Sur le plan juridique, si une patiente affirme ne pas avoir été informée, la parole du professionnel de santé s’opposera à la sienne. Le dossier médical doit alors permettre de trancher. C’est aux sages-femmes, professionnelles de santé, d’apporter la preuve de ce qu’elles ont fait. Le dossier médical doit contenir le plus d’informations possibles sur les actes effectués, mais aussi sur les informations données, conversations, explications.
En ce qui concerne l’information des patientes, le dossier médical doit permettre de prouver qu’une information loyale, claire et adaptée a été délivrée.
On peut distinguer :
• Les situations de pratique courante (1) : consultations de contraception, information IST, frottis, examens courants (HGPO, marqueurs sériques, etc.).
• Les situations sensibles (2) : refus de soins, évocation ou doutes sur des violences. Ces situations doivent être précisément retranscrites sur le dossier médical : informations données, questions posées, échanges, refus.
Enfin, nous verrons ce que risque la sage-femme libérale si le dossier médical n’est pas complet, s’il ne permet pas de prouver les actes réalisés.
1. Les situations de pratique courante :
Exemple : Première consultation gynécologique pour une jeune fille qui n’est pas encore active sexuellement : info contraception/IST faite. Quelle information retranscrire dans le dossier sans refaire le déroulé de la consultation ?
Pour les consultations de pratique courante (contraception, IST, pose de DIU, frottis, examens courants de la grossesse type, HGPO, marqueurs sériques, PV de fin de grossesse…), les informations à donner sont nombreuses et il est impossible de retranscrire tous les échanges dans le dossier médical.
Première possibilité : des documents types d’information
Il peut être intéressant, à la fois pour la sage-femme et la patiente, de se procurer des documents types à remettre aux femmes dans le cadre de la consultation. Ils sont censés reprendre les éléments importants des actes ou traitements proposés : principe de fonctionnement, effets secondaires fréquents et graves normalement prévisibles, risques, efficacité, alternatives, prix. Cela s’inspire des consultations préanesthésie ou préchirurgie.
Il est alors nécessaire de noter au dossier que les documents ont été remis et d’indiquer en quelques mots les éléments sur lesquels un échange a été particulièrement plus appuyé avec la patiente.
Dans le cas de la consultation avec la jeune fille sur la contraception et les IST, remettre les documents sur les différents types de contraception en les présentant. Elle interroge plus particulièrement sur la pilule et l’implant. Noter au dossier « documents contraception remis et expliqués » « questions pilule et implant – réponses et explications sur l’oubli et ce qu’il faut faire si ça arrive – fonctionnement implant et effets secondaires ».
Ceci est à adapter à chaque patiente en fonction de ses capacités de compréhension. Les échanges verbaux pendant la consultation permettent cette adaptation.
Il est possible d’avoir un document à remettre pour tous les examens courants de grossesse (HGPO, marqueurs sériques, PV de fin de grossesse) ou hors grossesse (frottis). Ils sont remis lors de la consultation, assortis des explications données d’habitude. Il est alors possible de noter dans le dossier : « document d’information remis », « explications données », « questions/réponses sur les effets du diabète gestationnel, sur la marche à suivre en cas de PV positif ».
Ces documents à remettre nécessitent un temps d’élaboration en amont, et du temps pour des mises à jour régulières. Mais il s’agit en réalité de temps gagné dans les consultations quotidiennes et la tenue des dossiers. Pour les patientes, ces documents représentent des informations pérennes, qu’elles pourront consulter à tête reposée pour revenir vers leur sage-femme si elles ont des questions.
Deuxième possibilité : des feuilles avec des cases à cocher, à mettre dans le dossier
Si cela semble impossible d’avoir des documents d’information à remettre aux patientes, il est possible d’établir des feuilles dans le dossier pour chaque type de consultation et examen (contraception, HGPO, frottis…), avec des cases à cocher selon les informations données au fur et à mesure de la consultation.
Par exemple : Pour la pose d’un DIU
Fonctionnement :
Effets secondaires :
Fiabilité :
Prix :
Contre-indications :
Risques :
Motifs de consultation après pose :
Conduite à tenir pour la suite :
2. Les situations sensibles :
Ces situations requièrent de passer plus de temps à remplir le dossier, afin de mieux se protéger contre d’éventuelles mises en cause de sa responsabilité professionnelle : patiente qui refuse des soins (exemple du refus de l’HGPO, du refus de changer de contraception malgré des contre-indications…), patiente avec laquelle le relationnel est difficile, patiente qui évoque des violences…
Exemple 1 : refus de soin
Mme A, primipare, 36 ans, lors d’une consultation de grossesse à 23 SA ne souhaite pas faire l’HGPO.
