« On redécouvre d’anciennes méthodes de contraception masculine »

Sensibilisée pour la première fois par un patient reçu en consultation, Manon Lacroix, jeune médecin généraliste à Nantes, également militante féministe, a réalisé sa thèse de médecine sur la contraception masculine. Depuis, elle participe au groupe de travail du Collège de la médecine générale sur le sujet.

Quel est l’état des lieux de la contraception masculine en France ?

La contraception masculine est sous-développée. Cela s’explique par plusieurs facteurs historiques et sociétaux. On a mis plus d’argent dans le développement de la contraception féminine et il est plus facile de bloquer une ovulation que de bloquer la spermatogenèse. L’enjeu d’une grossesse est aussi plus important pour les femmes. En France, à partir du moment où la contraception a été légalisée, elle s’est médicalisée. Le mouvement a été très rapide. Il a fallu moins d’une décennie pour que la pilule supplante toutes les autres méthodes. Dans les années 1970 et 1980, il y a eu quelques études sur des méthodes innovantes de contraception masculine (hormonale, thermique), mais tout s’est arrêté dans les années 1980 avec l’épidémie de Sida. Le préservatif est devenu incontournable. En outre, le marché des pilules est devenu très rentable. Donc des intérêts économiques ont rejoint des intérêts de santé publique et le sujet a été abandonné. D’un point de vue social, les femmes étaient plutôt contentes d’utiliser des méthodes qui leur étaient propres, l’arsenal mis à leur disposition a augmenté et tout cela a totalement déresponsabilisé les hommes de cet enjeu. Aujourd’hui, dans de très nombreux couples, Monsieur connaît mal la méthode contraceptive utilisée. Ce statu quo est moins bien supporté par les femmes de la jeune génération. Il y a aussi un désamour des hormones. Le coup de projecteur est également porté davantage sur les hommes, que ce soit pour les soins aux enfants, le congé paternité, et le travail reproductif, dont fait partie la contraception. Cela se traduit par un regain d’intérêt pour la vasectomie, qui a beaucoup augmenté. Aujourd’hui, il y a plus de vasectomies que de ligatures des trompes. C’est totalement nouveau. D’après les données de l’Assurance Maladie, en 2021, il y a eu 23 000 vasectomies déclarées et remboursées, soit douze fois plus qu’en 2010. Cela reste faible et très en dessous de ce qu’il se passe dans les pays anglo-saxons. Mais le contexte y est totalement différent. Aux États-Unis et au Canada, la pilule est très chère. Cela coûte 30 à 40 dollars par mois, pas ou très peu pris en charge par des assurances très chères. Il y a donc un vrai intérêt économique pour les hommes de plus de 35 ans à accéder à la vasectomie. Autre grande différence de la contraception masculine : chez les hommes, il est possible de vérifier l’efficacité d’une méthode au niveau individuel, pour chacun d’entre eux, en réalisant des spermogrammes réguliers. 

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Quelles sont les méthodes ?

La Haute Autorité de santé mentionne le préservatif externe, le retrait et la vasectomie. Le préservatif reste incontournable dans la protection contre les IST. En termes de contraception, son manque d’efficacité s’explique par des capotes mal ajustées, qui craquent, qui glissent ou sont utilisées sans suffisamment de lubrifiant. En outre, il interfère dans le déroulé de l’acte sexuel. Il est remboursé depuis environ cinq ans et gratuit pour les moins de 26 ans dans toutes les pharmacies sur présentation de la carte Vitale. Il existe maintenant des préservatifs en polyuréthane, qui seraient mieux tolérés. Le retrait, ou coït interrompu, a une efficacité médiocre, mais cela est mal étudié. Les couples en parlent très peu, voire mentent à ce sujet. Donc on ne sait pas vraiment combien de couples utilisent cette méthode et son efficacité demeure mal connue. Le retrait étant gratuit et accessible à tous, l’industrie n’a aucun intérêt à commander des études à ce sujet. Comme la méthode a mauvaise presse, étant considérée inefficace, les autorités de santé n’ont pas non plus d’intérêt à en faire la promotion. Cela dit, la méthode reste plus efficace que de ne rien faire. On peut donc la proposer à des couples chez qui l’arrivée d’une grossesse ne serait pas dramatique, par exemple entre deux enfants, si le deuxième arrivait plus tôt, ce ne serait pas grave. Il en va de même pour les pratiques sexuelles non pénétratives, qui sont un autre moyen de contraception. Quant à la vasectomie, elle est très efficace, mais elle est définitive. Elle vise à empêcher l’arrivée des spermatozoïdes dans le sperme. Elle n’empêche ni l’érection ni l’éjaculation. Les spermatozoïdes ne comptant que pour 5 % du volume du sperme, cela ne change rien. Une intervention chirurgicale permettant de raccorder les canaux qui ont été coupés lors de la vasectomie est possible en théorie, mais elle est assez délicate. En France, très peu de chirurgiens sont capables de la faire. Plus la vasectomie est ancienne, plus l’intervention est difficile. En outre, au bout de plusieurs années, les testicules produisent moins de spermatozoïdes. Par contre, avant toute vasectomie,
on propose automatiquement une congélation de sperme pour une autoconservation des gamètes.

