Comment fonctionne la sexualité des femmes ? Si la question a peu intéressé la science ou la médecine, elle n’a pas échappé aux fabricants de sextoys. Depuis une dizaine d’années, la créativité, la connaissance et l’innovation ont fait la part belle aux outils, ou plutôt « jouets », dont un bon nombre est exclusivement dédié aux femmes. Ils ont quitté les sexshops masculins des quartiers glauques pour s’exposer fièrement dans les vitrines glamour des nouveaux lovestores, des lieux bien exposés, la plupart du temps animés par un personnel de bon conseil. Les connaisseuses, ou les plus timides, peuvent s’achalander en ligne, via une foule de sites dédiés. Toutes ces boutiques proposent aussi des accessoires plus familiers aux sages-femmes, comme les bougies de dilatation ou les boules de geisha, sans oublier les indispensables lubrifiants. Accessoires de plaisir, les sextoys, de plus en plus utilisés, aident les femmes à mieux connaître le fonctionnement de leur corps. Certains se révèlent même être des auxiliaires de choix pour faire face à divers troubles de la sexualité. Dans le cadre d’une relation hétéronormée, loin de concurrencer les hommes, plusieurs jouets sexuels permettent de prendre du plaisir à deux, parfois de « relancer la machine ».
En consultation
Le sextoy peut donc se trouver à la lisière entre deux mondes : celui de la médecine, en santé sexuelle, et celui, plus ludique, de la sexualité. « D’une manière générale, le sextoy va être intéressant dès qu’il y a des problèmes dans la sexualité, quel que soit le type d’objet, qu’il soit conçu pour la pénétration ou la stimulation du clitoris, expose Nathalie Chiffaut-Moliard, sage-femme et sexologue à Dijon. Ces accessoires peuvent aussi être utilisés quand il y a des problèmes de plaisir et de désir. Le fait d’utiliser quelque chose à deux, de changer un peu les règles du jeu, d’apprendre à donner du plaisir autrement est intéressant. Je peux aussi proposer
l’utilisation des sextoys lorsque je vois qu’il n’y a pas de réel problème, mais seulement une méconnaissance du corps. Dans ce cas, j’aborde la question de la masturbation. Pour les jeunes femmes qui n’ont pas l’habitude de se toucher, qui peuvent même avoir une appréhension, le fait de passer par un objet intermédiaire peut faciliter la découverte de certaines sensations. Je vais d’abord leur proposer de se laver directement avec la main, de se mettre de la crème, etc. Quand elles sont plus à l’aise, je peux proposer un sextoy. Il en va de même lorsqu’une jeune mère se plaint de ne plus avoir les mêmes sensations depuis son accouchement. Je peux aborder le sujet du sextoy, mais seulement après avoir échangé avec elle, parfois même avec le couple. Le sextoy pourra alors accompagner diverses autres propositions. » Dans le cadre d’une consultation, le sujet peut être amené par la patiente, qui se questionne, ou par la sage-femme, qui peut conseiller.
Mais avant tout usage de jouet sexuel destiné à accompagner la prise en charge d’un véritable trouble de la sexualité, le diagnostic clinique d’un professionnel de santé spécialisé est indispensable. Il n’est en effet pas question d’introduire un godemichet, même de petite taille, ou une bougie de dilatation dans le sexe d’une femme qui annonce souffrir de vaginisme, une plainte assez fréquente. « Il faut d’abord vérifier qu’il n’y a pas d’infection, d’inflammation ou autre chose. Ensuite, il va y avoir une discussion pour voir s’il n’y a pas des antécédents qui expliqueraient le vaginisme. Ma première réponse n’est évidemment jamais le sextoy ! La moitié des patientes qui viennent me consulter pour vaginisme, qu’elles évoquent le plus souvent dans le cadre d’une consultation de contraception ou de suivi gynécologique, ont en réalité des vestibulodynies, une pathologie encore mal connue », note Nathalie Chiffaut-Moliard. Cette pathologie n’a rien à voir avec le vaginisme. Le plus souvent, ces patientes n’ont pas de problème de plaisir. La stimulation du clitoris fonctionne, mais la pénétration est impossible. La moindre tentative d’intromission provoque une sensation de brûlure du vestibule. Après cette douleur, elles se contractent, ce qui peut provoquer un vaginisme secondaire, surtout lorsque la vestibulodynie s’est installée dans le temps. Il faut donc déjà traiter la vestibulodynie, avec du gel anesthésiant, des exercices de relâchement, de la relaxation…