Les explications sont données sur le fait que le diabète gestationnel est défini par une hyperglycémie pendant la grossesse qui peut augmenter le poids du bébé, ce qui peut augmenter le risque de blessure à l’accouchement pour le bébé ou la mère, de dystocie des épaules pour le bébé, le risque de césarienne, d’hypoglycémie à la naissance, de jaunisse, d’hospitalisation du bébé, d’HTA pour la mère et d’accouchement prématuré si des mesures correctrices ne sont pas mises en place (surveillance, régime, insuline). Le déroulement de l’examen de l’HGPO est détaillé de même que le test de référence pour le diagnostic du diabète.
Elle préfère malgré tout ne pas s’exposer à 75 g de sucre et préfère faire une glycémie à jeun et postprandiale. Explication est alors donnée que les valeurs étudiées sont prévues pour un diabète gestationnel déjà diagnostiqué et qu’il n’y a pas de consensus sur des valeurs de dépistage avec cette méthode. Elle refuse quand même l’HPGO.
Que noter dans le dossier ?
Tout patient a bien entendu la possibilité de refuser les soins proposés.
Article L1111-4 du Code de la santé publique :
• « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Toute personne a le droit de refuser ou de ne pas recevoir un traitement. »
• « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »
Mme A. a donc le droit de refuser l’HGPO et d’opter pour la glycémie à jeun et postprandiale. À partir du moment où les explications ont été données, il est conseillé de noter le détail de ce qui a été dit :
• Information sur les risques liés au diabète gestationnel
• Information sur l’HGPO en elle-même (déroulement, effets secondaires, risques)
• Information sur les autres possibilités de dépistage du DG et sur leurs limites.
L’idéal est de faire signer à la patiente un document sur lequel figure un maximum d’informations données et au moins une phrase du type : « Je soussignée Mme A, après avoir été informée des risques inhérents au diabète gestationnel (macrosomie fœtale, risque de blessure augmenté à l’accouchement, risque de dystocie des épaules, de césarienne, d’hypoglycémie à la naissance…) et de ses conséquences sur ma grossesse (prise de poids excessive, HTA, accouchement prématuré), des autres méthodes de dépistage du diabète gestationnel et de leurs limites, refuse d’effectuer l’HGPO et opte pour la glycémie à jeun et postprandiale. Fait le …., à …… »
Un exemplaire sera remis à la patiente et un autre conservé dans le dossier de la sage-femme. Pour les patientes, le simple fait de rentrer à la maison, d’en discuter avec le conjoint et d’y réfléchir peut faire changer d’avis.
Dans tous les cas, l’information apportée doit être adaptée à la patiente. Il faut s’assurer qu’elle a bien compris les tenants et les aboutissants et respecter son choix, même s’il est jugé critiquable.
Exemple 2 : demande de certificat dans le cadre d’une plainte pénale
Mme V vous demande un certificat comme quoi elle vous a dit que son conjoint voulait des relations sexuelles pendant toute la grossesse alors qu’elle n’avait plus de désir. Vous n’avez pas noté cela sur votre dossier, mais vous vous souvenez que la patiente vous l’a dit. Trois ans plus tard, le couple est séparé et le père est accusé de violence sexuelle par la patiente qui porte plainte.
Code de déontologie de la sage-femme : Article R.4127-333 du Code de la santé publique.
Site du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes :
« La sage-femme est libre de la rédaction du certificat, mais celui-ci doit être parfaitement objectif :
• L’ensemble des lésions et des symptômes constatés doit être décrit. La sage-femme se doit d’éviter toute description dénaturant les faits.
• Il ne faut certifier que les faits médicaux personnellement constatés à travers un examen clinique minutieux.
• Il ne faut pas affirmer ce qui n’est que probable et ne pas interpréter les faits : le certificat doit se borner aux constatations de la sage-femme sans se livrer à des interprétations hasardeuses et encore moins partiales.
• La sage-femme rapporte les dires de la patiente sur le mode déclaratif et entre guillemets (« Madame X dit avoir été victime de… »).
En pratique, la sage-femme est tenue de constater objectivement les lésions et signes qui témoignent de violences avant de rédiger le certificat. Elle doit consigner avec précision ses constatations et ne peut présenter comme fait certain des agressions sur la seule foi de déclarations. Elle doit décrire avec précision et sans ambiguïté les signes cliniques de toutes les lésions : nature, dimensions, forme, couleur… »
Si vous n’avez rien noté dans le dossier concernant les propos de Mme V, que vous n’avez rien constaté de particulier, lésions, symptômes, il semble difficile de faire un certificat pour cette patiente.
