IVG ! Cela a été le discours de tous mes interlocuteurs. Les ressources que j’ai pu trouver venaient surtout des associations anti-IVG, qui exercent une vraie mainmise sur les ressources en ligne. Et cela me fait très mal au cœur de dire que ces gens-là, avec leur idéologie mortifère, proposaient les outils qui m’étaient nécessaires. Sur la grossesse qui a donné naissance à mon aînée, je me suis retrouvée à devoir passer par le site ivg.net, qui provient d’une association anti-IVG, pour trouver du soutien et de l’aide afin de poursuivre ma grossesse. Heureusement que j’étais lucide et capable de discernement, sans être en panique, parce que j’ai effectivement eu droit à pas mal de manipulations, quitte à mettre ma vie en danger. J’étais notamment sous traitement morphinique pour des douleurs chroniques. Les interlocuteurs de ce site me conseillaient de faire un sevrage brutal ou de continuer mon traitement sans le dire à personne. Heureusement que j’avais le recul nécessaire pour éviter leurs pièges, car c’est une mise en danger considérable de la vie des personnes ! Pour ma dernière grossesse, débutée en 2017, j’ai dû insister lourdement auprès de la maternité de niveau 3 du CHU le plus proche, en leur rappelant que je connais mon handicap et mes limites. Cela n’a pas été entendu et a dégénéré dans des inquiétudes assez disproportionnées chez les soignants. J’ai tout de même réussi à mener ma grossesse et mon accouchement et tout allait bien. Mon handicap a décompensé et j’avais des besoins, sur le portage notamment. Mais plutôt que de m’aider par rapport à mes besoins, les soignants ont tout de suite envisagé que je n’allais pas être capable de m’occuper de mon bébé et qu’il faudrait faire un signalement. J’ai dû batailler à chaque instant. Tout ce parcours est à l’origine du site Grossesse imprévue, mais il n’est pas centré sur le handicap. Une autre réflexion en est à l’origine. Je me suis rendu compte que toutes les ressources étaient soit tournées vers la grossesse en vue de devenir parent, soit vers l’IVG. Mais les deux ne sont jamais présentés de manière neutre dans le même espace. La troisième possibilité, qui est de confier l’enfant en vue d’une adoption, est encore moins évoquée. Je n’ai jamais trouvé de ressource qui propose ces trois possibilités sans en mettre une en avant particulièrement, sans guider la personne dans un choix. Le Planning familial se concentre énormément sur le droit à l’IVG, ce qui est normal vu comment il est menacé, mais les différents soutiens à la parentalité qui sont offerts par ailleurs ne sont pas mis en avant sur leur site. Le Planning propose pourtant plusieurs solutions, c’est dommage. Sur d’autres sites, de type magicmaman, on met beaucoup en avant la poursuite de la grossesse en vue d’une parentalité. À ce jour, je n’ai trouvé aucune ressource en ligne et facilement accessible sur la remise d’un bébé à l’adoption, ce qui peut pourtant être un choix qui pourrait être fait dès le début d’une grossesse. J’ai dû chercher pendant des heures pour trouver des textes de loi un peu vulgarisés et un service d’accompagnement dédié, que je n’ai trouvé que sur Paris. Or, pour certaines personnes, c’est la bonne solution.
Quels développements futurs envisagez-vous ?
Depuis cette année, nous avons créé une association autour du site, qui s’appelle également Grossesse imprévue. Actuellement, nous sommes sept personnes au bureau. Nous avons même une personne en Suisse. Les autres membres sont dispersés sur toute la France. L’une m’a contactée via le site Grossesse imprévue. J’ai rencontré plusieurs personnes via les réseaux sociaux. Nous voyions que nous avions des intérêts en commun. Nous aimerions aussi recruter des professionnels de santé qui s’engagent à nos côtés. L’objectif de l’association est le même que celui du site. Il s’agit de soutenir les personnes enceintes, de leur fournir un accompagnement et un soutien dans leur démarche vers un choix éclairé. Nous voulons aussi fournir des ressources pour les aider à faire appliquer leur choix une fois celui-ci fait. Nous avons une présence sur les réseaux sociaux. Nous réfléchissons à nous impliquer à travers des actions d’éducation à la vie affective et sexuelle. Nous souhaitons également nous impliquer auprès des centres Intimagir, qui commencent à se déployer sur le territoire national, dans chaque région. Ces centres sont destinés à accompagner la vie intime et sexuelle ainsi que la parentalité ou l’IVG des personnes en situation de handicap. Ils déploient par exemple la démarche Handigynéco dans les institutions sociales. Actuellement, je participe par exemple au copilotage du Centre Ressources Bretagne. Nous envisageons aussi la création de supports physiques. Il existe déjà un premier livret, avec un texte formalisé, en cours d’illustration.
Pour la réalisation du site, comme je n’avais absolument aucune connaissance, j’ai appris sur le tas, grâce à des gens bienveillants qui m’ont accompagnée brique par brique. Il en va de même pour le podcast. Il ne compte aujourd’hui que trois épisodes. J’espère pouvoir le reprendre prochainement, mais, avec mes soucis de santé, c’est compliqué. Mes deux priorités restent ma santé et ma famille. Je suis militante, mais je ne suis pas magicienne !
Savez-vous qui fréquente votre site ?
Je n’ai pas beaucoup de données chiffrées, mais j’ai des retours directs par messages. Des professionnels de santé, sages-femmes, médecins généralistes, gynécologues, se sont emparés du site comme un outil à proposer à leurs patientes. Des centres de planification ont aussi été intéressés. J’ai aussi eu plusieurs retours de personnes directement concernées me disant que le site les avait vraiment aidées. L’une d’entre elles, que j’ai reçue il y a quelques mois, m’a touchée particulièrement. La personne m’expliquait : « Aux débuts de votre site, j’étais enceinte et je vivais à la rue. Je devais me mobiliser pour une IVG et ne savais pas comment faire. Votre site m’a aidée. Et aujourd’hui, j’ai un enfant qui vient de naître. J’ai pu trouver les infos pour poursuivre ma grossesse également grâce à vous. » Me dire que cette personne a effectué deux choix différents au cours de sa vie et que mon site l’a aidée chaque fois à faire son choix et à parvenir à le mettre en application est une récompense intense.
■ Propos recueillis par Géraldine Magnan
Pour en savoir plus : grossesseimprevue.fr