
Fallait-il conduire une expérimentation pour savoir que les sages-femmes sont les professionnelles de premier recours dans l’organisation du suivi pré et postnatal des futures mères ? Malgré l’incongruité de la question, c’est le choix qu’a fait le législateur avec l’expérimentation d’un référent parcours périnatalité, appelé « Répap ». Démarrée fin juillet 2021, cette expérimentation se termine ce mois de décembre 2023. Le rapport d’analyse est attendu début 2024. Mais entre-temps, deux décrets proposant des missions supplémentaires aux sages-femmes sont parus. L’avenant 5 de la convention nationale des sages-femmes avec l’Assurance Maladie autorise la mise en place de l’entretien postnatal précoce. Conclu à la suite des préconisations de la commission des 1000 premiers jours, il vise au dépistage de la dépression du post-partum. De son côté, l’avenant 6 permet aux femmes enceintes de déclarer une « sage-femme référente », chargée de réaliser la plupart des consultations de suivi pré et -postnatal, d’informer les patientes, de coordonner leurs soins, de faire le lien avec les maternités. Ces avenants empiètent donc sérieusement sur les plates-bandes des Répap, preuve qu’on ne se parle pas toujours beaucoup dans les couloirs de la Direction générale de l’offre de soins et du ministère de la Santé. En effet, le Référent parcours périnatalité, créé à la suite des préconisations de la commission des 1000 premiers jours, doit coordonner, pour chaque patiente accompagnée, un parcours personnalisé de la grossesse aux 3 mois révolus de l’enfant. Intervenant privilégié de la femme ou du couple et des différents professionnels de santé qui les accompagnent, le Répap doit assurer la continuité du parcours. C’est peu ou prou la même chose que la sage-femme référente. À une nuance près : le Répap n’est pas forcément une sage-femme. Quatre territoires ont participé à l’expérimentation : territoire de la CPTS Centre-Essonne, Pays de Loire-Touraine, Drôme et Guyane.

N’importe quel professionnel ?
En théorie, n’importe quel professionnel volontaire qui travaille avec des femmes enceintes, intéressé par la périnatalité et le travail en réseau, pouvait devenir Répap. Infirmières, psychologues, travailleurs sociaux, assistantes maternelles, médiatrices de santé, auxiliaires de puériculture, etc., mais aussi médecins généralistes, gynécologues-obstétriciens ou sages-femmes pouvaient prendre part à l’expérimentation. Chez les sages-femmes, l’idée a fait bondir certaines, qui ont refusé de participer à l’expérimentation. D’autres, au contraire, y ont pris part dans l’espoir de prouver qu’elles étaient les plus compétentes pour réaliser ces missions. Concrètement, chaque Répap devait coordonner le suivi de grossesse avec les professionnels médicaux et paramédicaux, répondre à toutes les questions de la patiente, avoir une disponibilité téléphonique. Il devait surtout mener quatre entretiens de 45 minutes : au troisième mois de grossesse – donc peu après l’entretien prénatal précoce -, vers le huitième mois, puis aux 15 jours et aux 3 mois de vie du bébé. « Le Répap devait être une sorte de fil d’Ariane, un pivot, un garant du bon suivi de la patiente, image Élisa Étienne, sage-femme de coordination des -parcours de soins à la maternité du centre hospitalier de Valence, dans la Drôme, qui a piloté l’expérimentation pour ce département. Il devait par exemple lui rappeler ses rendez-vous mensuels, l’inciter à réaliser une préparation à l’accouchement et à la parentalité, appeler un professionnel sur demande de la patiente, etc. »
En parallèle de ce parcours socle, les autorités avaient prévu un parcours renforcé, avec un temps de coordination plus important et des entretiens supplémentaires. Sur décision du Répap, ce parcours pouvait être proposé aux patientes qui présentaient des vulnérabilités psychiques, en lien avec des violences, une consommation addictive ou un handicap. Les patientes en situation de vulnérabilité socio–économique pouvaient aussi bénéficier du parcours renforcé, mais seules celles ayant déjà des droits sociaux ouverts pouvaient participer à l’expérimentation. Dans la Drôme, « nous avons quand même eu envie d’inclure ces patientes les plus précaires, ajoute Élisa Étienne. L’expérimentation a permis aux assistantes sociales de leur ouvrir des droits beaucoup plus rapidement. Cela venait d’une réelle volonté de l’équipe. » Financée via l’article 51, l’expérimentation permettait à chaque Répap d’être rémunéré par un forfait de 165 euros pour un parcours socle, avec 99 euros supplémentaires pour un parcours renforcé.
