Quelles sont vos activités à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis ?
Mon objectif principal est de m’occuper des femmes enceintes. Depuis 1994, le suivi des femmes enceintes incarcérées dépend d’un hôpital de proximité. Je suis employée par l’hôpital de Corbeil-Essonnes, affectée à temps partiel à l’unité de consultations et de soins ambulatoires (Ucsa), qui se situe à l’intérieur de la prison. En plus d’assurer le suivi des femmes enceintes, je fais un peu de suivi gynécologique. Les femmes qui me connaissent sont demandeuses. J’y suis présente trois demi-journées par semaine. Avec une conseillère familiale du département, nous organisons également des ateliers mensuels d’éducation à la sexualité.
Qui sont les femmes que vous rencontrez ?
Il y a environ 300 femmes, mais avec la crise sanitaire, leur nombre a fortement chuté. Les bâtiments sont très vétustes. Les femmes peuvent être jusqu’à six par cellule, avec des lits superposés. À côté, il y a une unité spéciale : la nurserie. C’est un lieu fermé, complètement séparé du reste de la prison, qui se situe à l’opposé de l’Ucsa, où je reçois les dames. Elles y vont à partir de six mois de grossesse. Il y a douze cellules individuelles, plus grandes que les cellules collectives. Celles qui gardent leur enfant y reviennent avec lui après leur accouchement. Peu de prisons sont équipées de ce type de service. La nurserie de Fleury-Mérogis est la plus grande de France. Les autorités pénitentiaires y transfèrent parfois des femmes de très loin : de toute la France, y compris des Antilles.
Il y a des prévenues en attente de leur jugement et des femmes déjà condamnées. Avant, il y avait beaucoup de femmes punies pour des petits délits. Leurs peines étaient assez courtes, de quelques mois. Quand elles étaient enceintes, elles pouvaient sortir avant d’accoucher. À mes débuts, j’ai suivi une terroriste de l’ETA condamnée à trente ans de réclusion.
Je me souviens d’une autre femme soupçonnée d’avoir tué son mari, qui risquait aussi une longue peine. Mais ces situations sont rares. De nombreuses femmes sont condamnées à des peines d’environ deux ans. Elles ont souvent fait office de mules, transportant de la drogue depuis l’Amérique du Sud. Celles-là vont au bout de leur grossesse. Elles accouchent puis sortent après quelques mois. Les enfants peuvent rester en cellule avec leur mère jusqu’à 18 mois. Cela pose d’ailleurs question quand l’enfant commence à marcher.
Comment vont-elles ?
Pas bien. Quand elles arrivent dans la prison, il y a au moins une semaine où elles sont en état de choc. C’est parfois très violent. Il faut du temps pour qu’elles retrouvent un peu de calme. Toutes différentes, ces femmes présentent les mêmes pathologies qu’en population générale, avec tout de même une vraie surreprésentation de pathologies psychiatriques. Les médecins font ce qu’ils peuvent, mais dans cet environnement, ce n’est pas facile. Comme à l’extérieur, certaines présentent des pathologies de grossesse. Leur suivi est forcément plus compliqué. Parfois, avec les médecins, nous essayons de faire sortir ces dames. On a réussi pour un placenta praevia, une grossesse gémellaire…
Dans quelles conditions se déroulent les grossesses ?
Quand les femmes sont enceintes, elles sont mieux traitées, plus protégées. Entre les femmes incarcérées, il peut y avoir beaucoup de violence. Certaines sont enfermées pour ce motif alors qu’en réalité, elles souffrent de pathologies psychiatriques. Quand une grossesse est connue, les détenues font plus attention. Les informations circulent très vite et les femmes enceintes subissent moins de violences. Quand elles rejoignent la nurserie, elles ont davantage de liberté. En détention normale, elles ont une heure de promenade par jour. À la nurserie, les portes des cellules sont ouvertes de 10 h à 12 h, puis de 14 h à 16 h. Elles ont accès à plusieurs espaces collectifs, dont un à l’extérieur. Ensuite, les femmes accouchent à la maternité de l’hôpital de Corbeil. Pour elles, c’est pire que la prison. Avec deux surveillants à la porte de leur chambre, elles n’ont pas du tout le droit de sortir, ne peuvent pas aller marcher. On essaie de les faire sortir 75 heures après la naissance, généralement après le test de Guthrie de l’enfant. Pour leur post-partum, elles retournent à la nurserie où il n’y a pas de sage-femme, seulement du personnel de crèche. Des puéricultrices de la PMI sont parfois présentes. Celles à qui on retire leur enfant retournent en détention classique. Sauf exception, je ne vois plus les femmes après leur accouchement.
