Le devoir de pharmacovigilance

Les sages-femmes, en tant que professionnelles médicales ayant un droit de prescription, ont un devoir de pharmacovigilance, c'est-à-dire une obligation de signaler tout effet indésirable grave ou inattendu provoqué par un médicament.

« Les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et pharmaciens déclarent tout effet indésirable suspecté d’être dû à un médicament dont ils ont connaissance », stipule l’article L5121-25 du Code de la santé publique. Le non-respect de cette obligation de déclaration est passible d’une amende. Il s’agit donc d’une faute pénale, d’une contravention. La pharmacovigilance regroupe l’ensemble des techniques d’identification, d’évaluation et de prévention du risque d’effet indésirable des médicaments, afin d’en améliorer le rapport bénéfices/risques.

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UNE POPULATION FRAGILE

La pharmacovigilance a été mise en place dans les années 1960, suite à l’affaire de la Thalidomide (médicament sédatif prescrit aux femmes enceintes dans les années 1950-60 pour soulager les nausées, maux de tête, etc., qui a provoqué de graves malformations des membres, des neuropathies périphériques et des décès chez près de 12 000 enfants dans le monde. Ce médicament n’avait pas été prescrit en France ni aux États-Unis. 

En ce qui concerne les femmes enceintes, la pharmacovigilance est particulièrement importante puisqu’elles sont écartées systématiquement des essais cliniques en tant que population fragile. Les éléments relatifs aux effets indésirables des médicaments sur les femmes enceintes sont donc uniquement basés sur les déclarations faites par les femmes qui ont pris le médicament malgré leur grossesse.

Les données sur les médicaments prescrits aux femmes enceintes doivent être conservées pendant quarante ans, en raison des effets possibles des médicaments sur l’enfant. Par exemple, les effets du Distilbène pris par les mères pendant la grossesse ont été constatés chez les enfants devenus adultes.

La pharmacovigilance est pilotée au niveau national par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), assistée par son réseau de 31 centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV). Ce système s’intègre dans l’organisation à l’échelle européenne de la pharmacovigilance.

Dès lors qu’une sage-femme a connaissance d’un effet indésirable causé par un médicament, elle doit en alerter le centre régional de pharmacovigilance. La déclaration peut être faite par une sage-femme dès qu’elle se pose la question du rôle éventuel d’un produit de santé lors de la survenue de l’effet indésirable ou de l’incident. 

OBLIGATIONS PROFESSIONNELLES

Les sages-femmes doivent signaler tout effet indésirable suspecté d’être dû à un médicament, quel que soit le contexte de survenue : usage conforme ou non à son autorisation, erreur médicamenteuse, abus, mésusage, surdosage, exposition professionnelle.

Un effet indésirable est une réaction nocive et non voulue à un médicament, se produisant aux posologies habituelles ou résultant d’un mésusage du médicament. Un effet indésirable peut être grave, entraînant décès, mise en jeu du pronostic vital, invalidité ou incapacité, hospitalisation prolongée, malformation ou anomalie congénitale, fait nouveau médicalement grave. 

Les professionnels de santé ont l’obligation de déclarer les effets indésirables graves et/ou inattendus qu’ils constatent, c’est-à-dire un effet dont la fréquence, l’intensité ou l’évolution ne correspond pas aux informations contenues dans le résumé des caractéristiques du produit. 

Les sages-femmes peuvent effectuer le signalement en ligne (https://signalement.social-sante.gouv.fr/) ou en contactant directement le CRPV et en remplissant un formulaire. 

La sage-femme qui effectue un signalement doit ensuite se mettre à disposition du CRPV, s’assurer de conserver les documents sources et les informations de la patiente et coopérer avec les autres structures de pharmacovigilance éventuellement saisies. 

Les effets indésirables des dispositifs médicaux (cardiotocographe, dispositifs implantables, kit de pose de DIU…) doivent également être signalés. Il s’agit de toute réaction nocive et non désirée liée à la mise en jeu d’un dispositif médical ou tout incident qui aurait pu entraîner cette réaction si une action appropriée n’avait pas été effectuée dans des conditions précises. Si la sage-femme est salariée d’un établissement de santé, elle doit contacter le correspondant local de matériovigilance pour toute déclaration d’incident ou de risque d’incident lié à l’utilisation d’un dispositif médical. Il est possible de suivre le signalement effectué en ligne.

Les sages-femmes ont également l’obligation de signaler les cas d’abus grave et de pharmacodépendance grave liés à la prise de substances ou plantes ayant un effet psychoactif (entraînant des changements dans les perceptions, les humeurs, les comportements), à l’exclusion de l’alcool et du tabac.