Les atouts drômois
L’expérimentation a réellement démarré en janvier 2022. Selon un rapport d’étape paru en janvier 2023, un total de 878 patientes avaient été incluses à la date de novembre 2022 : 130 en Guyane, 28 en Centre-Essonne, 84 en Pays de Loire-Touraine et 636 dans la Drôme. Au 30 juin 2023, à la clôture des admissions, la Drôme comptait plus de 800 femmes admises par presque 70 Répap. Dès le départ, le département, perçu comme un « bon terreau », disposait de bons atouts. Les professionnels hospitaliers et libéraux utilisaient déjà un dossier obstétrical partagé. L’outil numérique choisi pour suivre les parcours de l’ensemble de l’expérimentation, avec la messagerie sécurisée et d’autres éléments, était déjà utilisé pour suivre les grossesses dans la Drôme. Les professionnels étaient donc très à l’aise, contrairement à leurs homologues des autres territoires. « Dans la Drôme, les femmes enceintes qui s’inscrivent en maternité ont toutes une sage-femme libérale », ajoute Élisa Étienne. Elles y sont régulièrement et fortement incitées à chaque étape de leur inscription en maternité, certaines patientes étant orientées vers des territoriales.
Surtout, le département dispose d’un outil clé depuis plusieurs années : son parcours Valériane, mis en place en 2016 à la maternité du centre hospitalier de Valence pour repérer les femmes qui présentent des facteurs de vulnérabilité et les suivre davantage. Le dispositif ressemble à s’y méprendre au parcours Répap renforcé. Élisa Étienne, pilote de l’expérimentation dans la Drôme, était justement la sage-femme qui coordonnait les parcours Valériane à Valence. « Grâce à Valériane, nous avons récupéré des bébés qui seraient décédés sans cette prise en charge. Nous avons évité des morts fœtales in utero. Or, face à des patientes qui présentent plusieurs facteurs de risques, il est très utile d’être une sage-femme hospitalière. On a sous le coude le pédiatre, l’addictologue, l’assistante sociale, le psychologue, le pédopsychiatre, le psychiatre, l’anesthésiste, le cardiologue, le neurologue, l’endocrinologue, etc. Donc avec ce parcours Valériane, nous avions déjà le réseau. Nous avions déjà fait les démarches pour identifier tous les interlocuteurs susceptibles de nous orienter des patientes : les PMI, les Centres d’accueil de demandeurs d’asile, le diaconat, les associations, etc. Recruter des Répap et des patientes a donc été plus facile. Dans les autres départements, mes homologues ont dû identifier les interlocuteurs, fixer des réunions pour les rencontrer, leur présenter le projet, leur demander de les appeler pour recruter des patientes, etc. C’est un travail assez lourd. »
Devenir Répap en quinze leçons ?
Parmi les 70 Répap recrutés dans la Drôme, une écrasante majorité sont sages-femmes. Mais on compte aussi 2 médecins généralistes et 2 infirmières. En Guyane, du fait d’un manque criant de sages-femmes, la situation est différente. Les techniciennes de l’intervention sociale et familiale (TISF) y sont, plus qu’ailleurs, engagées dans le champ de la périnatalité. Logiquement, un certain nombre d’entre elles se sont positionnées pour devenir Répap. Elles n’ont apparemment pas rencontré de difficulté majeure. « Le tarif de 165 euros pour le Répap socle et 99 euros supplémentaires pour le parcours renforcé convenait bien aux TISF en Guyane, rapporte Élisa Étienne. En métropole, les sages-femmes qui ont pris part à l’expérimentation ont pensé que 165 euros étaient insuffisants, mais mieux que rien. En revanche, les gynécologues-obstétriciens nous ont ri au nez. » En métropole, aucune TISF ne s’est engagée comme Répap. Elles étaient en difficulté, car non formées en périnatalité. Dans la Drôme, « les deux infirmières libérales devenues Répap ont terminé les suivis qu’elles avaient initiés, mais elles n’ont pas inclus de nouvelles patientes, car elles n’étaient pas à l’aise, raconte Élisa Étienne. Or, le but était justement de sécuriser les patientes. » Au fil des entretiens, si les patientes évoquaient des problématiques domestiques, comme les modes de garde, elles posaient également des -questions médicales en lien avec leur grossesse. Les Répap qui n’étaient pas sages-femmes ni généralistes ou obstétriciens se sont donc trouvés en difficulté. Ils ne pouvaient pas non plus, chaque fois, déranger un professionnel de périnatalité.
