Les femmes en situation de handicap accèdent moins aux soins gynécologiques. Près de 66 % des femmes accueillies dans un établissement -médicosocial (ESMS) d’Île-de-France n’ont pas de suivi gynécologique régulier, 85 % n’ont jamais eu de mammographie et 26 % n’ont jamais eu de frottis. Ces données issues de l’étude Handigynéco menée en 2016-2017 ont aboutit à la mise en place de la Démarche éponyme, soutenue par l’Agence régionale de santé et Vyv3, un groupement mutualiste.
Issue de plusieurs années d’études et d’expérimentations, le projet vise à améliorer le suivi gynécologique des femmes en situation de handicap, à promouvoir le respect de la vie affective et sexuelle (VAS) et à prévenir les violences faites aux femmes (VFF). De façon opérationnelle, le projet est bâti autour de sages-femmes qui vont vers les femmes. Aujourd’hui, la Démarche Handigynéco recherche des sages-femmes volontaires pour des actions rémunérées.
DES CONDITIONS ATTRACTIVES
Les sages-femmes souhaitant rejoindre la démarche seront d’abord formées pendant trois jours. Animée par un binôme psychologue/sage-femme, la formation permet d’acquérir des compétences pour intervenir auprès de femmes en situation de handicap. Les différents types de handicap sont présentés par des spécialistes et personnes concernées. Le programme comprend aussi des mises en situation de consultation et d’animation de groupe et un volet concernant le travail en réseau avec les ressources du territoire. En fin de formation, les sages-femmes auront accès à une plateforme recensant les différents outils et ressources mis à jour. Puis, à travers un conventionnement, elles interviendront au sein de 2 à 3 établissements régulièrement. Accompagnées par l’équipe porteuse du projet, elles rencontreront les équipes des ESMS. Elles devront proposer au moins 35 consultations individuelles par an et animer jusqu’à 12 ateliers collectifs de 2 à 3 heures de sensibilisation sur la VAS et les VFF.
« En s’engageant, les sages-femmes ne perdent pas d’argent », souligne Benjamin Vouhé, chargé du projet en Île-de-France. En plus du tarif de base et des indemnités kilométriques classiques prévus, chaque consultation est rémunérée 52 euros de plus. Chaque atelier est payé 50 euros par heure et l’Assurance Maladie accorde une aide annuelle forfaitaire de 300 euros.
Actuellement, près de 35 sages-femmes sont impliquées. « Elles y consacrent 1 à 2 journées par mois, explique Benjamin Vouhé. Ce pool de sages-femmes ne peut couvrir les besoins, car la région comprend 240 Maisons d’accueil spécialisées (MAS) et Foyers d’accueil spécialisés (FAS). Ces lieux regroupent les femmes en situation de handicap les plus éloignées du soin. Nous avons donc besoin de près de 45 sages-femmes supplémentaires pour assurer le suivi gynécologique de plus de 26 000 femmes et mener des ateliers de sensibilisation auprès de 12 000 personnes. » La Démarche Handigynéco recrute surtout des libérales, mais les sages-femmes hospitalières en exercice mixte peuvent aussi participer.
RÔLE DE SANTÉ PUBLIQUE
Aller vers des femmes en situation de handicap porte ses fruits et est gratifiant pour les professionnelles volontaires. Lors de l’expérimentation en 2018-2019, 22 sages-femmes sont intervenues dans 41 établissements médico-sociaux dans 5 départements franciliens. Elles ont réalisé 450 consultations gynécologiques, 45 ateliers auprès de 360 usagers-usagères et le même nombre auprès de professionnels. Les consultations ont permis de repérer des pathologies gynécologiques méconnues chez 8,5 % des femmes suivies, et 25 % des femmes vues ont déclaré au moins un cas de violence.
« Aujourd’hui, parmi les sages-femmes qui ont participé à l’expérimentation, seules sept poursuivent leur activité avec Handigynéco, détaille Benjamin Vouhé. Très peu d’entres elles ont arrêté parce qu’elles trouvaient le milieu institutionnel ou le public difficiles, du fait de polyhandicaps ou d’autisme par exemple. La plupart ont arrêté pour cause de déménagement après la pandémie de Covid-19, parce qu’elles ont quitté leur activité libérale ou qu’elles ont eu un projet d’enfant. »
Pour l’instant, aucune supervision des sages-femmes n’est prévue dans le projet, mais des retours et échanges d’expériences sont planifiés régulièrement pour partager les situations les plus difficiles. La dimension la plus complexe de l’engagement dans la Démarche Handigynéco porte sur la prévention et la gestion des violences de tous types dépistées. Les sages-femmes sont accompagnées par l’équipe projet face à ces situations. « Malgré une obligation datant de 2021, tous les établissements ne disposent pas d’un référent en matière de vie affective et sexuelle, note Benjamin Vouhé. Et face à des violences institutionnelles, les directions ne sont pas toujours promptes à agir. Cela peut nous amener, dans de rares situations, à des recours administratifs et judiciaires. Quant aux violences sexuelles, elles ne sont pas majoritaires. Sur près de 430 femmes vues en consultation pendant l’expérimentation, 12 ont été dépistées pour des violences sexuelles inconnues jusqu’alors. » La Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), qui a rendu ses préconisations fin novembre, estime en tout cas que la Démarche Handigynéco doit perdurer pour favoriser le dépistage des violences.
À terme, un véritable parcours gynécologique des femmes en situation de handicap en Île-de-France doit être mis en place. Objectif : réaliser une cartographie de l’offre en soins et orienter les femmes en situation de handicap au plus près de leur domicile, en fonction de leurs besoins. Pour l’instant, le recrutement de sages-femmes est donc actif, la prochaine session de formation étant programmée en mars 2024.
■ Nour Richard-Guerroudj