Le vaginisme secondaire peut aussi concerner des patientes qui développent une contracture de défense après un rapport violent ou non consenti. « Il faut lever les douleurs, régler les problèmes, avant de pouvoir envisager une quelconque pénétration », explique la sage-femme. À proscrire pour ces patientes, l’usage d’un sextoy pénétrant peut être conseillé dans un contexte de vaginisme primaire, souvent lié à une vraie méconnaissance du corps. Il faut toutefois vérifier que ce vaginisme ne cache pas autre chose. « Les jeunes filles qui ont des doutes, qui ont par exemple déjà eu des rapports mais jamais une pénétration complète, vont, elles aussi, évoquer le vaginisme, même si cela n’en est pas vraiment, souligne la sexologue. Pour ces patientes, les bougies de dilatation et les sextoys pénétrants sont intéressants. Elles vont pouvoir se mettre en confiance elles-mêmes et, peu à peu, avoir moins peur du pénis de leur partenaire au moment de la pénétration. On va les utiliser avec des techniques de respiration, de relaxation. Dans ce contexte, je peux conseiller un sextoy pénétrant simple. Ces objets mettent en avant le côté plus rigolo de la sexualité, plutôt que le côté médical associé aux bougies de dilatation. On peut choisir un gode qui n’a pas forcément la forme et encore moins la taille d’un pénis en érection. Cela peut être un petit gode vibrant, qui va aussi stimuler le clitoris, avec des couleurs sympas, pour un budget identique. »
Aspirateurs à clito
Face à une baisse de désir ou une anorgasmie, les spécialistes conseillent volontiers les stimulateurs clitoridiens. Fabriqué par l’entreprise Womanizer, le plus célèbre a vu le jour voilà dix ans. Une petite révolution dans l’industrie du sexe. Depuis, il a généré toute une famille de produits, plus ou moins basés sur le même principe. La stimulation se fait sans contact, via une variation d’intensité de l’air pulsé, mimant un effet de succion du clitoris. Voilà pourquoi on les appelle parfois des « aspirateurs à clitoris » (voir page 28). Favorisant un certain lâcher-prise, ils aident les femmes qui ont besoin de découvrir leur plaisir. Ils permettent aussi une utilisation dans le couple. Dans ce contexte de baisse de désir ou d’anorgasmie, on peut aussi recommander les galets vibrants, à l’aspect inoffensif (voir page 28). Il s’agit tout simplement de petits objets en silicone doux, motorisés, qui vibrent. Ils peuvent adopter la forme d’un galet, d’un œuf, d’un cœur… Ils permettent de stimuler toutes les zones du corps, des moins érogènes, comme des trapèzes noués, aux plus frivoles. Ils peuvent également se placer entre les corps de manière à partager la vibration de l’objet pour accentuer le plaisir que l’on se donne déjà à deux. Ils peuvent ainsi stimuler le clitoris pendant la pénétration.
« Des patientes se plaignent d’arriver à prendre du plaisir seules, mais pas avec leur compagnon, raconte Nathalie Chiffaut-Moliard. Elles vont dire : “quand il est à l’intérieur, ça me gêne, ça me fait mal”. On peut alors travailler sur le rôle du clitoris et sur le fait qu’on peut le stimuler aussi pendant la pénétration. Je vais pouvoir conseiller des choses vibrantes, voire des sextoys de couple. » Ce sont des objets à double brin, en silicone flexible, qui ont plus ou moins l’aspect d’une pince (voir page 30). Une extrémité se place à l’intérieur du vagin et l’autre sur le clitoris. En vibrant, elle va le stimuler. La partie vaginale, qui vibre également, est suffisamment fine pour
permettre la pénétration du pénis. Le silicone est un peu nervuré à l’intérieur. « Pour les patientes qui n’ont pas de problème avec la pénétration mais ont un problème de plaisir, cela peut être une solution, ajoute la sexologue. En utilisation de couple, c’est très intéressant car cela permet d’inclure le partenaire dans un vrai partage de plaisir. Quand on conseille un objet, il est également important de veiller à comment se situe le couple par rapport à ça. D’ailleurs, pour conseiller le sextoy le plus adapté, je vais souvent surfer sur internet avec mes patientes. » Pour réveiller le plaisir d’une femme qui n’a pas de souci avec la pénétration, les spécialistes peuvent aussi conseiller des stimulateurs de point G (voir ci-dessus). Il s’agit d’objets pénétrants dont l’extrémité est recourbée de manière à atteindre cette zone érogène de la paroi antérieure du vagin. Plutôt destiné à une utilisation en solo, le stimulateur de point G peut, tout comme l’ensemble des sextoys, s’inviter dans le couple.
Il en va de même pour les historiques rabbits, nommés de la sorte d’après leurs deux branches qui évoqueraient les oreilles d’un lapin. L’une se comporte comme un godemichet ou vibromasseur interne, tandis que l’autre vient stimuler le gland du clitoris. Comme pour les jouets de couple, ils se rangent dans la catégorie des jouets à double stimulation.
