Isabelle Rauszer, sage-femme combative

Mon parcours illustre le combat continu pour l'autonomie et la reconnaissance des sages-femmes en France. Et aussi plus globalement pour rééquilibrer le rapport de domination soignant/soigné.

Pourquoi sage-femme ?

Je n’avais absolument pas ce que certains appellent « la vocation ». Après un baccalauréat scientifique, j’ai passé un Deug de mathématique/physique à l’université Paris 5 Jussieu sans connaître les débouchés dans ce domaine. C’est alors qu’une amie, étudiante en médecine, m’a parlé du métier de sage-femme et a même fait pour moi l’inscription au concours. Ma mère, qui n’avait jamais vu une sage-femme pour toutes ses grossesses, avait répondu à mon questionnement en me disant : « Une sage-femme, ça s’occupe des bébés. » J’ai très vite découvert que « les bébés » ne représentaient qu’une partie du métier !
Mes études à l’hôpital Foch de Suresnes entre 1975 et 1978 sont restées dans mon souvenir comme trois ans de galère. L’encadrement policier, avec appel tous les matins, cahier d’absences et de retards, heures de colle, tenue avec port du voile (oui, le port du voile !), a été très difficile à supporter d’autant que j’avais connu le régime étudiant post-1968 de la faculté. Les sages-femmes en place, que je considérais plutôt comme des « matrones », étaient soumises à la toute-puissance du système médical qu’elles-mêmes imposaient aux patientes.
Malgré un enseignement de grande qualité, la soumission à l’institution imposant des études infantilisantes m’a très vite ôté l’idée de continuer dans cette branche. Répéter
toute ma vie « Poussez Madame, poussez ! » ne m’enthousiasmait pas.
Mes réticences dans l’exercice de ce métier ont changé lorsque j’ai commencé à travailler à la Pitié-Salpêtrière en tant que remplaçante d’été en juillet 1978. L’accueil chaleureux au sein d’une équipe soudée m’a aidée à m’intégrer et à apprécier mon métier sous un angle différent. Et voilà que le fameux « bébé » de ma maman surgit à nouveau. Je découvre que le métier ne se résume pas à l’accouchement, il s’agit d’accompagner la naissance dans toutes ses dimensions.
Le professeur Darbois, chef de service, avait de la considération pour les sages-femmes auprès desquelles il avait appris l’obstétrique lorsqu’il était interne. Il n’hésitait pas à le rappeler aux internes et chefs de clinique si nécessaire. Il n’hésitait pas à prendre aussi notre défense face à l’administration quand il s’agissait d’améliorer la qualité dans le service qu’il dirigeait. Je l’ai entendu menacer de fermer la maternité si nous n’obtenions pas les remplaçantes nécessaires durant la période d’été.

La relation soignant-soigné

La maternité de la Pitié a été la première maternité à pratiquer l’anesthésie péridurale pour l’accouchement. Durant mes études à Foch, pas même le mot « péridurale » n’avait été prononcé, seul « l’accouchement sans douleur » (ASD) nous était enseigné. Dans les années 50, la méthode Lamaze a été une véritable révolution dans la prise en charge de la douleur ressentie par les femmes. Cette méthode importée d’URSS (période de la Guerre froide) ne s’est pas imposée d’un coup. Ce qui s’y jouait aussi, c’était la transformation des relations humaines au sein des équipes et de la relation soignant-soigné. À la fin des années 1970, l’ASD est devenue la PPO (psychoprophylaxie obstétricale) avec une prise en charge financière pour les établissements qui la pratiquaient.
Cependant, souvent mal enseignée, cette méthode a montré ses limites dans la prise en charge de la douleur. La péridurale a été présentée alors comme une méthode bien plus efficace. À la maternité de la Pitié, cette méthode ne s’opposait pas à la PPO. Première maternité à enseigner la péridurale en cours de travail, les anesthésistes faisaient la ponction pour mettre en place le cathéter et ce sont les sages-femmes qui injectaient les doses en fonction de la dilatation. Nous bénéficiions d’une grande autonomie dans l’exercice de notre métier.