Grand prix Evian 2023 : L’originalité distinguée

Le Grand Prix Evian des écoles de sages-femmes, organisé par le groupe Danone-Evian, s’est tenu sur le campus de Paris-Saclay le 16 novembre. Parmi les six lauréates sélectionnées, le jury a décerné ses prix à des thématiques originales.

Les six lauréates du Grand Prix Evian 2023 des sages-femmes.

Dédié à la recherche et à l’innovation, le centre In’Cube du groupe Danone, inauguré en 2022 à Gif-sur-Yvette, était le lieu parfait pour acceuillir le Grand Prix Evian des sages-femmes en 2023. Les six lauréates sélectionnées ont présenté à l’oral le fruit de leur travail de mémoire de fin d’études devant un jury bienveillant. Habituées à l’exercice, Marjan Nadjafizadeh, directrice de l’école de sages-femmes de Nancy, Anne Chantry, professeure des universités et enseignante à l’école Baudelocque à Paris, Céline Puill, sage-femme libérale au Havre et membre de l’Association nationale des sages-femmes libérales (ANSFL), se sont une nouvelle fois prêtées au jeu de siéger au jury. À leurs côtés, Céline Mahieu, sage-femme enseignante à Rouen et Emma Coutadeur, sage-femme à l’hôpital Foch, en ont aussi fait l’expérience.

Les six lauréates du Grand Prix Evian 2023 des sages-femmes. © D.R.

Alors que chaque année, un thème lié à l’alimentation du nourrisson est choisi parmi la cinquantaine de travaux adressés au jury, le travail de Marion Raffin, diplômée de l’école de Poitiers, sur l’allaitement maternel et la complémentation en préparation pour nourrissons, a été retenu en 2023. Partant du constat que l’introduction de compléments en préparation pour nourrissons lors d’un allaitement maternel exclusif a doublé en 4 ans au sein de la maternité de Colmar, pourtant labélisée « Initiative Hôpital Ami des bébés », Marion Raffin a réalisé une étude cas-témoin de 290 nouveau-nés en 2020 et 2021. Au total, les dossiers de 145 nouveau-nés complémentés ont été comparés à autant de dossiers de nouveau-nés allaités exclusivement par leur mère. Mais si les dossiers ont permis d’identifier les facteurs liés à une complémentation, il n’ont pas permis d’expliquer l’augmentation de ces complémentations. L’arrivée en 2020 de nouveaux personnels, qui n’ont pu être formés aux protocoles en raison de la crise du Covid-19, explique davantage les changements. En 2021, la reprise des formations et la dynamique d’équipe a permi de diminuer la complémentation des nourrissons. Au sein du jury, Céline Puill a interrogé le choix de Marion Raffin de s’intéresser aux dossiers des nourrissons : « Une méthodologie par entretiens qualitatifs aurait pu être adopée, car quand on constate un changement dans un service, c’est qu’il y a un soucis dans le service. » Pour sa part, Anne Chantry a apprécié le choix de cette recherche appliquée sur l’allaitement, « un sujet souvent délaissé par les étudiants », alors qu’il s’agit d’une « vraie question de santé publique dans un pays qui a les plus bas taux d’allaitement maternel ».

Diplômée de l’école de Bourg-en-Bresse, Camille Milou a pour sa part étudié « la sensibilité et la spécificité de la hauteur utérine, dans le dépistage des anomalies de croissance, par rapport à l’échographie et au poids de naissance ». Elle a présenté les résultats de son étude de cohorte rétrospective et analytique de 703 dossiers, excluant les femmes présentant un indice de masse corporelle à 30 kg/m² ou ayant pris plus de 20 kg pendant la grossesse ainsi que les anomalies de liquide amniotique. La sensibilité et la spécificité de la mesure de la hauteur utérine (HU) ont été calculées au huitième mois et comparées à celles de l’estimation de poids fœtal (EPF) calculé lors de l’échographie au huitième mois. Dans son étude, la mesure de la HU permettait d’identifier davantage les hypotrophes alors que l’échographie présentait de meilleures performances pour le dépistage des macrosomes, mais avec un plus grand taux de faux positifs. Le jury a apprécié ce sujet appartenant à la clinique des sages-femmes, soulignant combien les dépistages par échographie des petits poids de naissance demeuraient imparfaits. « On sait que la mesure de la hauteur utérine est praticien dépendant, mais il serait dommage d’abandonner cette pratique », a estimé Marjan Nadjafizadeh. Céline Puill en a profité pour rappeller un travail de -l’ANSFL mis à disposition de toutes, détaillant la mesure de la HU.