Une formation supplémentaire, à destination des Répap non médicaux, s’est donc imposée. Un Mooc, à savoir une formation en ligne, a été créé. Il s’agit d’un ensemble de quinze leçons, assez courtes, avec des vidéos. À priori, après cette formation, une assistante maternelle pourrait dépister les signes d’une dépression du post-partum. De quoi heurter les sages-femmes. « Aujourd’hui encore, je pense que c’est très ambitieux d’imaginer que des professions non médicales puissent être Répap, y compris avec ce Mooc de quinze cours, estime la sage-femme Élisa Étienne. Je pense et j’espère pour ma profession que la conclusion de cette expérimentation sera que le Répap socle est l’essence même du travail d’une sage-femme. Même si l’on n’a pas forcément le temps de mener tous ces entretiens pré et postnataux. En revanche, il est vrai que les sages-femmes doivent apprendre à travailler en réseau, peut-être avec des auxiliaires de puériculture, des puéricultrices de PMI, davantage que nous le faisons aujourd’hui. » Dans la Drôme, les sages-femmes volontaires étaient hospitalières ou libérales. Les premières étaient enchantées d’avoir la possibilité de revoir leurs patientes après la naissance et d’avoir du temps de travail dédié à des entretiens. Les libérales se sont quant à elles réjouies de voir un temps de travail essentiel, non rémunéré jusqu’alors, enfin pris en compte. L’avenant 6 à la convention est venu brouiller l’expérimentation puisque la rémunération proposée à une sage-femme référente s’élève à 45 euros, contre 165 euros pour le forfait Répap socle. L’idée de l’expérimentation Répap était de proposer ce parcours socle à toutes les femmes. Dans les faits, 800 femmes ont été incluses dans la Drôme en 18 mois, alors que le département compte environ 5000 naissances par an. Si les Répap, essentiellement des sages-femmes, n’ont pas pu proposer ce suivi à toutes leurs patientes, c’est tout simplement qu’elles n’en avaient pas le temps, qu’elles soient hospitalières ou libérales. Dans les faits, elles ont surtout inclus les femmes qui en avaient le plus besoin.

Résultats préliminaires
En attendant les conclusions officielles, d’autres résultats préalables sont connus. Concernant le premier entretien prénatal, à trois mois de grossesse, les conclusions sont ambivalentes. Lorsque le Répap était sage-femme, ce premier entretien se télescopait avec l’entretien prénatal précoce (EPP). Dans le cas contraire, il permettait au Répap de vérifier si la patiente avait bénéficié de l’EPP, en lui rappelant de solliciter une sage-femme à ce sujet. Pour les patientes, le meilleur cas de figure semble être d’avoir cet entretien 2 à 3 semaines après l’EPP, quand le Répap est sage-femme. Cela permet de revenir sur certaines propositions faites à la patiente lors de l’EPP ou d’aller plus loin sur certaines thématiques difficiles, comme la violence conjugale.
