Quelles sont les chances que cette proposition de loi (PPL) soit discutée au Parlement ?
Deux possibilités existent. Soit nous parvenons à l’inscrire à l’agenda de la prochaine niche parlementaire du groupe Agir Ensemble (dissident du groupe LREM, NDLR), prévue en octobre. Il faudrait pour cela que mes 22 collègues choisissent de mettre en avant cette PPL parmi bien d’autres. Elle devrait alors être réduite à trois ou quatre articles essentiels pour pouvoir être discutée. L’autre option est que le texte soit directement porté par le Gouvernement. Nous en avons discuté au ministère de la Santé et nous n’avons pas eu de divergence majeure. Le ministère attend cependant le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la profession de sage-femme pour se positionner. Je travaille donc à ces deux scenarios en espérant avoir plus de visibilité au mois de septembre. Je vais poursuivre les auditions pour rencontrer, par exemple, l’Association nationale des sages-femmes territoriales.
S’il fallait réduire le texte, quelles seraient les dispositions maintenues ?
Compte tenu des déserts médicaux et des problèmes d’accès aux soins, nous devons adopter une approche holistique pour répondre aux besoins de santé de la population, tout en garantissant la qualité des soins. Concernant la santé génésique des femmes, nul besoin de créer de nouvelles professions alors qu’il est possible de s’organiser avec celles qui existent. J’ai par ailleurs fait le constat de la souffrance des sages-femmes et de la baisse de la qualité des soins. La profession a évolué et des propositions sont sur la table depuis longtemps pour accompagner les changements. Il est temps de reconnaître pleinement le statut médical des sages-femmes.
Je conserverais donc quatre mesures principales. La première porte sur la formation initiale, qui serait complétée par un troisième cycle d’études, soit une année de formation supplémentaire, pour l’obtention d’un diplôme d’État de docteur en maïeutique. L’intégration universitaire de la formation doit aussi devenir complète. Ensuite, le statut doit évoluer vers celui de praticien hospitalier, pour en finir avec les incohérences actuelles. Cela permettra de conjuguer activité professionnelle, enseignement et recherche.
L’article concernant les protocoles de coopération entre médecins et sages-femmes serait aussi conservé. Les protocoles de coopération sanitaire, introduits en 2009 par la loi HPST, ont toute leur pertinence dans les déserts médicaux. Il s’agit donc de passer de l’incitation à l’obligation de conclure de tels protocoles. Les sages-femmes sont irritables sur ce sujet, mais elles doivent tenir compte du point de vue des gynécologues-obstétriciens, qui tiennent à cette notion de coopération.
Concrètement, cela signifie que toute sage-femme qui s’installe en libéral devra conclure un protocole de coopération avec un médecin. Un tel protocole peut aussi être établi, au niveau du territoire, entre plusieurs sages-femmes et les quelques médecins spécialistes y exerçant. C’est une façon de mieux se connaître entre professionnels, ce qui est une demande bilatérale en réalité. Du côté des patientes, l’exemple typique est celui d’une femme diabétique. Elle pourra être suivie par une sage-femme, avec l’accord du médecin, dans le cadre d’un protocole de coopération. Et la sage-femme pourra l’adresser vers le médecin en cas de besoin.
Il est certain qu’à l’avenir, le suivi de la santé génésique des femmes passera davantage par les sages-femmes que par les gynécologues. Au niveau de l’organisation des soins de ville, c’est une façon plus rapide de couvrir les besoins de santé des femmes. Cela nécessite de fixer les limites entre la physiologie et la pathologie en gynécologie. Il faut crever l’abcès sur ce sujet et mettre les gens autour de la table. L’essentiel est que l’élargissement des compétences des sages-femmes puisse se faire dans un bon climat.
Enfin, je proposerai de supprimer la liste de prescription qui distingue de façon ridicule les sages-femmes des dentistes parmi les professions médicales. Cette liste peut rapidement devenir obsolète et demande aux patientes une double consultation, chez la sage-femme puis chez le médecin. Souvent, les médecins y sont opposés, mais quand on échange avec eux, ils admettent que cette limitation de la prescription n’a plus lieu d’être.
Il serait aussi essentiel d’aborder les maisons de naissance, qui représentent le lieu où les sages-femmes règneraient sans partage pour exercer leur art et leur science. Mais les articles sur ce thème pourraient être supprimés, car nous ne pourrons tout amener dans la discussion.
Ne craignez-vous pas que la question du statut de praticien hospitalier ne divise de nouveau la profession, comme en 2013 ?
Le pouvoir politique a joué sur les divisions de la profession pour mieux régner par le passé. C’est à déconstruire. Depuis 2013, la profession s’est rassemblée et la division est plus qu’anecdotique aujourd’hui. Seule l’Union nationale des syndicats de sages-femmes, l’organisation la moins représentative, reste frileuse sur ce sujet sans y être totalement fermée. Les autres organisations professionnelles y sont toutes favorables.
