Comment faire évoluer les pratiques pour promouvoir la santé environnementale des parents et des nouveau-nés ? C’est à travers plusieurs actions et plans que l’ARS Pays de la Loire a impulsé une dynamique dans la région depuis 2019, auprès des maternités, mais aussi des acteurs de santé de ville. « De 2019 à 2022, une montée en charge sensible a permis de former/sensibiliser 113 professionnels salariés et libéraux, d’accompagner méthodologiquement 4 PMI, 12 maternités (…) et plusieurs équipes de soins primaires, collectivités et associations », note l’ARS sur son site internet. Il s’agissait d’accompagner les différents acteurs par un soutien méthodologique et institutionnel et des outils. Ambitieux, le projet entend fédérer les acteurs et permettre une cohérence des actions sur le territoire.
ACCOMPAGNEMENTS INDIVIDUELS ET COLLECTIFS
Des formations Nesting© et Fées, destinées à acquérir des connaissances approfondies en santé environnementale, sont financés par la l’ARS Pays de la Loire pour les professionnels de la périnatalité et de la petite enfance. Ainsi, huit sages-femmes exerçant au sein d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) ou d’une maison de santé pluridisciplinaire (MSP) ont été formées, leur permettant de devenir référentes sur le sujet au sein de leur structure. Cela a permis, par exemple, à trois CPTS d’inscrire la santé environnementale dans leur projet de prévention. Quatre sages-femmes libérales et une infirmière en exercice isolé ont suivi la formation Fées, leur permettant d’intégrer le thème de la santé environnementale à leurs consultations ou leurs séances de préparation à la naissance. Violaine Péan, sage-femme libérale à La Ferté-Bernard (72), a suivi la formation. « Je propose désormais des ateliers Nesting© aux parents dans le cadre de la préparation à la naissance dans mon cabinet, qui rassemble quatre collègues, témoigne-t-elle. Ils sont ainsi sensibilisés à la réduction de l’usage des produits cosmétiques, à observer les étiquettes sur les produits ménagers. Nous avons aussi procédé à des changements en interne, en adoptant des produits ménagers labellisés Ecocert et des lingettes en microfibre labellisées. Nous n’utilisons plus de spéculum à usage unique et réfléchissons à investir dans l’achat de spéculums en titane. Nous n’avons plus de draps d’examen jetables. Nous sommes passés au lavable, en partenariat avec l’établissement et service d’aide par le travail du village. » En PMI, plusieurs actions ont permis de sensibiliser les agents : sessions internes, édition d’un guide de la santé environnementale pour les visites de lieux d’accueil des jeunes enfants, formation des assistantes maternelles.
Le volet concernant les maternités, baptisé « Santé environnementale en maternité : agir ensemble ! », accompagné de 2021 à 2022 par l’ARS et la Mutualité française de la région, se poursuit. Son objectif est de limiter l’exposition des nouveau-nés, de leurs mères et des professionnels de santé aux polluants intérieurs au sein des maternités. Il a aussi pour but de sensibiliser les parents aux enjeux de la santé environnementale du nouveau-né lors du retour à domicile.
Dans le cadre du Plan régional Santé Environnement (PRSE), l’ARS Pays de la Loire et la Mutualité française de la région ont lancé un accompagnement, avec le soutien technique du bureau d’études Primum non nocere, auprès des maternités volontaires. En mars 2021, 12 établissements étaient engagés – représentant 76 % des naissances – sur les 23 que comptent les Pays de la Loire. Ainsi, les CHU de Nantes et Angers, les CH de Saint-Nazaire, Cholet, Laval, du Mans, de La Roche-sur-Yon, des Sables-d’Olonne et de Fontenay-le-Comte, de même que les cliniques Santé Atlantique -(Saint-Herblain), Jules-Verne (Nantes) et du Tertre-Rouge (Le Mans) se sont impliqués.
INITIER LE CHANGEMENT
Dans un premier temps, l’accompagnement comprenait un diagnostic dans chaque maternité, pour mener un état des lieux et envisager des actions correctrices. Un des objectifs était que les maternités, qui ont un rôle très important de prescripteur, montrent l’exemple aux parents. Sept thèmes étaient audités : la gouvernance et la communication autour du projet, les relations parents/nouveau-nés pour une mise en cohérence des pratiques avec les messages véhiculés, les achats, l’hygiène, la qualité de l’air intérieur, la qualité de l’alimentation et la santé environnementale au travail. Par la suite, six axes de travail ont été priorisés au niveau collectif. Les maternités ont décidé de plancher ensemble, à travers des réunions régionales, pour formaliser des protocoles d’achats écoresponsables, modifier le recours aux produits cosmétiques, repenser les techniques de nettoyage des locaux, la distribution de lait infantile et de couches et limiter l’exposition au formol des professionnels.