De son côté, Lina Benarama, issue de l’école de Suresnes, a présenté une revue de la littérature consacrée à « l’exposition prénatale de la femme enceinte et du fœtus à la musique ». L’objectif était de documenter les bienfaits de l’exposition à la musique. Elle a retenu 17 études publiées entre 2000 et 2022, en anglais ou en français, et en a mesuré la qualité. « Plusieurs facteurs semblent pouvoir moduler les réponses maternelle, fœtale et néonatale à la musique pendant la grossesse : la durée de l’exposition, l’âge gestationnel au moment de l’exposition, le rythme de la musique ou encore la prise en compte des préférences musicales des participantes », note la sage-femme. Elle mentionne un mécanisme direct, induit par la perception auditive de la musique par le fœtus, et aussi un mécanisme indirect, lié aux effets de la musique sur la femme enceinte, invitant à des recherches plus rigoureuses sur le plan méthodologique pour pouvoir intégrer la musique dans la promotion de la santé périnatale. Le jury a souligné la qualité de la lecture critique d’article de Lina Benarama, tout en soulignant les difficultés méthodologiques pour étudier la question de l’exposition prénatale à la musique.

SUJETS CONTEMPORAINS

Issue de l’école de Lille, Lise Waerenburgh s’est attaquée au délicat sujet du « regret maternel », étudié pour la première fois par la sociologie Orna Donath en 2015. La sage-femme s’est concentrée sur l’étude bibliographique des discours diffusés à ce sujet dans la presse écrite française à travers la méthode d’analyse de contenu Morin-Chartier. Elle a sélectionné 37 articles publiés entre 2015 et aujourd’hui pour les fractionner en unités d’informations, examinées selon une grille d’analyse adaptée au sujet. « Le regret maternel est exprimé par les femmes qui regrettent leur rôle de mère. Le mot “ rôle ” est crucial, car le “ regret ” est centré sur la dimension sociale du rôle maternel et non sur l’amour que porte une mère à son enfant », souligne la sage-femme. Une nouvelle question féministe serait ainsi posée : « Le choix de devenir mère, guidé par les injonctions sociales à la maternité, peut-il être pris de manière consciente et éclairée ? » Le jury a en tout cas salué le choix de ce sujet féministe contemporain.

Mais c’est un autre sujet d’actualité auquel le Prix du jury a été attribué : celui de l’association entre le vécu de l’accouchement et l’analgésie péridurale, étudié par Céline Cherion, de l’école de Grenoble. La sage-femme a mené une étude transversale dans 25 maternités, questionnant le vécu et la satisfaction de 164 femmes, dont la moitié a accouché sans analgésie péridurale et l’autre avec. « Dans le groupe ayant bénéficié d’une analgésie péridurale, 93 % des femmes étaient satisfaites, contre 88 % dans le groupe sans analgésie péridurale, une différence qui n’était pas statistiquement significative, relève Céline Cherion. La prise en compte de la douleur était jugée moins satisfaisante pour les femmes sans analgésie péridurale, avec 12,5 % des femmes insatisfaites, contre 2,4 % chez celles ayant reçu une analgésie péridurale. » Les autres dimensions évaluées ne présentaient pas de différences significatives entre les groupes. Le jury a salué la méthodologie de ce travail et ses conclusions, estimant que la prise en compte de la douleur demeure un enjeu pour les femmes sans analgésie péridurale. Pour Céline Cherion, une étude similaire serait pertinente en maison de naissance, où l’expertise de l’accompagnement des accouchements sans analgésie péridurale est importante. « La formation continue et une meilleure qualité de vie au travail pour les sages-femmes sont d’autres pistes pour améliorer le soutien des femmes durant le travail et l’accouchement », souligne la sage-femme.

Enfin, le Prix scientifique a été décerné à Camille Chaillou-Michel, une ex-enseignante de littérature passée par l’école de sages-femmes de Lyon. Le jury a couvert d’éloges son étude intitulée « Réalisme et symbolique des scènes d’accouchement dans les Rougon-Macquart de Zola ». L’autrice a souhaité vérifier si les quatre scènes d’accouchement retrouvées dans les romans L’Assommoir, Pot-bouille, La Joie de vivre et La Terre étaient fidèles à la réalité de l’époque. Pour cela, elle a procédé à une analyse des textes et à l’étude des carnets de note de Zola et des travaux des historiens de la périnatalité. Elle démontre ainsi que « Zola décrit avec réalisme la douleur ressentie, les différentes étapes d’un accouchement physiologique, les positions pour accoucher, ainsi que des situations pathologiques telles que la présentation de l’épaule » et « dépeint la place du père, le rôle de la sage-femme, du médecin et de la matrone » au XIXe. Passionné par les corps, désirant provoquer la société, Zola trouve dans l’accouchement un sujet idéal. Mais il eu a cependant plus de difficultés à décrire les pensées des parturientes. Pour Camille Chaillou-Michel, ce ne sont en réalité que les récits à la première personne, apparus récemment, qui dénotent d’une « prise de conscience sur les apports de la narration de l’accouchement pour en faire une expérience partageable ». Au sein du jury, Céline Puill a salué un travail « dense et mature », Marjan Nadjafizadeh a évoqué un mémoire « fabuleux ». De son côté, Anne Chantry a délivré le compliment le plus encourageant : « On a besoin de gens comme vous, votre regard est vraiment précieux, vous devez publier. » Cela ne devrait pas tarder.

Nour Richard-Guerroudj