Amortisseurs de pénétration
Face aux dyspareunies, les fabricants de sextoys et quelques professionnels de santé vont conseiller de se tourner vers des stimulateurs clitoridiens ou des galets vibrants. Mais ici aussi, « il peut y avoir des situations assez différentes », alerte Nathalie Chiffaut-Moliard. Les dyspareunies d’intromission peuvent ainsi être des vestibulodynies ou du vaginisme. Les dyspareunies profondes peuvent quant à elles être liées à de l’endométriose, un utérus rétroversé, un kyste, un syndrome utérin douloureux. « Ou, plus simplement, quand la femme a un col un peu sensible et doit accueillir un partenaire “bien membré” », ajoute la sage-femme. Les rapports sont alors assez douloureux.
Pour limiter la profondeur de la pénétration et éviter ces douleurs, l’entreprise Ohnut a inventé des amortisseurs de pénétration (voir ci-dessus). Ce sont des bagues en silicone souple qui vont se poser à la base du pénis et vont stopper la pénétration à un certain niveau, choisi par les partenaires. Ces bagues, ou anneaux, ne sont pas à proprement parler des sextoys car, à elles seules, elles sont incapables de donner du plaisir. Mais elles y contribuent. Le partenaire aura en effet des sensations sur toute la longueur de son pénis, sans se soucier d’y aller franchement par crainte de blesser. Quant à la femme habituellement douloureuse, elle sera protégée, en confiance.
Le monde des sextoys paraît infini, coloré et joyeux. Si le silicone domine la scène, il existe diverses matières, le verre notamment. Certains peuvent vibrer ou transmettre des ondes selon différentes formules, d’autres pas. Nombre de jouets se rechargent sur secteur, dans un objectif plus durable. On peut même recycler ces objets ! Enfin, certains d’entre eux sont connectés et peuvent être activés à distance via une application. Pour les pratiques anales, la variété est également de mise. Côté hommes, ou porteurs de pénis, la donne a changé. Ils sont désormais moins bien choyés par l’industrie que les femmes. Il existe cependant toute une série de masturbateurs de diverses formes, texturés, vibrants, à air pulsé, ainsi que des anneaux. Si ces derniers visent essentiellement à soutenir l’érection, ceux qui vibrent peuvent aussi exciter le clitoris lors d’une pénétration.
Ainsi, l’industrie du sexe a accompagné l’émergence d’une sexualité plus féministe, au-delà d’être féminine, où le plaisir des femmes n’est plus mis de côté. Elle a souligné l’importance d’une sexualité non pénétrante.
Pour une sexualité non pénétrante
« De façon globale, la sexualité n’est pas la pénétration, rappelle la sage-femme sexologue Nathalie Chiffaut-Moliard. La pénétration n’a vocation qu’à faire des bébés ! Il y a plein d’autres manières, pour l’homme comme pour la femme, d’obtenir du plaisir. Or, une sexualité épanouie est une sexualité qui prend en compte toutes ces dimensions et va être dans une recherche mutuelle de plaisir, quelle qu’en soit la source. Et l’on peut avoir une sexualité plus ludique avec les sextoys. » Quand certains professionnels de santé déconseillent aux femmes les activités sexuelles pendant leur grossesse, c’est à la pénétration qu’ils pensent. Mais même avec un placenta un peu bas ou simplement un gros ventre qui complique les positions, la stimulation clitoridienne n’est pas interdite. « La sexualité non pénétrante est aussi intéressante après l’accouchement ou en cas de vaginisme, qui ne sont pas des raisons pour se priver de plaisir, de contact et d’érotisme, revendique Nathalie Chiffaut-Moliard. Les sextoys, surtout externes, ont alors une vraie place. Les stimulateurs clitoridiens sont aussi très intéressants après la ménopause. La pénétration devient difficile, les muqueuses ne sont plus assez lubrifiées, il peut y avoir une atrophie vaginale, du lichen… Il faut amener les femmes et les couples à revoir leur sexualité. Pour elles, cela peut être une vraie redécouverte du plaisir, y compris dans leur couple. Ces patientes, qui ignorent souvent l’existence de ces objets, sont très intéressées par ce type de solution. Quant au partenaire, il va pouvoir compenser une érection un peu défaillante. » Ainsi, contre toute attente, une large part de l’industrie du sexe est devenue inclusive et féministe.
Précautions d’usage
Avec les sextoys, il est recommandé d’utiliser systématiquement du lubrifiant à base d’eau, qui permet d’éviter l’irritation de la muqueuse vaginale, de préserver la flore et d’augmenter le plaisir. Ce type de lubrifiant est aussi compatible avec le silicone. Côté entretien, il faut nettoyer les jouets après usage bien sûr, mais aussi avant ! Il suffit de les passer sous l’eau chaude, de les savonner, puis de les rincer à l’eau claire. Les sextoys en verre, une matière qui permet de jouer sur le chaud/froid, peuvent être plongés quelques minutes dans l’eau bouillante pour être stérilisés. Et si le sextoy peut circuler entre plusieurs personnes, il faut l’équiper d’un préservatif, à changer entre les partenaires.
■ Géraldine Magnan