En parallèle, la Mutualité française des Pays de la Loire a proposé des webinaires faisant intervenir des experts ou permettant des retours d’expérience sur onze thèmes, comme les perturbateurs endocriniens, les contenants alimentaires, les ondes électromagnétiques, préparer la chambre de bébé, l’impact de l’environnement sur la fertilité et la grossesse ou la fiabilité des appareils de mesure de la qualité de l’air intérieur ou les allergies alimentaires ou respiratoires.
« La dynamique de groupe nous a permis de “rester à flot”, alors que nous sommes souvent pris par des urgences, estime Magalie Delahaye, sage-femme coordonnateur en maïeutique au CH du Mans et référente du projet. Le rush quotidien peut prendre le pas sur un projet qui motive pourtant les coordinateurs et les équipes. La démarche collective donne du sens, car nous dépassons notre mission institutionnelle. À travers ce projet, nous faisons acte d’une -responsabilité citoyenne collective et individuelle. » Repenser les techniques, les usages de produits ou les organisations nécessite du temps d’acculturation. Selon les établissements, c’est la direction, un service spécifique ou un pôle qui a pris en main la gouvernance du projet. « Le focus réalisé à partir de la maternité nous a permis de penser la question de la santé environnementale à l’échelle de l’institution », poursuit Magalie Delahaye.
ENJEUX DE GOUVERNANCE
Au CHU d’Angers, Vincent Brossard, sage-femme, a été désigné comme chargé de mission en santé environnementale en maternité. Il y consacre la moitié de son temps, l’autre étant occupée par la coordination de la labellisation IHAB de la maternité. Plusieurs services ont été associés à l’élaboration de la feuille de route Santé environnementale du CHU : la direction générale, le pôle Femme-Mère-Enfant, la direction des achats, le directeur de la santé publique et l’unité de prévention et de lutte contre les infections nosocomiales. Différents comités de pilotages ont été initiés pour décliner différents axes de travail.
« La déclinaison du projet en maternité a aussi impliqué le service de néonatologie, mais pas encore la pédiatrie, indique Vincent Brossard. Il est envisagé que le projet soit étendu à d’autres services, comme l’addictologie. Tous les chefs de service de l’hôpital ont été informés de notre démarche et seront accompagnés s’ils souhaitent s’engager. »
Ainsi, l’implication des directions et du temps dédié à la coordination du projet sont autant d’accélérateurs de projet. L’implication de professionnels de terrain également. Au CHU de Nantes, c’est Solenn Carvalho, sage-femme coordinnatrice, qui porte le projet de la maternité avec sa collègue Maëlle Gautier-Legoff. « La santé publique populationnelle apparaissait éloignée des préoccupations cliniques de la direction, note Solenn Carvalho. Aborder la santé environnementale à travers le développement durable de l’établissement a permis de nous rassembler. La politique de développement durable est pilotée par le directeur adjoint, ce qui lui donne une visibilité institutionnelle. » Chaque maternité a pu progresser à son rythme.
DE LA SENSIBILISATION À L’ACTION
En décembre 2022, 7 maternités sur 12 proposaient régulièrement des ateliers Nesting© à destination des professionnels et/ou des parents. Quatre maternités déclaraient faire passer de l’information sur la santé environnementale durant le parcours maternité. Et deux maternités ont retravaillé leur livret d’accueil en y incluant des informations en santé environnementale.
