Parcours Cocon : repérer plus tôt les troubles du neurodéveloppement

Les réseaux de périnatalité d’Occitanie, Nouvelle-Aquitaine et Provence-Alpes-Côte d’Azur portent un projet d’expérimentation d’innovation en santé : le parcours Cocon. Ce parcours de soins précoces et coordonnés du nouveau-né vulnérable vise à repérer très tôt des signes de fragilité dans la trajectoire neurodéveloppementale de l’enfant et à enclencher rapidement des soins rééducatifs, si besoin. Stéphanie de Bortoli, cheffe du projet Cocon en Nouvelle-Aquitaine, et Patricia Garcia-Méric, médecin-pédiatre coordinatrice en Paca, détaillent ce projet pilote, inédit en France.

De quels constats est né le parcours Cocon ?

Patricia Garcia-Méric : En PACA, un réseau de suivi des enfants prématurés nés à moins de 33 SA existait, avec un calendrier prévisionnel de consultations et un recueil informatique des examens. Par ailleurs, selon la pathologie de l’enfant, des consultations spécifiques – de neuropédiatrie par exemple – étaient proposées mais sans calendrier organisé, ni recueil des données développementales. J’avais en outre constaté que l’accès aux soins était limité pour les familles les plus précaires ou les plus éloignées des professionnels de santé. Certaines prises en charge n’étaient pas prescrites car non remboursées. Cocon vient répondre à tout cela. L’ARS nous a proposé en 2018 de travailler sur cette thématique du suivi des nouveau-nés vulnérables, dans le cadre de l’article 51 de la loi de Finance de la sécurité sociale (qui permet le financement d’expérimentation innovante en santé, NDLR). On nous a proposé ensuite de nous associer aux deux autres régions pour une co-construction encore plus adaptée du parcours Cocon, qui se déploie progressivement depuis septembre 2022 en PACA et Occitanie, et janvier 2023 en Nouvelle-Aquitaine. 


Patricia Garcia-Méric est pédiatre et coordinatrice du réseau de périnatalité de Provence-Alpes-Côte d’Azur.
© D.R.

Stéphanie de Bortoli : La Nouvelle-Aquitaine ne possédait pas de réseau de suivi des enfants vulnérables, et c’était le souhait de Muriel Rebola, médecin-pédiatre et coordinatrice du parcours au réseau périnatal, de le développer. C’est dans ce contexte que l’ARS lui a proposé de déposer son projet dans le cadre de l’article 51. En Occitanie, la fusion des réseaux des anciennes régions a permis de réfléchir à de nouvelles modalités de prise en charge, certains départements proposant déjà des soins de psychomotricité et de soutien psychologique financés par l’ARS. L’intérêt du parcours Cocon est de repérer dès la naissance – voire dès la période anténatale – les nouveau-nés à risque de troubles du neurodéveloppement (TND). Cela permet de les orienter vers des consultations spécialisées dans le but de repérer très tôt, en particulier au cours des deux premières années de vie, des signes précurseurs apparaissant avant même les signes d’alerte de TND. La prise en charge de ces enfants est donc ultra-précoce. En outre, Cocon harmonise le parcours de soin entre les divers professionnels impliqués, notamment pour éviter les perdus de vue. 

Quels enfants sont intégrés dans le parcours Cocon ?

S.de B. : Il concerne les enfants sortis d’hospitalisation après le 15 septembre 2022 en Occitanie et PACA (après le 1er janvier 2023 en Nouvelle-Aquitaine), et répondant à certains critères d’inclusion. Ceux-ci se basent sur les facteurs de haut risque ou de risque modéré cités par l’HAS : prématurité importante ou modérée, pathologie néonatale sévère, exposition du fœtus à l’alcool ou à d’autres toxiques, causes infectieuses néonatales… Les facteurs de risques familiaux – vulnérabilité socio-économique élevée, et/ou psycho-affective – sont aussi des facteurs aggravants pris en compte. L’inclusion dans le réseau, qui nécessite bien sûr l’accord des parents, est organisée avec les services de néonatalogie, de maternité et autres services hospitaliers pédiatriques ayant accueilli des enfants éligibles au suivi, et en lien avec les autres partenaires. 

P. G.-M. : Il est aussi possible d’inclure un enfant de moins d’un an de façon rétroactive. Au-delà d’un an, la prise en charge dans le cadre de Cocon perd de sa pertinence car il ne s’agit alors plus de prévention précoce. À terme, durant les 5 ans de l’expérimentation (2022-27) qui se déploie progressivement sur les territoires, 13 000 enfants seront suivis sur les 3 régions. Avec ce parcours, on espère aussi diminuer les adressages vers des centres d’action médico-sociale précoce (CAMSP), surchargés. 


Stéphanie de Bortoli est cheffe du projet Cocon au sein du réseau périnatal de Nouvelle-Aquitaine. © D.R.

Comment se déroule concrètement le parcours Cocon ?