Il est certain que cela ne convient pas en ce qui concerne les violences psychologiques ou si les violences ne laissent pas de lésions visibles.
C’est pour cette raison qu’il faut noter dans le dossier toute évocation de violences, même si la patiente ne souhaite pas être aidée.
Ensuite la professionnelle de santé est libre de faire ou pas le certificat, en son âme et conscience.
Exemple 3 : complication après pose d’un DIU
Mme D, 44 ans, a bénéficié de la pose d’un DIU au cuivre. À la visite de contrôle, deux mois plus tard, les fils ne sont plus visibles. Vous vous souvenez avoir été très fatiguée pendant la période où vous avez posé le DIU. À l’écho, le DIU est dans l’abdomen. Vous vous souvenez avoir parlé des bénéfices et risques lors de la consultation avant la pose, avec explication du déroulé du geste, mais vous n’avez rien noté dans le dossier de la conversation. Si la patiente portait plainte (ce qui n’est pas son intention) sur quoi pourrait-elle attaquer la sage-femme ?
Quels éléments sont à tracer en pratique de routine ?
Là aussi, le fait d’avoir un document à remettre sur les DIU, contenant les informations sur les avantages, les inconvénients, les risques, les effets secondaires, la fiabilité, le prix… permet d’avoir une tranquillité d’esprit au moins en matière d’information des patientes. Le document est remis lors de la première consultation, lors de la prescription du DIU. Lors de la pose, il est possible de répondre aux questions éventuelles et de rappeler les informations essentielles (précautions, effets secondaires fréquents et/ou graves, motifs de consultation suite à la pose). Noter alors au dossier que le document d’information a été remis, et, en quelques phrases ou mots, les points ré-abordés pendant la pose.
Si la patiente souhaite attaquer la sage-femme et si rien n’est noté dans le dossier concernant l’information donnée et que la patiente estime qu’elle n’a pas été informée sur les risques fréquents et/ou graves du DIU, un juge pourrait considérer que la sage-femme n’a pas rempli son devoir d’information. Ce manquement pourrait être reconnu en dehors de toute faute de pratique (DIU mal posé, fils trop courts…) qui aurait pu causer la migration du DIU dans l’abdomen. La sage-femme peut être condamnée au paiement de dommages et intérêts pour défaut d’information ayant causé une perte de chance d’éviter le dommage. C’est-à-dire que si la patiente avait été correctement informée des risques du DIU, des autres possibilités de contraception, des effets secondaires, elle aurait pu choisir un autre moyen de contraception.
Dans ce cas, le magistrat (à l’aide d’un expert médical) établit un pourcentage de chance d’avoir pu refuser le DIU, en fonction des autres possibilités, et calcule le montant du préjudice en appliquant ce pourcentage de perte de chance.
Par exemple : vous n’êtes pas en mesure d’apporter la preuve que la patiente a reçu une information sur les risques du DIU. La patiente ne présentait pas de contre-indication particulière aux autres moyens de contraception. Le DIU que vous avez posé a migré et contraint la patiente à subir une intervention chirurgicale. Même si techniquement le geste de pose n’est pas mis en cause, la migration du DIU fait partie des risques suffisamment graves et/ou fréquents pour que la patiente ait dû être informée. Le juge considère que si elle avait su, elle aurait probablement choisi un autre moyen de contraception. Votre défaut d’information est une faute qui a causé une perte de chance de 50 % d’éviter le dommage.
Exemple 4 : refus de soin
Une femme de 25 ans vient en consultation pour un renouvellement de pilule. La prescription a été faite par le médecin traitant et mise en place il y a quatre ans. Après interrogatoire poussé, elle présente une contre-indication formelle (ATCD familial d’embolie pulmonaire) aux œstroprogestatifs. Après discussion, la femme refuse de changer de pilule parce qu’après en avoir testé plein, c’est la seule qui lui convient. Comme la femme est consciente des risques, la sage-femme décide de renouveler la pilule pour éviter l’apparition d’une grossesse non désirée.
Que risque la sage-femme en cas d’embolie pulmonaire de la femme ?
Comment tracer dans le dossier ?
Ce cas peut être assimilé à un refus de soin. La patiente refuse de changer de traitement alors que celui-ci peut lui porter préjudice.
C’est encore un cas particulier qui justifie d’y passer du temps, notamment pour se prémunir contre un éventuel recours. Comme pour le refus de l’HGPO, un document précis peut être remis à la patiente :
• les risques liés à cette contraception avec ses antécédents,
• les alternatives existantes,
• les signes à surveiller pour la survenue d’une embolie pulmonaire,
• les symptômes qui doivent la conduire à se rendre immédiatement aux urgences.