« Nous proposons des ateliers Nesting© aux parents tous les mardis, témoigne Magalie Delahaye, au CH du Mans. Deux sages-femmes et deux auxiliaires de puéricultures y ont été formées. Des soirées thématiques ont été organisées également pour sensibiliser tous les professionnels du pôle et des étudiants. » Au CHU d’Angers, deux professionnelles ont été formées et deux sages-femmes doivent l’être prochainement. « Au début, les ateliers attiraient peu, alors que nous disposons de treize places au sein de l’atelier mensuel, témoigne Vincent Brossard, du CHU d’Angers. Mais depuis mai 2023, ils sont remplis. »
En matière d’usage des produits cosmétiques, la clinique du Tertre-Rouge, au Mans, a conduit une analyse des produits utilisés, l’amenant à remplacer la distribution de la « Boîte rose », remise aux parents au moment de la naissance, par un sac alternatif. « Le fait d’avoir été accompagnés collectivement pendant 18 mois a créé une émulation entre maternités, poursuit Vincent Brossard. La fin du partenariat pour la distribution de la « Boîte rose » dans une maternité a fait boule de neige, par exemple. » Plus aucune des 12 maternités impliquées ne distribue ces boîtes publicitaires.
Quant aux produits d’entretien pour le lavage des sols, ils sont remplacés dans plusieurs maternités, comme au CH du Mans et de Nantes, par le nettoyage à base d’eau et de lingettes en microfibre. Alors qu’il a été démontré que la méthode est aussi efficace que les produits, elle représente en outre un moyen de lutter contre la résistance bactériologique. Initiée par la maternité, elle doit désormais s’étendre à tous les services et bâtiments du CH du Mans. L’abandon du matériel à usage unique est aussi en progression au Mans et à Nantes, par exemple.
En matière de protection des personnels et alors que le formol est un cancérigène avéré, le CHU de Nantes a partagé le protocole lui permettant de mettre fin à son usage à la maternité. La technique du maintien des pièces anatomiques à une température de 4 °C est désormais en vigueur, la présence sur place d’un laboratoire interne au CHU et la mutualisation avec d’autres maternités de proximité ayant facilité ce changement. Pour sa part, le centre hospitalier de Vendée, à La Roche-sur-Yon, a réaménagé ses locaux dédiés à la manipulation de formol : un robot de mise sous formol et une ventilation adaptée du local doivent éviter toute manipulation et exposition humaine. « Chaque établissement a ses propres contraintes, témoigne Vincent Brossard. Pour limiter l’exposition au formol et alors que l’architecture du CHU est multipavillonaire, nous faisons désormais appel à des coursiers pour le transport des placentas conditionnés sans formol vers le laboratoire d’anatomopathologie du site. »
DES CHANTIERS D’ENVERGURE
Concernant la qualité de l’air intérieur, la clinique Jules-Verne, à Nantes, a renforcé son protocole d’entretien et de maintenance de son système d’aération et a instauré un programme de mesures et de réglage annuel des débits de ventilation de tous les locaux en maternité. « Au CHU d’Angers, le contrat de maintenance de la ventilation mécanique contrôlée (VMC) prévoyait l’entretien des moteurs, mais pas le nettoyage des gaines, témoigne Vincent Brossard. Cela a pu être relevé et modifié dans le contrat, grâce à la sensibilisation à cette question. Les gaines de la maternité, empoussiérées, ont été nettoyées. Le conseiller médical en environnement intérieur s’est emparé du sujet et l’achat de traceurs de composés organiques volatils, à disposer dans les chambres en maternité et dans le service de néonatologie, est en cours. L’objectif est de mener deux campagnes de mesure par an et des actions correctives si besoin. »
Certains changements impliquent d’importantes modifications. Par exemple, se passer de plateaux en plastique pour fournir les repas nécessite parfois de revoir l’aménagement de la cantine, de recréer des postes d’officières pour réchauffer les plats en inox dans les services. Ce type d’action, au carrefour des enjeux de santé environnementale et de développement durable, demande du temps.
« Le fait que douze maternités de la région soient engagées dans le programme, représentant les trois quarts des naissances, nous a donné du poids », analyse Vincent Brossard, du CHU d’Angers. En témoigne la signature d’une charte d’achats responsables en santé environnementale par toutes les maternités parties prenantes du projet, impliquant les services centraux des achats de chaque établissement. Cette charte permet de revoir les différents marchés au fur et à mesure de leur arrivée à échéance, certains étant déjà conclus pour plusieurs années. Le groupement hospitalier de territoire 44 (GHT44), qui coordonne le groupement d’achat régional animé par le CH de Saint-Nazaire, a même conçu un lot dédié à la maternité, plus sélectif au regard de la composition des produits. Ce document intègre un référentiel unique de produits cosmétiques et d’hygiène, qui pourra bénéficier à toutes les maternités de la région, et peut-être au-delà.