P. G.-M. : Le repérage anténatal par les sages-femmes, les gynécologues, les médecins ou les puéricultrices est essentiel. Le repérage post-natal également : les sages-femmes intervenant à domicile peuvent remarquer certains signes. Le nouveau-né vulnérable est inclus dès la naissance dans le parcours, qui sera financièrement pris en charge à 100 % dans le cadre de l’expérimentation. Les médecins référents Cocon (pédiatres, médecins de PMI, de CAMSP ou généralistes formés) assurent 5 consultations spécifiques de suivi la première année, 2 consultations la deuxième année, puis une consultation annuelle jusqu’aux 5 ans de l’enfant dans le cadre de l’expérimentation. Le suivi sera poursuivi jusqu’aux 6 ans révolus de l’enfant au sein du réseau.

S. de B. : Si le suivi met en évidence un ou des signes précurseurs de signal d’alerte, des soins (orthophonie, psychomotricité, ergothérapie, kinésithérapie, accompagnement psycho-affectif, orthoptie), sans délai de prise en charge, sont mis en place avec des professionnels, formés également. L’objectif est d’agir précocement sur le cerveau afin d’éviter un handicap ou un sur-handicap. Chaque consultation fait l’objet d’un bilan, inscrit dans le dossier de l’enfant. Les professionnels le complètent via un logiciel e-santé spécifique à chaque région – Paaco-globule en Nouvelle-Aquitaine, SPICO en Occitanie, Azurezo en PACA – pour échanger les informations et coordonner le parcours. Les professionnels sont formés à ces outils, qui par ailleurs nous alertent si l’enfant n’a pas suivi un soin programmé.

Comment fédérez-vous tous ces professionnels ? 

S. de B. : Leurs retours sont très positifs : ils croient au projet et le portent avec nous, c’est une émulation précieuse ! Ils doivent répondre à des critères définis : par exemple avoir de l’expérience auprès des enfants, et des cabinets adaptés. Nous conventionnons avec des professionnels libéraux ou hospitaliers et des établissements publics et privés. En Nouvelle-Aquitaine, nous recensons à ce jour plus de 200 professionnels (médecins et paramédicaux) sur les 4 départements où a débuté le parcours Cocon (17, 33, 64 et 87), un chiffre évolutif. Trois infirmières-puéricultrices sont chargées de les contacter et font le lien entre eux et l’équipe Cocon, ainsi qu’entre les parents et l’équipe. Pour les professionnels, c’est intéressant : ils acquièrent une spécialité en étant formés à la détection de signes précoces du TND. Des réunions de coordination pluridisciplinaires sont par ailleurs organisées pour évaluer le projet de soins d’un enfant, et financées.

P. G.-M. : En PACA Ouest où a débuté le parcours, on compte à ce jour plus de 250 professionnels Cocon. Mailler finement le territoire est essentiel pour éviter l’arrêt des soins faute de services paramédicaux à proximité du domicile de la famille. En Occitanie, où le réseau de suivi des enfants vulnérables est implanté depuis de nombreuses années, près de 400 professionnels sont conventionnés Cocon, dont 180 médecins.

Le parcours Cocon est intégralement pris en charge, y compris les soins hors nomenclature : comment est-il financé ?

S. de B. : La précarité aggrave la vulnérabilité de l’enfant. L’une de nos missions est de garantir le même parcours de soins pour tous, la même qualité de prise en charge. L’expérimentation Cocon repose sur des modes de financement inédits. Elle est cofinancée par l’Assurance Maladie et l’ARS à travers des prises en charge par le FIR (fonds d’intervention régional) et le Fiss (fonds innovation du système de santé). Le besoin de financement pour la totalité de l’expérimentation s’élève à plusieurs millions d’euros. Concrètement, dès qu’un enfant est inclus dans le parcours, un forfait annuel de suivi médical est déclenché. Si des soins rééducatifs sont prescrits, un forfait annuel de soins est déclenché également (forfait 0-2 ans, forfait 3-5 `ans). Des forfaits de renouvellement de soins sont aussi prévus, ainsi qu’un bilan neuropsychologique entre 4 et 5 ans. Ces fonds sont versés aux équipes Cocon, qui règlent ensuite les professionnels. 

Que se passe-t-il lorsque l’enfant présente des signes d’alerte de troubles du neurodéveloppement ? 

P. G.-M. : Selon l’importance des signes, on peut enclencher des soins Cocon en attendant une place dans une structure de type CAMSP ou CMPP avec lesquelles nous conventionnons également. Si l’enfant rejoint un CAMSP par exemple, le forfait de soins Cocon s’arrête – sauf s’il n’y a pas de soins paramédicaux en interne – mais le suivi médical continue, en général au sein du CAMSP. Si l’enfant est en attente d’une place dans ces structures, il est orienté vers la plateforme de coordination et d’orientation (PCO) de son département, qui prend le relai des soins Cocon. Cette plateforme finance et coordonne alors les bilans et soins nécessaires pour établir le diagnostic du TND de l’enfant, ce qui permet de constituer le dossier de demande de MDPH. La PCO peut s’appuyer sur le médecin Cocon de l’enfant qui continue de le suivre, pour coordonner ses soins et accompagner la famille. 

■ Propos recueillis par Laetitia Bonnet