« Les supports pédagogiques en santé sexuelle et reproductive sont souvent trop simplifiés et stéréotypés et les livres de dissection ne sont pas beaux et comportent trop d’informations. » Lou Poll, jeune sage-femme de 33 ans, diplômé en 2013, fait ce constat dès ses études. Il mûrit l’idée de rénover les outils pédagogiques au fil de son expérience en libéral à Toulouse. Il réalise combien les femmes méconnaissent leur corps et combien les outils à disposition ne permettent pas au plus grand nombre de s’identifier. L’accompagnement global et les suivis gynécologiques qu’il propose, de même que les ateliers d’éducation affective et sexuelle qu’il anime, notamment auprès de personnes ayant un handicap mental, lui permettent de construire sa philosophie.
ESTHÉTIQUE ET RÉALISTE
« Des femmes de tout milieu et tout âge ne font pas la différence entre l’utérus et le vagin ou se les représentent mal, explique Lou Poll. Bien des schémas montrent l’utérus comme un triangle vide dans lequel on imagine qu’un DIU peut se balader. Et combien de femmes savent pourquoi au début des règles les pertes sont plus foncées ? Pourtant, l’information médicale existe et nous sommes souvent sûrs d’avoir transmis des informations, mais il est difficile de se les approprier et de s’y retrouver. Par ailleurs, ayant suivi une formation sur la violence et le consentement, je me suis demandé comment les femmes peuvent consentir réellement à un examen si elles ne comprennent pas leur corps. Il n’existait pas non plus d’outils pour les personnes malvoyante ou malentendantes. » En 2017, sa rencontre avec Saturne, une des rares illustratrices formées en illustration médicale, fait office de déclic. Pendant trois ans, la sage-femme et l’illustratrice peaufinent leur projet. L’entreprise Korpo Real voit le jour officiellement en août 2020. Son nom est en esperanto, langue internationale symbole de paix et de bienveillance. Les premiers supports sont mis en vente en 2022.
L’esprit de Korpo Real est affirmé : proposer des outils esthétiques, respectant la fidélité
anatomique, la diversité des corps, des genres et orientations sexuelles et promouvant une approche positive et inclusive. Le défi est de taille, car, par essence, le dessin interroge le rapport aux normes et tend à figer les représentations. Il ne permet pas toujours d’illustrer les variations anatomiques qui existent d’une personne à l’autre. Malgré tout, le coffret présentant les différents moyens contraceptifs donne à voir une grande diversité de personnes, petites ou rondes, cis ou trans, de différentes origines. « Chaque planche peut nourrir plusieurs discours et avoir divers usages ou encore susciter davantage de questions des patientes », estime Lou Poll. Quant à la planche sur le cycle menstruel, elle représente une femme noire sans
morphologie galbée, mais avec un ventre et une poitrine réalistes. De plus, la planche montre l’évolution de la taille des ovaires au cours du cycle, indique la place des autres organes et le changement de pertes menstruelles au cours des règles. « Je voulais que les planches sur le cycle menstruel incluent des vues de face, mais aussi de profil et de trois quarts et soient plus fidèles à la réalité anatomique, avec les ovaires plus hauts que ce que l’on voit habituellement, explique Lou Poll. Les manuels d’anatomie n’indiquaient pas de référence d’angle ou d’épaisseur de l’utérus par exemple. Pour la planche sur la grossesse, seules l’imagerie et l’échographie médicales ont pu nous éclairer en détail sur l’évolution du muscle utérin. »
S’ADAPTER À TOUS
À ce jour, la marque décline plusieurs outils sous forme de poster, frise, chevalet, fiche, livret et puzzle magnétique. Conçus à la fois pour les professionnels de la santé et de la prévention, mais aussi pour le grand public, ils traitent de la contraception, du cycle menstruel, de la grossesse et de la dilatation du col à l’accouchement. D’autres thèmes sont en préparation : le clitoris, l’endométriose, l’accouchement, le dépistage du cancer du col. L’objectif est bien de couvrir l’ensemble des sujets de santé sexuelle et reproductive dans une démarche inclusive de promotion de la santé. Les outils sont conçus pour servir de décoration en cabinet ou comme support pédagogique ou d’animation d’atelier par exemple. Pour s’adresser au plus grand nombre, Korpo Real a aussi prévu des supports transcrits en vernis 3D et textes en braille, adaptés aux personnes aveugles et malvoyantes, prochainement disponibles. Pour les personnes sourdes, des vidéos en langue des signes sont en préparation.
Dans la même démarche, Korpo Real souhaite proposer des formations à destination des professionnels de santé sur l’approche « body-positive » et « l’agentivation » (traduction française d’empowerment). « Les formations body-positive auraient pour objet d’identifier les normes actuelles pour proposer un espace réellement bientraitant, quel que soit le public que nous accueillons, explique Lou Poll. Il s’agit de ne plus se contenter d’une posture “neutre”, ce qui veut malheureusement dire dans notre société mettre à l’écart les personnes “hors normes”. La Stratégie nationale de santé sexuelle recommande explicitement d’être proactif pour assurer la bientraitance. Nous partons souvent sans nous en rendre compte d’un présupposé hétérosexuel ou cisgenre par exemple, puis nous adaptons nos pratiques si l’on découvre que les personnes sont homosexuelles ou transgenres. Mais cela contribue à la violence involontaire envers les personnes concernées et à leur marginalisation dans les soins. Ou alors nos cabinets et nos outils sont construits pour l’accueil de personnes valides, que ce soit physiquement ou mentalement. Idem pour les personnes obèses : la plupart de nos outils et mobiliers ne sont pas adaptés, ce qui contribue au message implicite de “vous n’êtes pas conformes ni bienvenus” que les personnes reçoivent déjà à longueur de temps. En matière d’agentivation, construire une pratique qui permette aux patientes de se réapproprier les informations et la compréhension de leur corps ne s’invente pas sur le moment. Nous partons du postulat que le patriarcat et le paternalisme dans le soin ne sont plus acceptés et tendent à disparaître. Or beaucoup de nos attitudes, organisations, pensées, sont construites depuis ce modèle paternaliste et normatif du soin. Nos formations auront pour but de proposer des outils très concrets pour faciliter cette mise en adéquation. » La jeune entreprise a donc du pain sur la planche.
■ Nour Richard-Guerroudj