L’entretien du huitième mois de grossesse a pour sa part été très prisé par les patientes et les professionnels. Il donnait l’occasion de parler de l’accouchement et du retour à domicile. Les femmes pouvaient vraiment aborder leur projet d’accouchement, qui avaient eu quelques mois pour mûrir. Nombreuses savaient si elles allaient avoir une césarienne, présentaient un bébé en siège…
Côté postnatal, « nous avons super bien dépisté les risques de dépression, se félicite Élisa Étienne. Les patientes à risque ont été très bien entourées en période postnatale. » Apparemment, tous les Répap se sont saisis d’une grille de dépistage préalablement établie, et tous ont utilisé l’échelle d’Édimbourg. Dans ce contexte, c’est surtout le second entretien, trois mois après la naissance, qui apparaît important. « À 15 jours, en général, les femmes vont à peu près bien, interprète Élisa Étienne. C’est aussi le moment où elles ont une consultation médicale. Certaines font aussi la rééducation du périnée à ce moment-là. Donc elles voient du monde et si elles vont mal, les professionnels de santé peuvent réagir. En outre, les femmes se plaignent d’avoir trop de rendez-vous à ce moment-là. À 3 mois, elles voient souvent moins de professionnels de santé et surtout, c’est le moment de reprendre le boulot. Il faut se questionner sur le mode de garde, l’allaitement, les kilos en trop. Souvent, à 3 mois, les femmes ne vont pas bien. On s’est rendu compte que beaucoup de patientes dont on pensait qu’elles iraient bien au vu de l’évaluation précédente, n’allaient pas bien du tout à 3 mois. » L’entretien postnatal précoce instauré par l’avenant 5 répond en partie à cette problématique. La mise en place d’un Répap semble donc bénéfique pour la continuité des soins, encore plus lorsque le Répap est une sage-femme. La profession espère que la conclusion générale de l’expérimentation lui sera favorable.
Quel impact ce suivi a-t-il eu sur les issues de grossesse ? « Je ne sais pas ce que va retenir la conclusion de l’expérimentation, mais nous avons renseigné les indicateurs », signale Élisa Étienne. Ainsi, le parcours Répap semble améliorer les indicateurs de morbimortalité. « Les patientes plus entourées accouchent mieux, avec moins de césariennes, moins d’expressions instrumentales, moins d’hémorragies du post-partum et moins de prématurité. Il y a aussi un meilleur lien maman-bébé et un meilleur développement neuro-psychomoteur de l’enfant », assure la sage-femme.
Parcours renforcé
C’est spécialement le cas pour les parcours Répap renforcés. L’intervention d’un professionnel pour coordonner des parcours de femmes très complexes en situation de grande vulnérabilité paraît vraiment intéressante. « Mais l’expérimentation a montré que le parcours Répap renforcé est impossible pour un professionnel non médical et difficile pour une sage-femme libérale, souligne Élisa Étienne. Elle n’a pas tout le monde sous le coude et son agenda n’est pas extensible. Quand le Répap est une sage-femme hospitalière, c’est optimal pour tout le monde. Une des conclusions de l’évaluation pourrait être que le parcours socle conviendra bien aux femmes dont la grossesse est suivie en ville. Le parcours renforcé, avec une coordination hospitalière, serait à réserver aux femmes qui ont des pathologies de grossesse ou des vies compliquées. Et si cette coordination de parcours n’est pas faite à l’hôpital parce que la patiente vit loin, elle pourrait être réalisée par une sage-femme de PMI. Ce parcours renforcé pourra aussi être proposé à des femmes qui n’ont pas de droits ouverts et qui sont aujourd’hui le plus souvent suivies à l’hôpital ou en PMI. »
Ainsi, la principale conclusion de l’expérimentation pourrait bien porter sur l’intérêt d’un parcours renforcé, déjà mis en place dans quelques maternités. Le parcours socle revient quant à lui à un parcours classique, réalisé au fil des consultations mensuelles de grossesse. Pour Élisa Étienne, la généralisation de ces parcours présenterait un autre intérêt : améliorer le lien ville-hôpital, décloisonner les structures et les soignants, inventer un langage commun. « Dans le cadre de l’expérimentation, nous avons eu des échanges hebdomadaires par visioconférence avec le ministère, pour nous accompagner, participer au Mooc de formation, ainsi que des échanges avec la Cnam, la Cpam, les homologues des autres départements… Cela nous a aussi beaucoup décloisonnés au niveau local. J’ai rencontré des assistantes maternelles, des assistantes sociales, des psychologues, des TISF, d’autres sages-femmes, etc. Nous sommes allés dans les PMI. » Les professionnels de la périnatalité pourraient ainsi créer un meilleur lien avec ceux de la petite enfance. C’est d’ailleurs ce qu’avait montré l’expérimentation Copa. Ce dispositif de coaching parental avait été testé avec succès dans le Grand Est. Des auxiliaires de puériculture de maternité se rendaient au domicile des familles, intercalant leurs visites avec celles des sages-femmes, permettant à chaque profession de se consacrer à son cœur de métier. Les femmes ont beaucoup apprécié.
■ Géraldine Magnan