N’y a-t-il pas de méthode plus récente ? 

Aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose de nouveau sur le sujet, mais on redécouvre d’anciennes méthodes. La contraception hormonale consiste en des injections intramusculaires de testostérone chaque semaine. Par un système de rétrocontrôle négatif, cela va agir sur le système hypothalamo-­hypophysaire. Face à la forte dose de testostérone injectée, le cerveau ne va plus envoyer le signal pour en fabriquer, ce qui va bloquer la spermatogenèse. La méthode est très efficace après quelques mois. Elle a été approuvée par l’OMS en 1990. Elle présente cependant plus de contre-indications que la pilule : cholestérol, diabète, problèmes cardiovasculaires, etc. La dose utilisée est bien supérieure à celle que reçoivent les hommes transgenres. C’est pour cela qu’il y a beaucoup plus de contre-indications. La méthode présente aussi de nombreux effets secondaires : augmentation de la pilosité, de la libido, de l’irritabilité, de la masse musculaire. Les effets sont durables, même si un plateau survient après une phase d’adaptabilité. Cette hormone étant un stéroïde, il s’agit d’un produit dopant. Les sportifs ne peuvent y avoir recours. En outre, la méthode n’a été testée que sur 18 mois. On ne peut donc pas la prescrire au-delà. Sur un parcours contraceptif de vie, c’est peu. En France, seules quelques dizaines, voire centaines d’hommes y ont recours.
À Paris, à l’hôpital Cochin, Jean-Claude Soufir, pionnier de la méthode, la prescrit. Certains médecins des plannings familiaux ou exerçant en CPEF prescrivent également, mais ils sont moins d’une quinzaine dans le pays. Par ailleurs, même si la méthode est recommandée par l’OMS, il n’y a pas d’autorisation pour cette utilisation en France. Ce n’est donc pas remboursé. Cela coûte 10 euros par semaine, donc plus de 500 euros par an.

Quid de la contraception thermique ? 

Je préfère parler de contraception thermique par remontée testiculaire. C’est plus long, mais cela permet de se sortir de la tête l’idée d’un slip chauffant ou d’un quelconque système externe qui chauffe. C’est de la température du corps dont il s’agit. Le principe est de remonter les testicules plus haut que les bourses, à proximité de l’orifice des canaux inguinaux, dans l’aine. Cela va les chauffer à 37 °C. Or, on sait depuis le début du XXe siècle que cette chaleur arrête la production de spermatozoïdes. Il faut que les testicules soient portés à cette température une quinzaine d’heures par tranche de 24 heures. Cela doit intervenir sur la phase d’éveil. Car la journée, les testicules sont plus bas, donc plus froids. Quelques études récentes rapportent une très bonne efficacité. Mais cette méthode a surtout été étudiée dans les années 1980 par l’équipe toulousaine de Roger Mieusset qui utilisait une sorte de slip kangourou auquel ont été ajoutés des élastiques et un anneau central dans lequel on fait passer la verge et la peau du scrotum. Cela permet de faire remonter les testicules dans l’aine sans qu’on ait à les manipuler. Avec l’arrivée de l’épidémie de Sida, la méthode est tombée dans les limbes. Au début des années 2010, un collectif militant breton est tombé sur ces travaux. Ils ont confectionné des slips un peu plus simples, appelés Jock-strap, constitués des seuls élastiques et anneau central. On porte un sous-vêtement par-dessus. À la fin des années 2010, Maxime Labrit, infirmier bordelais, a breveté un anneau en silicone appelé Andro-switch. Cela a médiatisé la méthode, mais elle n’a aujourd’hui pas d’existence officielle. L’Andro-switch est sous le coup d’un arrêté sanitaire de l’Agence nationale de sécurité du médicament, car il n’a pas de marquage CE et n’a donc pas le droit d’être commercialisé. Une unité de production a été récemment montée et les premières études d’innocuité devraient prochainement commencer. Mais plusieurs personnes se fabriquent déjà des slips ou anneaux de ce type. Dans certains festivals, des collectifs d’hommes viennent avec leur machine à coudre ou leur moule à silicone. Il existe aussi des tutos sur YouTube. On estime aujourd’hui à quelques milliers le nombre de gars qui utilisent cette méthode en France. Ceux que j’ai interrogés dans le cadre de ma thèse en sont très satisfaits. Leur motivation principale vient souvent des souffrances de leur conjointe liées à la contraception. Mais ils rapportent que cette découverte les a beaucoup enrichis, d’un point de vue émotionnel, relationnel et personnel. Cela leur a appris des connaissances sur leur anatomie, leur sexualité, leur responsabilité dans le travail reproductif, les enjeux autour de leur possible paternité. Ils se considèrent comme des pionniers et militent beaucoup. Il s’agit d’une certaine catégorie de population : des hommes très en faveur de l’égalité femmes-hommes, progressistes, de catégories socioprofessionnelles supérieures, blancs. Aujourd’hui, cet usage est sociologiquement très circonscrit. Mais l’offre peut créer la demande et l’arrivée de la méthode auprès du grand public pourrait changer la donne. D’autant plus que le nombre de femmes qui souffrent de leur contraception est important. 

■ Propos recueillis par Géraldine Magnan