Les signalements sont transmis via la fiche de notification aux centres d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance sur le territoire duquel ces cas ont été constatés.

La sage-femme qui constate un incident ou un effet indésirable survenu chez un receveur de produits sanguins labiles ou chez un donneur de sang doit le signaler sans délai, et au plus tard dans les huit heures, au correspondant d’hémovigilance de l’établissement de transfusion sanguine où a eu lieu le prélèvement ou à l’établissement de santé où le produit a été administré/où l’incident a eu lieu.  

Il existe également une obligation de déclaration pour les effets indésirables graves causés par des produits cosmétiques et des tatouages (effet entraînant une hospitalisation, une incapacité fonctionnelle permanente ou temporaire, un handicap, des anomalies congénitales, un risque vital immédiat ou un décès). La déclaration est à faire auprès de l’ANSM. 

UN PROCESSUS TECHNIQUE

Une fois la déclaration faite, le but des techniques de pharmacovigilance est de s’assurer que c’est bien le médicament mis en cause qui a provoqué l’effet indésirable. Les techniciens préciseront :

  • la réalité de l’effet indésirable : ils s’assureront que l’effet indésirable provient bien de la prise du médicament ;
  • l’imputabilité, c’est-à-dire la relation de cause à effet entre la prise du médicament et l’effet indésirable. Ils vérifieront notamment la chronologie des événements : début du traitement, date d’apparition des effets, disparition à l’arrêt du traitement, réapparition à la réintroduction.

Les techniciens établiront l’imputabilité intrinsèque de l’effet indésirable au médicament en étudiant les critères chronologiques et sémiologiques (recherche d’autres causes, examens complémentaires) et l’imputabilité extrinsèque, rapportée par la littérature par exemple. 

La fréquence de survenue et la gravité des effets indésirables d’un médicament vont décider de sa durée de vie. 

Par exemple, à la suite de signalement d’effets indésirables de type fausse-route et malaises, l’ANSM a suspendu la commercialisation de l’Uvestérol D en janvier 2017. Ce produit était en effet administré à l’aide d’une pipette spécialement conçue pour une utilisation chez le jeune enfant. À la suite du décès d’un nouveau-né fin 2016, l’ANSM a rappelé l’importance du respect des protocoles d’administration et, par mesure de précaution, suspendu la commercialisation d’Uvestérol D.

LANCEURS D’ALERTE

Les grands scandales causés par des médicaments ces dernières années (Distilbène, Médiator, et surtout, en ce qui concerne les femmes enceintes, la Dépakine) montrent bien l’importance de la pharmacovigilance, de la conservation des informations et du questionnement. Le signalement des effets indésirables est un devoir déontologique des sages-femmes, particulièrement à l’égard des femmes enceintes qui ne peuvent pas prendre part aux essais cliniques. Le recueil d’informations les concernant est donc particulièrement important. 

Pour mémoire, il a été établi que le Distilbène (Diéthystilbestrol ou DES), une hormone de synthèse prescrite entre 1950 et 1976 en France aux femmes enceintes à risque de fausse-couche provoquait chez les enfants filles exposées in utero des atteintes de l’appareil génital chez la femme en particulier avec des anomalies structurelles et morphologiques et des conséquences sur la reproduction, des risques d’adénocarcinome à cellules claires du vagin (1 ‰ des patientes exposées au DES in utero) et du col de l’utérus.

On estime qu’environ 160 000 femmes ont été traitées par DES pendant leur grossesse. On peut évaluer ainsi que 80 000 filles et 80 000 garçons âgés aujourd’hui de 25 à 50 ans ont été exposés au DES in utero, le pic de prescription de cette molécule se situant autour des années 1970. 

En ce qui concerne la Dépakine, un médicament antiépileptique très largement prescrit aux épileptiques, elle a été utilisée pendant de nombreuses années par des femmes enceintes. Il a été établi depuis que ce traitement pris pendant la grossesse pouvait provoquer un « syndrome de fœtopathie à la Dépakine », allant de malformations graves chez l’enfant à naître à des troubles neuro-développementaux. La justice a été saisie de nombreux dossiers de demandes d’indemnisation et a déclaré recevable une action de groupe à l’encontre du laboratoire Sanofi, fabricant de la Dépakine, intentée par l’Association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant. 

Certes, il s’agit d’une action en responsabilité à l’encontre du laboratoire Sanofi, qui est accusé d’avoir dissimulé des informations dont il avait connaissance quant aux effets fœto-toxiques de ce médicament, mais cela permet de souligner l’importance du devoir de pharmacovigilance des professionnels de santé, qui peuvent participer à l’amélioration de la sécurité des médicaments et devenir des lanceurs d’alerte.

■ Marie Josset-Maillet, avocate