Le document à signer indiquera aussi : « Je soussignée Mme X, née le …, informée des risques ci-dessus énoncés de la contraception…, des alternatives et des signes à surveiller, choisis de continuer à prendre cette contraception et demande à Mme Z, sage-femme libérale, de me la prescrire. Fait à …., le… »
Chaque partie en gardera un exemplaire. Il est aussi possible d’adresser un courrier expliquant la situation au médecin traitant. Si la patiente fait une embolie pulmonaire par la suite, mais qu’il est possible de prouver qu’elle a été parfaitement informée des risques, des alternatives et des symptômes à surveiller, la responsabilité de la sage-femme ne pourra pas être engagée.
Si la patiente fait une embolie pulmonaire et qu’aucune preuve ne peut être apportée qu’elle a été informée des risques compte tenu de ses antécédents, la responsabilité de la sage-femme pourra être mise en cause, ainsi que celle du médecin traitant. Il s’agit d’une faute technique et une condamnation pour indemnisation des préjudices peut être prononcée.
3. Les risques pour la sage-femme libérale si le dossier médical est incomplet
Concernant les actes réalisés (prescriptions, examens) : s’ils ne figurent pas au dossier médical et qu’un litige a lieu, la responsabilité de la sage-femme sera mise en jeu. Le dossier médical n’est pas une preuve absolue, mais c’est un élément fondamental. Il faut donc être le plus complet possible, noter les constantes, l’examen du col, les résultats, les examens prescrits…, éviter les « RAS » ou « normal », il faut noter à quoi correspond la norme.
En matière de responsabilité professionnelle, le dossier médical doit être complet. Si le dossier est perdu ou qu’il manque des éléments (RCF, résultats…), les juges considèrent cela comme une faute de surveillance (par exemple s’il manque le tracé du RCF dans un dossier d’accouchement).
Cette faute ne cause pas de préjudice en elle-même, mais c’est une perte de chance pour la patiente de prouver qu’une faute a été commise (dans le cas de l’exemple du manque du tracé du RCF, le fait qu’il soit manquant ne permet pas de déduire qu’une faute a été commise, mais cela empêche la patiente de le prouver).
Concernant l’information donnée : c’est en matière d’information que les frontières sont plus difficiles à définir. Que risque-t-on lorsqu’une patiente conteste avoir été bien informée ou qu’un préjudice est constaté et qu’il est établi que la patiente n’avait pas été correctement informée au préalable ? Jusqu’où informer, sur quoi ?
L’article L1111-2 du Code de la santé publique dispose :
« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur :
• les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés,
• leur utilité,
• leur urgence éventuelle,
• leurs conséquences,
• les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent,
• les autres solutions possibles,
• les conséquences prévisibles en cas de refus.
(…) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen. »
On peut légitimement se poser la question dans le cadre d’une grossesse physiologique et d’une patiente qui prépare son accouchement. Jusqu’où informer ? Faut-il informer sur tous les risques possibles de la grossesse et de l’accouchement alors qu’un accouchement peut se dérouler de façons très différentes, que les interventions médicales peuvent être nombreuses ?
Une obligation d’information existe en matière d’accouchement par voie basse, mais elle n’est pas systématique. Celle-ci ne sera obligatoire que lorsque la mère ou l’enfant sont exposés à des risques particuliers (enfant macrosome, diabète gestationnel, position fœtale dystocique, antécédents d’enfant macrosome, déchirure périnéale grave, hémorragie du post-partum…).
Les risques « non majorés » ne relèvent pas du champ de l’obligation d’information : c’est-à-dire qu’il n’est pas utile de dresser un catalogue des complications possibles d’un accouchement par voie basse à une femme dont la grossesse est parfaitement physiologique.
La tenue du dossier médical est complexe, prend du temps et amène à s’interroger sur le suivi de ses patientes : quelles sont les informations importantes ? Comment sont-elles perçues ? Comment les retranscrire ? Le dossier médical partagé (DMP) qui verra (peut-être) le jour en 2022, va amener à de nouvelles questions concernant ce qui doit être noté dans ce dossier, les éléments à conserver.
Évidemment, les relations avec vos patientes se font majoritairement dans la confiance, l’information et l’échange, mais il est important de se protéger et pour cela d’avoir une routine pour les actes de la pratique courante, et de noter un maximum d’éléments dès qu’une situation est inconfortable (grande fatigue, relationnel difficile, doute technique, situations de violences…). Nul ne se reprochera jamais de trop noter.
Marie Josset-Maillet, Avocate
Textes de références
– Code de la santé publique
– Code de déontologie