L’expérience de la maternité doit être difficile…
Ces femmes sont très isolées. Leur famille est absente. Quand elles ne sont pas encore jugées, elles n’ont pas le droit de téléphoner. Leur principale préoccupation concerne ce qu’elles pourraient mettre en place pour sortir le plus rapidement possible. Elles ne pensent qu’à ça. Elles investissent difficilement leur grossesse. Une fois l’enfant arrivé, c’est différent. J’essaie de voir chaque femme enceinte au moins une fois par semaine. Parfois, je peux avoir trois dames enceintes. En ce moment, il y en a plus de dix, mais certaines vont sortir avant leur accouchement. Certaines activités (prise de tension, bandelette urinaire, vérification des examens, etc.) doivent être faites régulièrement, chaque mois. Mais cela prend peu de temps, d’autant moins qu’on ne réalise plus systématiquement d’examen clinique. Donc je vois surtout les femmes pour discuter. Il n’y a pas de fil conducteur. C’est souvent elles qui amènent le sujet. En général, elles ne vont pas bien. J’accueille tout type de parole. Je ne réoriente pas forcément sur la maternité ou la parentalité. Quand ce n’est pas dans mes compétences, je passe le relai. Je peux demander que la dame soit vue quotidiennement par la psychologue ou par une infirmière psy.
Et les IVG ?
Il y a régulièrement des demandes. Certaines femmes font ce choix justement parce qu’elles sont en prison. Le fait de travailler aussi au centre de planification de l’hôpital me simplifie l’organisation des rendez-vous. En prison, les IVG médicamenteuses sont impossibles. Il y a trop de risques d’hémorragie, car les femmes sont enfermées plus de douze heures la nuit. Donc ces femmes ont forcément une IVG par aspiration.
Vous organisez aussi des ateliers collectifs…
Nous avons monté ce projet avec la conseillère familiale. J’avais commencé mon DU de sexologie depuis un an. Nous avons débuté en septembre 2019, avec un arrêt au plus fort de la crise sanitaire liée au Covid. La priorité porte sur les femmes enceintes, mais toutes les détenues peuvent participer. C’est difficile d’avoir du monde. Les surveillantes, en sous-effectif, ne font pas toujours passer le message. Pour faire accepter cet atelier, nous avons dû modifier l’intitulé. C’est devenu un atelier de prévention et de lutte contre les violences sexuelles, puis un atelier sur la vie émotionnelle. Chaque mois, nous y recevons entre 2 et 10 femmes pendant 1 h 30 au moins. Cela peut durer la demi-journée. Au démarrage, nous attendons très longtemps, car les surveillants commencent à appeler les femmes seulement après notre arrivée. Nous partons souvent des paroles amenées par les femmes au cours d’un tour de table. L’éducation à la sexualité est une éducation à la vie, au respect d’autrui et de soi-même. Quand on parle de violences, on détaille le contenu de la loi. Cela peut faire du chemin dans la tête des femmes qui écoutent, les aider à comprendre pourquoi elles en sont là aujourd’hui. Sur le moment, ça peut être douloureux, mais à plus long terme, c’est parfois bénéfique. Par exemple, une femme a réalisé avoir été violée par son cousin à l’âge de 14 ans. Pour elle, j’ai demandé un suivi par une infirmière psy chaque jour. Je l’ai ensuite revue en individuel pour en rediscuter. Elle raconte avoir compris plein de choses d’elle. Nous pouvons aussi demander de dessiner un homme et une femme nus, pour parler d’anatomie et du fonctionnement des organes. Je peux aussi les encourager à contracter leur périnée. C’est très variable. Ça marche super bien. On discute, on rigole, elles apprennent des choses. Pour elles, c’est une bouffée d’air frais. Quand elles peuvent, elles reviennent. Certaines m’écrivent aussi pour me revoir en consultation.
Cette activité n’est-elle pas trop difficile ?
En prison, on développe des liens assez forts. Il faut beaucoup s’investir dans la relation sous peine de ne pas créer de lien. Or, sans lien, les patientes refusent le suivi. En outre, elles sont très isolées, très vulnérables. Elles n’ont plus de nom, sont devenues des numéros. La sage-femme ou la psychologue, nous sommes un peu les seules avec qui elles peuvent discuter. Cela prend beaucoup d’énergie. À Fleury, une consultation dure 45 minutes, contre 10 minutes à l’hôpital. Cela permet de travailler de manière plus humaine. Pour une sage-femme, la prison est assez confortable : il y a des médecins, des psychologues, des infirmières. Les surveillants sont aussi présents quand on a un problème. Cela ne m’est arrivé qu’une fois, avec une patiente psychotique qui n’avait rien à faire là. Mais cette activité reste assez lourde. Les situations sont difficiles et j’y pense beaucoup, y compris hors des murs de la prison.
Bio express
2012
Poste à l’hôpital Sud Francilien, à Corbeil-Essonnes
2010
Tiers temps à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis
2015
Poste au centre de planification familiale de l’hôpital Sud Francilien
2018
Inscription en DU de sexologie
■ Propos recueillis par Géraldine Magnan