« Les sages-femmes ont appris à composer en situation de domination »

En 2017, l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) a reçu pour mission du ministère de la Santé de lancer une étude sur la prise en charge sexuelle et reproductive des femmes. Dans ce cadre, une étude sur les différents professionnels impliqués dans ce champ a été confiée au Laboratoire d’études et de recherche en sociologie, des universités de Bretagne occidentale et de Bretagne-Sud. Le rapport intitulé La sage-femme, le généraliste et le gynécologue : les enjeux des relations entre métiers en tension, de Florence Douguet et Alain Vilbrod, a été mis en ligne en octobre dernier.

Alain Vilbrod et Florence Douguet, sociologues du Laboratoire d’études et de recherche en sociologie. © D.R.

Dans ce rapport, vous revenez sur la genèse des professions d’obstétricien, gynécologue et sage-femme. Quel était votre objectif ? Alain Vilbrod : L’un des enjeux était de savoir dans quelle mesure les différents professionnels impliqués peuvent coopérer. Dans le chapitre historique, notre prisme est nouveau. Nous retraçons l’histoire des interactions entre les différents professionnels, en soulignant ce qu’il a pu en être des rapports de domination qu’ont vécus les sages-femmes, alors qu’historiquement ce sont elles qui occupaient la première place auprès des femmes. La situation actuelle est redevable de cet héritage dont les uns et les autres peinent à se libérer. Il n’y a qu’à voir la victoire sémantique des médecins, avec l’expression « accouchement à bas risque » qui s’est imposée pour évoquer les accouchements physiologiques ou eutociques. C’est donc davantage qu’un rappel historique, mais une focale sur les interactions entre les différents acteurs à travers le temps. Sans surprise, vous décrivez des relations en tensions. De quelle nature sont-elles ? Florence Douguet : Il s’agissait de montrer les freins et les difficultés de collaboration entre ces professionnels, mais aussi d’analyser les éventuels leviers qui existent pour surmonter ces tensions. Nous avons par exemple montré que dans les maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), le fait de cohabiter dans une même structure ne rend pas les collaborations plus faciles. Médecins et sages-femmes n’ont pas les mêmes préoccupations de départ lorsqu’ils montent de tels projets. Ils interviennent dans des champs différents. De nombreuses sages-femmes en MSP ont l’espoir que les généralistes leur adressent des femmes, ce qui n’est pas nécessairement le cas sur le terrain. Globalement, nous avons montré que « les médecins parlent aux médecins » et que les généralistes se tournent davantage vers les gynécologues. La proximité ne fait pas nécessairement plus de lien. Les médecins ont conservé leurs habitudes de collaborations avec leurs collègues ou les…

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