Sur 12 maternités, 5 avaient adopté le nettoyage des sols à la microfibre et à l’eau et les 7 autres l’avaient inscrit dans leur plan d’action fin 2022. « La majorité des maternités s’est saisie de la possibilité d’organiser une collecte sélective pour les nourettes, relève aussi l’État des lieux de l’implication des professionnels de la périnatalité et de la petite enfance dans la santé environnementale en Pays de la Loire, rendu public par l’ARS en septembre 2023. Ce recyclage, géré par le fournisseur, a été mis en place à partir de la stratégie régionale de prévention précoce en santé environnementale de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Les maternités de la région engagées dans cette démarche ont négocié avec les fournisseurs de lait pour qu’ils assurent le recyclage des nourettes usagées. Le même type d’action collective est maintenant à l’œuvre pour obtenir des nourettes en verre. » Certaines maternités étudient avec le Centre d’appui pour la prévention des infections associées aux soins (CPIAS) la possibilité de préparer les biberons dans les chambres, en demandant aux parents de ramener leurs propres biberons et les initiant à leur reconstitution. Alors que les parents et nouveau-nés retournent chez eux rapidement après un accouchement, l’alimentation des nouveau-nés en bonne santé via des nourettes en plastique est ainsi questionnée. L’étendue des actions est donc impressionnante et le bilan positif.
FREINS ET LEVIERS
L’implication des directions est un levier de changement important, tout comme le fait que des référents soient formés de façon transversale dans les différents services d’un hôpital. Cette multiplicité des acteurs peut cependant être un frein lorsqu’ils sont peu coordonnés. Mise à disposition de personnel et temps dédiés sont donc nécessaires.
Concernant l’offre d’ateliers Nesting© aux parents, par exemple, l’évaluation du plan de l’ARS relève que seuls 5 % des naissances des maternités impliquées ont bénéficié d’une sensibilisation à la santé environnementale. « Au Mans, nous informons 8 à 10 femmes au cours de chaque atelier hebdomadaire, alors que nous accueillons 3500 naissances, note Magalie Delahaye. Nous ne pouvons détacher davantage de professionnelles sur ce projet. Il faudrait une reconnaissance officielle de la formation Nesting©, une certification Qualiopi et une valorisation financière du temps dédié à ces ateliers, qui restent gratuits pour les parents. Nous souhaiterions aussi à l’avenir mettre en place une chambre des erreurs dans les unités d’hospitalisation, à destination des parents, pour faire suite aux ateliers Nesting©. »
Le rapport d’évaluation note qu’il faudrait sensibiliser 350 auxiliaires de puériculture, 220 puéricultrices, 450 sages-femmes et 130 gynécologues-obstétriciens et pédiatres exerçant dans les 12 maternités pour couvrir tous les besoins, ce qui est considérable. Mais les établissements ne peuvent se permettre de trop puiser sur le temps clinique des personnels. « Le principal frein, commun à tous les professionnels de santé, est le manque de temps disponible, en lien avec les difficultés en termes de ressources humaines des professions de santé,», souligne le rapport d’évaluation, rédigé par Claude Daussy-Urvoy, sage-femme à la Direction de la santé publique et environnementale de l’ARS. L’absence de valorisation des actes de prévention en santé environnementale est également un frein.
Il serait donc pertinent d’intégrer la formation à la santé environnementale directement en formation initiale et en formation continue. L’ARS Pays de la Loire apporte son soutien à l’université de Nantes pour intégrer la santé environnementale à la formation des étudiants en santé.
Pour encourager les professionnels, l’ARS Nouvelle-Aquitaine a pour sa part développé le label gratuit “Prévenir pour bien grandir” depuis 2021. Porté par le réseau de périnatalité de Nouvelle-Aquitaine, il décline des objectifs en matière de santé environnementale et pourrait inspirer d’autres ARS.
Malgré des freins, l’ARS Pays de la Loire est parvenue à initier une réelle dynamique en périnatalité et prépare désormais son quatrième Plan régional Santé Environnement. Il doit répondre à trois principaux enjeux : adopter l’approche « une seule santé », l’adaptation aux changements climatiques et la réduction des inégalités sociales et territoriales de santé. La majorité des professionnels de la périnatalité de la région souhaitent voir se poursuivre les actions en santé environnementale. Le réseau périnatal Sécurité Naissance a pris le relai, avec l’installation d’une commission santé environnement en septembre 2023.
■ Nour Richard-Guerroudj