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Je n’ai volontairement pas consulté les centrales syndicales hospitalières, car, en tant qu’élue, j’ai souhaité consulter les organisations représentatives. Les centrales syndicales n’ont pas une vision professionnelle. C’est pourquoi elles ne le sont pas et ne sont pas reconnues par leurs pairs. Ce fut l’un des problèmes du Ségur : les centrales syndicales ont participé aux négociations, mais les professionnels ne se reconnaissent pas dans les décisions prises.
Je sais que l’opposition à ma proposition pourra venir des centrales syndicales hospitalières, mais je pense qu’il est temps d’avoir une représentation reconnue de la profession de sage-femme. La question de la représentativité syndicale est un vrai problème dans le domaine de la santé : les syndiqués sont peu nombreux et il se crée des collectifs parallèles, alors que légalement ce sont les centrales syndicales qui ont le droit de négocier sur les questions de statut à l’hôpital. J’ai préféré ne pas me positionner sur cet ordre établi qui ne représente plus rien.
En réalité, la question du statut de praticien hospitalier risque de susciter des réticences des directions générales de la santé, qui mettront l’argument budgétaire en avant.
Justement, le Gouvernement ne risque-t-il pas de s’opposer à vos propositions pour des raisons budgétaires ?
La question budgétaire peut achopper, car une année d’études en plus a un coût. L’universitarisation complète est aussi réputée augmenter les budgets. Cependant, j’ai demandé quelle était la différence entre les coûts de formation entre écoles de sages-femmes et université : personne n’est à même de me le dire. Or, on répète partout que l’universitarisation coûte plus cher, mais il semble que cette vérité ne soit pas indéboulonnable.
Quand sept milliards d’euros ont été prêtés à Air France dans le cadre de la crise sanitaire, il faudrait débattre de nos priorités ! S’il faut sacrifier quelque chose budgétairement, à quoi renonceriez-vous ? Aux voyages ou aux soins ? On peut se passer d’avion, mais on ne peut pas se priver d’accoucher quand on est à neuf mois de grossesse ! C’est une boutade, mais les arbitrages nous montrent que nous sommes devant des choix hypocrites. D’autant plus qu’on est dans un choix qui en réalité ne se limite pas à une dépense. Nous ferons des économies si nous maintenons davantage de femmes et de bébés en meilleure forme. En matière de prévention et d’éducation thérapeutique, les sages-femmes sont une pièce maîtresse. La prévention est un investissement et nous serons gagnants au bout du compte.
Les propositions pour faire évoluer la profession ne sont pas nouvelles : ma collègue la députée Bérangère Poletti avait déjà déposé une PPL pour faire évoluer la profession, qui n’a pu être actée. On peut encore faire trainer le dossier, mais il faut en permanence essayer de ramener le sujet et de susciter l’adhésion. À un moment, des idées finissent par s’imposer. Je ne suis pas dans un bras de fer et je tente de convaincre un maximum de personnes pour que ces propositions deviennent une évidence.
Dans vos auditions préparatoires, vous avez reçu le Syngof et le CNGOF. Comment ont-ils pris vos propositions ?
Le braquage corporatiste est réciproque entre sages-femmes et médecins. Dans le cadre de nos échanges avec le Syngof, au cours desquels la suppression de la liste limitative de prescriptions n’a pas été abordée, ils ont conclu qu’il fallait avancer concernant la profession de sage-femme. Ce dialogue peut se poursuivre si nous tentons de comprendre leurs demandes et d’y apporter des réponses. Les protocoles de coopération en sont une. Globalement, dans mes échanges avec différents médecins, une majorité ressent la nécessité de travailler sur la reconnaissance de la profession de sage-femme.
C’est dans les détails que les oppositions vont se manifester et non sur les grands principes. Les gynécologues-obstétriciens ne risquent-ils pas de faire blocage ?
Pour le Syngof, la suppression de la liste de prescriptions est une ligne rouge à ne pas franchir, mais, alors que nous n’avons pas abordé ce sujet dans nos premiers échanges, j’espère pouvoir les convaincre. Le cycle des auditions reprendra de nouveau lorsque la proposition de loi sera portée à la discussion. Le texte sera retravaillé et nous trouverons les mots justes pour avoir l’adhésion du plus grand nombre. Il faudra aussi convaincre les députés et sénateurs. Je souhaite, si la crise sanitaire le permet, organiser un débat à la rentrée sur la profession de sage-femme à l’Assemblée nationale avec différents regards : gynécologues, usagers, sages-femmes. Le plus dur sera de convaincre le Gouvernement que nous sommes dans la bonne temporalité pour mener ces réformes qui permettraient un meilleur accès et une meilleure offre de soins. La proposition de loi va évoluer, nous pourrons arrondir des angles, tout en restant intransigeants sur certains points, comme l’évolution de la formation et du statut.
■ Propos recueillis par Nour Richard-Guerroudj