Après la crise du Covid-19 et la crise que connaît l’ensemble de la profession, comment vont les étudiantes en maïeutique ? Selon la deuxième enquête sur le bien-être des apprenties sages-femmes, initiée par l’Association nationale des étudiantes sages-femmes de France (Anesf) en 2023, les constats sont « tout aussi alarmants qu’en 2018 ». Dans son étude publiée le 3 avril, l’Anesf précise que « les différents résultats pour la plupart n’ont soit pas évolué soit empiré » et évoque « une crise sans précédent ». L’enquête, menée auprès de toutes les étudiantes sages-femmes de France du 23 janvier au 20 février inclus, par mail et sur les réseaux sociaux, a récolté –
2 241 réponses.
PRÉCARITÉ ET MALTRAITANCE
L’étude analyse la situation matérielle et financière des étudiantes de la filière. Un tiers considèrent ainsi que leur situation financière est mauvaise, voire très mauvaise, et neuf étudiantes sur dix se considèrent comme dépendantes ou particulièrement dépendantes financièrement. Par ailleurs, 87,5 % d’entre elles nécessitent une aide financière de leur famille ou d’un tiers. Elles sont aussi 29 % à déclarer avoir une activité rémunérée en période scolaire, dont près de 36 % considèrent cette activité comme étant nécessaire. Pour l’Anesf, le rythme des études ne permet pas de travailler en parallèle, contrairement à la population générale étudiante au sein de laquelle 40 % des jeunes ont un emploi alimentaire.
L’Anesf s’est aussi penchée sur le vécu de la formation. Huit étudiantes sur dix se sentent plus stressées depuis l’entrée en formation. Elles sont en outre 21 % à confier avoir déjà subi des traitements inégalitaires ou des discriminations. Une étudiante sur trois ne se sent pas ou peu accompagnée par l’équipe pédagogique. Pis, 61 % rapportent de la maltraitance en stage, essentiellement psychologique (72,2 %), mais aussi verbale (26,5 %), voire physique (1,2 %).
Dans ces conditions, les études ont un impact sur la santé des étudiantes. Ainsi, 86 % déclarent ne pas avoir de temps à consacrer à une activité physique et 60 % ne sont pas satisfaites de leur sommeil. Concernant l’accès aux soins, une étudiante sur deux renonce à se faire soigner, essentiellement par manque de temps. Enfin, 23 % des répondantes déclarent que le Covid-19 a détérioré leur santé mentale. « L’universitarisation de la formation étant incomplète sur le territoire, certaines écoles ne sont pas intégrées aux universités : les étudiantes n’ont donc pas accès aux services de santé universitaires, témoigne Loona Mourenas, porte-parole de l’Anesf. Par ailleurs, même dans les écoles intégrées administrativement à une université, l’implantation des locaux des écoles est éloignée des campus principaux, ce qui ne facilite pas l’accès aux services universitaires. »
ENTRE FIERTÉ ET DIFFICULTÉS
L’enquête a été réalisée tandis que 20 % de places vacantes ont été comptabilisées en deuxième année de sage-femme à la rentrée 2022 et en pleine crise d’attractivité de la profession. Ainsi, la moitié des sondées ont déjà envisagé de suspendre leurs études et un quart d’entre elles estiment qu’elles n’exerceront leur métier que pendant quinze ans après leur diplôme. Près de 29 % confient que la formation ne leur « permet pas de s’épanouir » et 23 % que la crise et les grèves de la profession ont dégradé leur vécu. Malgré celà, 95 % des étudiantes sont « fières » d’être dans la filière sage-femme. « Cela prouve une passion et un intérêt pour la profession qui ne s’essoufflent pas, mais qui sont mis à mal par les conditions de vie, de travail et d’études », estime l’Anesf.
Face à tous ces constats, l’Anesf rappelle plusieurs de ses revendications, comme la revalorisation des rémunérations ou encore la fin des frais complémentaires illégaux dans la formation.
Elle demande aussi de longue date la création d’un statut de maître de stage, pour que les sages-femmes encadrant des étudiantes soient formées et valorisées. « La loi Chapelier de 2023 prévoit la création de ce statut, mais uniquement pour les sages-femmes libérales et les étudiantes en quatrième année de maïeutique, témoigne Loona Mourenas. Nous espérons que nos demandes d’ouverture de ce statut aux encadrantes hospitalières, dès les stages concernant les étudiantes de deuxième année, seront entendues. »
Elle souligne aussi qu’il est « capital de proposer des accompagnements individuels et personnalisés. Les situations de discrimination et de maltraitance sont intolérables et doivent cesser avec des dispositifs de signalement. » Pourtant, en avril 2018, suite à la première enquête de l’Anesf et d’autres enquêtes auprès de différentes filières étudiantes, le rapport de Donata Mara avait émis plusieurs préconisations pour remédier au mal-être étudiant. Il proposait par exemple la mise en place de médiateurs, extérieurs aux lieux de formation, afin que la parole puisse circuler librement et de façon confidentielle. Il envisageait surtout des solutions d’aval, permettant de mieux accompagner les étudiantes en souffrance. La prévention reste donc le parent pauvre de la santé étudiante. De son côté, suite à l’enquête de 2018, l’Anesf avait mené des travaux avec les équipes enseignantes de plusieurs écoles de sages-femmes pour améliorer l’encadrement des stages. « Les mesures restent pérennes, assure Loona Mourenas, porte-parole de l’association. Mais il faudrait des dispositifs nationaux et lutter davantage contre durant les études. » L’Anesf rappelle l’existence de la plateforme Gelules (pour Guide en ligne unifiant les évaluations de stages), sur laquelle les étudiantes peuvent évaluer leur lieu de stage, de la qualité de l’accueil à celle de l’enseignement. L’Anesf propose aussi toujours une ligne téléphonique de défense des droits des étudiantes, sept jours sur sept. Par la voie de sa porte-parole, l’Anesf espère néanmoins que « le passage à la sixième année d’études soit un moment clé pour obtenir des changements ».
■ Nour Richard-Guerroudj
Infos utiles :
- Ligne de défense des droits de l’Anesf : Benjamin Lopez – 06 47 33 35 41 – affairessociales@anesf.com
- Plateforme Gelules : www.apeasem.org/gelules/