« Consentir n’est pas choisir »

En octobre 2022, Claudine Schalck, sage-femme et chercheuse associée au Centre de recherche sur le travail et le développement en France, et Raymonde Gagnon, sage-femme et docteure en sciences humaines appliquées au Québec, publient chez L’Harmattan un essai bilingue intitulé Quand déclencher l'accouchement, c'est confisquer la maternité aux femmes. Elles proposent une critique féministe de l’étude French Arrive.

Préfacé par Philippe Cornet, professeur de médecine et docteur en sociologie à l’Université de la Sorbonne, l’essai de Claudine Schalck et Raymonde Gagnon dissèque l’étude French Arrive pour, en réalité, dénoncer plus largement la politique du déclenchement à 39 SA de femmes en bonne santé. Pour les autrices, cette pratique, déjà répandue aux États-Unis et qui débute en France, fait du corps féminin un objet défaillant et à risque, une fois de plus dans l’histoire médicale. 

Laissant la critique méthodologique de côté, elles ont choisi l’approche interactionniste en psychologie du travail pour analyser ce qui est à l’œuvre lors d’un accouchement entre les acteurs, femmes et soignants, et dans une recherche comme French Arrive. Cette approche tente d’éclairer la dimension subjective des comportements pour comprendre « ce qui profite vraiment à chacun ». « En psychologie du travail, nous prenons toujours un matériel actuel, et non du passé, explique Claudine Schalck. Or French Arrive est une étude toujours en cours. »

Les deux sages-femmes rappellent qu’un accouchement implique une coactivité de soins entre soignants et soignés. La subjectivité est impliquée et le soin et la santé ne sont pas « réductibles à une simple logique médicale ». « Or les seules activités qui ne comptent pas sont celles des femmes, parce que ces activités ne sont pas définies comme un travail », dénonce Claudine Schalck. Au final, le dispositif de recherche, même s’il interroge une pratique, « vient dire aux femmes où, quand et comment elles doivent accoucher ». Sans surprise, l’essai des deux sages-femmes et surtout sa mise en exergue dans un éditorial de Richard Horton dans le Lancet du 3 décembre 2022 ont indigné les investigateurs de l’étude French Arrive, qui ont demandé et obtenu un droit de réponse dans le Lancet.

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DROITS DE RÉPONSE

« Contrairement aux accusations portées contre nous, nous sommes préoccupés par la mise en œuvre d’une politique de déclenchement systématique pour les femmes à bas risque, en particulier parce que nous avons démontré que le déclenchement est un facteur indépendant de stress post-traumatique deux mois après l’accouchement », notent Loïc Sentilhes et plusieurs collègues dans leur droit de réponse. « Nous cherchons justement à vérifier la validité de l’essai Arrive, qui est à peine mentionné par les autrices ou le Lancet, alors que de nouvelles pratiques pourraient concerner des millions de femmes dans le monde si, et -seulement si, les preuves les plus solides sont apportées, plaide encore Loïc Sentilhes. Concernant le financement public de près de deux millions d’euros qui est reproché, il faut savoir que les médecins participant à l’étude, contrairement aux usages aux États-Unis, n’en touchent pas un centime et travaillent bénévolement pour l’essai. » Le titre de l’éditorial de Richard Horton dans le Lancet, « Elles accusent ! », repris sous la forme « J’accuse » dans un passage du texte, a aussi indigné. « Le parallèle avec l’affaire Dreyfus, une des pages les plus sombres de l’antisémitisme français, est abject de la part de cette revue », estime Loïc Sentilhes. Un autre droit de réponse, rédigé par 17 spécialistes internationaux et accepté par le Lancet reprend les mêmes arguments. Il estime aussi que, si le débat sur la médicalisation de la naissance est nécessaire, il doit avoir lieu sans invective ni propos inflammatoires. 

DU CONSENTEMENT

Si l’on aurait souhaité que la critique de Claudine Schalck et Raymonde Gagnon porte autant sur Arrive que French Arrive, elle soulève des questions capitales, notamment en matière d’information faite aux femmes, de leurs choix et de leur consentement. Étant donné que les obstétriciens français s’opposent sur les interprétations et les implications pratiques qui découlent de l’étude américaine et de l’étude française en cours, les discours tenus auprès de leurs patientes sur le terrain reflètent bien leur propre subjectivité et non la science. Pour les deux autrices, il s’agit d’une « stratégie d’influence ». L’information donnée aux primipares à qui il est proposé de participer à l’essai French Arrive « valorise les hypothèses et résultats » de l’essai américain. La brochure présentée aux femmes ne dit en effet rien du débat actuel entre obstétriciens sur le sujet. « La brochure explicative relativise le dispositif », estiment les autrices, et elle « utilise un vocabulaire tendancieux avec une terminologie affective (…) censé s-usciter l’adhésion ». Et ce qui est présenté comme un choix ne serait au final qu’une injonction contradictoire entre accepter une médicalisation ou risquer de souffrir ou d’être exposée à des risques graves. Et, alors que dans Arrive et French Arrive, une majorité de femmes ont refusé ou refusent encore de participer, les femmes qui acceptent sont-elles les plus vulnérables pour être en mesure de se positionner ? « Consentir n’est pas choisir », affirment ainsi les autrices. 

■ Nour Richard-Guerroudj